Squats KANAK à Nouméa



Nous publions ici un extrait d'une brochure intitulée Kanaky, un bilan du néo-colonialisme, publiée en 1998, rééditée en 2009 par l’OCL  qui propose un outil destiné à informer les non-Kanak sur la situation de ce peuple en lutte contre l’impérialisme français : « Depuis sa prise de possession par la France en 1853, ce pays est en effet sous domination tant politique, économique, que culturelle. Les Kanak, d’abord dépossédés de leurs terres et parqués dans des réserves puis assujettis à un code de l’Indigénat, se battent de façon organisée depuis près de 30 ans pour l’indépendance. A l’heure où un nouveau statut se met en place, il convient de faire un historique de la lutte kanak, notamment depuis la création du FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) en 1984. »






Cette brochure retrace l'histoire des mouvements indépendantistes. Les extraits que nous publions ici portent sur la spoliation des terres du peuple Kanak par les colons français et d'un phénomène qui est apparu vers les années 1990 : les squats. Le terme n'équivaut pas à celui utilisé en Europe, car il s'agit ici d'occupation illégale de terrain et de la construction d'une cabane, le plus généralement avec des matériaux récupérés.

Le second article propose un extrait d'une texte daté de 2010, à propos des squats, de Christian Jost , Espaces d’appropriation ou d’évasion de la ville dans le pacifique ? terres coutumières, squats et nakamals.


KANAKY
UN BILAN DU NÉO-COLONIALISME




COLONISATION

Si la prise de possession officielle des pays kanak par la France date du 23 septembre 1853, les habitants des 28 aires sociolinguistiques des 7 îles principales composant l’archipel (les Bélep, la Grande Terre, l’île des Pins, Ouvéa, Lifou, Tiga, Maré) avaient déjà eu de nombreux contacts avec les autres peuples de Mélanésie, de Polynésie (îles Tonga, îles Samoa,...) ainsi qu’avec des Occidentaux. L’explorateur anglais James Cook aborde l’île en 1774 et la baptise Nouvelle-Calédonie tandis que le Français d’Entrecasteaux s’y rend en 1793. En plus de ces visiteurs occasionnels, les navires baleiniers fréquentent les côtes néo-calédoniennes à partir de 1820, les marchands de bois de santal australiens venaient régulièrement s’approvisionner sur l’archipel à partir de 1841-42 tandis que des missionnaires protestants en 1840, puis catholiques en 1843 tentent de s’y installer.

Avec les autres peuples de Mélanésie ou de Polynésie, les contacts furent moins violents puisque ces groupes d’hommes et de femmes ont su d’adapter à un système kanak d’ailleurs basé sur l’accueil. A Ouvéa, qui fait aujourd’hui l’objet d’une réputation d’extrémisme, la population a par exemple successivement intégré des gens de Wallis, de Lifou et de Koné (les croyances occidentales comme le protestantisme et le catholicisme ont ensuite amené à des guerres de religion). Précisons que cette intégration recouvre par exemple le fait de conférer à l’étranger ainsi accepté la fonction de « grand-chef ». Cette notion est à prendre au sens d’arbitre ou de porteur de parole : « L’étranger est appelé. On lui demande d’assurer la représentation du groupe, de faire tenir ensemble les diverses unités sociales du terroir », « donner cette position à quelqu’un qui vient de l’extérieur est un moyen de régler des problèmes internes » 1.


LA PRISE DE POSSESSION ET LES RÉVOLTES


Avec la France, engagée alors dans une course de vitesse avec la Grande-Bretagne, cela ne se passera pas aussi bien. Future colonie de peuplement, la Kanaky devient une terre sans Kanak : leurs terres sont spoliées pour être accaparées par l’Église, les colons, l’Etat, dont l’administration pénitentiaire à partir de 1864 (plus de 25 000 condamnés entre 1864 et 1897, 4 200 communards entre 1872 et 1878, 1 900 arabes entre 1864 et 1897 dont des participants à la révolte de la Grande-Kabylie en 1871 et à celle des Aurès en 1879 2). Il y a alors peu de doute pour les colons que les Kanak vont dépérir au contact de leur civilisation, jugée supérieure (théorie du darwinisme social).

Bien entendu, les Kanak ne se laissent pas faire. Dans le Nord où s’est faite la prise de possession en 1853, les premiers colons commencent à s’accaparer les terres en 1855, ce qui provoque la révolte du grand chef Felipe Bouéone. L’administration française fait brûler ses cases en novembre 1856 et parvient à le capturer deux ans plus tard. En décembre 1858, il est fusillé devant ses sujets. A Port-de-France (qui deviendra Nouméa) créée dans le Sud en 1854, la révolte débute en 1856. En juillet, le père du grand-chef Kandio est assassiné par les siens, accusé d’avoir cédé des terres aux Blancs. D’août à décembre, la mission catholique (qui possède 2000 hectares) et le poste militaire sont régulièrement attaqués puis brûlés. Les représailles ne se font pas attendre : des villages sont brûlés, des plantations détruites et les chefs poursuivis. Ils ne se rendront qu’en mai 1857. Le commandant Testard, responsable de la colonie, décrit dans une lettre du 23 octobre 1856 la mentalité des premiers temps de la colonisation : « Le Calédonien (le Kanak) est intelligent mais c’est un monstre de perversité. Il faut commencer par détruire ce?e population si l’on veut vivre en sécurité dans le pays... Le seul moyen qui paraisse un peu praticable pour en venir à bout serait de faire des battues comme pour les loups en France ».




L’histoire de ces résistances est longue et sa mémoire conservée sous forme de mythes, récits et poésies côté kanak, par des archives administratives partiales côté européen. On peut citer quelques exemples de résistances : la même mission catholique mariste qui tente de s’installer se fait attaquer puis évacue Balade en 1847, se fait chasser de Port St-Vincent en 1848, de Yaté en 1850 puis de Balade cette même année. Ce n’est qu’en 1851 que les maristes parviendront à s’installer définitivement sur le territoire. A Gatope en 1866, 150 Kanak sont fusillés et les villages environnants brûlés suite au meurtre de l’équipage d’un canot. En octobre 1867 à Pouébo, les guerriers kanak dirigés par le chef Cohima attaquent et tuent quelques colons et gendarmes. Le gouverneur prend personnellement la direction de l’expédition de représailles forte de 200 hommes. 10 Kanak sont guillotinés en mai 1868 suite à cette révolte, 13 condamnés aux travaux forcés 3.

De juin 1878 à juin 1879, les Kanak du centre de l’île se révoltent plus massivement. Au cours de cette année, l’insurrection fera près de 200 morts côté européen et plus de 1000 côté kanak (et 1500 déportés à Tahiti, l’île des Pins ou les Bélep). Le « rapport sur les causes de l’insurrection canaque de 1878 » rédigé par le général de Trentinian et daté de février 1879 justifie même implicitement l’insurrection. On y trouve des phrases comme « la colonisation a pris son essor, on a oublié les promesses premières, et l’on a pas songé qu’il en résulterait forcement une lutte avec celui dont on prenait le Territoire sans l’avoir conquis » ou « non seulement leurs terres étaient prises en grande partie, leurs cultures étaient ravagées, mais les ossements des leurs jetés au vent » 4. Du chef Ataï en 1878 aux insurgés d’Ouvéa en 1988, il y a bien une continuité dans la lutte (les seconds se réclameront d’ailleurs des premiers). Cependant, les phases d’opposition militaire directe alterneront avec une résistance passive, le tout en fonction du rapport de force du moment.




A partir de janvier 1916, l’armée recrute des tirailleurs kanak pour aller crever en France. Ce sont des agents recruteurs kanak, certains grands-chefs (sur le conseil des missionnaires) et la police indigène qui sont chargés d’enrôler des soldats en leur faisant miroiter primes, médailles et surtout la suppression des corvées et de l’impôt de capitation. Comme la France exige un quota d’hommes à fournir, la plupart d’entre eux ne partiront pas vraiment volontairement au front. A partir de 1916, environ 1100 Kanak (sur une population totale qui ne compte alors que 8700 hommes adultes) seront envoyés au sein du Bataillon des tirailleurs du Pacifique comme chair à canon en France. Les derniers enrôlés ne seront rapatriés qu’en mai 1920 (la proportion des seuls morts ou disparus est d’au moins 25 %). Bien entendu, les promesses ne seront pas tenues 5. D’autres, enfin, se révoltent de février 1917 à janvier 1918 dans le nord-est de l’île contre ces réquisitions d’hommes. Menée par les chefs Noël et Bouarate, c’est la seconde grande révolte kanak qui sera réprimée comme en 1878 avec l’aide précieuse des tribus pro-françaises. On comptera une centaine de morts côté Kanak, une dizaine côté colons.


LES SPOLIATIONS FONCIÈRES

La question du foncier chez les Kanak mérite d’être développée précisément. En effet, soutenir une lutte pour l’indépendance signifie aussi s’interroger sur ce qu’elle recouvre, connaître un tant soit peu les personnes qui se battent (et non pas se contenter d’un soutien intellectuel et idéologique de principe) afin de mieux cerner la complexité du déroulement de cette lutte. Et l’indépendance, pour les Kanak, signifie d’abord recouvrer leurs terres, c’est-à-dire leur identité, leur nom(les patronymes kanak correspondent à des toponymes, noms de lieux). L’histoire de la création des réserves indigènes, des tribus administratives, décrit aussi le cadre actuel de vie des Kanak. De plus, la question foncière n’est toujours pas résolue et les conflits qui lui sont liés restent une des principales sources de conflits actuels inter-Kanak (et Kanak-colons bien sur comme l’affaire de la presqu’île de Uitoé en 1997 : revendiquée par un clan, elle a été vendue à un colon) sur la Grande-Terre. Les enjeux liés à la terre sont aujourd’hui ceux de sa valorisation économique et la mémoire orale des vieux est alors aisément mise au service des intérêts du présent 6. Ainsi, le Conseil consultatif coutumier (comme le FMI dans les tiers-mondes) propose des opérations de cadastrage, qui sont pourtant la porte ouverte à la propriété privée. Car figer par l’écrit une procédure orale (« pour rassurer les investisseurs ») par principe souple et capable de s’adapter aux évolutions, c’est non seulement supprimer un des facteurs structurant de la société kanak mais aussi nier tous les aspects qui font que la terre ne peut être considérée comme une marchandise (c’est d’abord un rapport social et un élément du rapport sacré à l’environnement). Quelle fut donc l’histoire qui a aboutit au statut des réserves ? En 1855, le gouverneur reconnaît seulement aux Kanak « la propriété des terres occupées », ce qui laisse à l’Etat toutes les autres ! Pour eux, la notion de terres occupées n’a pourtant aucun sens. Outre les terres effectivement cultivées (différentes sortes de taros et ignames, toutes sortes de plantes médicinales et des fleurs a titre ornemental), un grand nombre de terres ne sont en effet pas « occupées » au sens du gouverneur : elles sont en jachère, taboues, terrain de cueillette, lieu de sépulture, réservées a des descendants, a des échanges en vue d’alliances... En février 1866, une interprétation restrictive de la déclaration de janvier 1855 est promulguée par circulaire : « Les Indigènes sont seulement usufruitiers et non pas propriétaires ». Ils n’en sont donc plus qu’usagers, ce qui fait désormais de l’Etat le propriétaire légal de l’ensemble des terres ! En décembre 1867, c’est le terme de tribu qui est crée par arrêté administratif : l’objectif est de rendre solidaires les membres d’un même espace en cas d’exactions (« Chacune d’elle représente un être moral collectif, administrativement et civilement responsable des attentats commis sur son territoire, soit envers les personnes, soit envers les propriétés »). Cela va permettre également aux colons de fourrer leur nez dans les problèmes fonciers internes des Kanak (l’exploitation est familiale, l’appartenance clanique, la répartition dévolue au maitre des terres - soit les premiers arrivants sur le lieu -, le tout gère de façon orale, c’est-a-dire souple pour modifier régulièrement les affectations foncières). Cette fiction de l’existence de tribus amènera au mythe du communisme terrien des Kanak, utile pour dégager des responsabilités et des sanctions collectives comme exproprier et expulser d’un coup un ensemble de personnes sur des milliers d’hectares. Alors que chacun d’eux avait des droits fonciers en différents points du territoire et que l’histoire de chaque clan consiste a reconstituer les itinéraires depuis le tertre originel, l’Etat va les fixer dans des espaces clos avec la création des tribus et des réserves.


NOUMEA 1858

L’administration créera de la même façon un nouveau statut, celui de petit-chef, destituable car nomme et par la même plus souple que ceux déjà reconnus (certains chefs kanak coutumiers récalcitrants furent destitues, éliminés ou déportés a Tahiti). L’administration recrée donc l’espace kanak : les grands-chefs règneront sur des districts tandis que les petits-chefs le feront sur des tribus (arrêté de 1898). Au fur et a mesure, les petits-chefs acquerront toutefois un rang au sein de la société kanak même si certains ne se privent pas de rappeler que leur légitimité initiale est issue d’une décision administrative et coloniale. Si aujourd’hui les Kanak se sont appropries la notion de tribu, elle représente tout de même au départ une invention coloniale : contre le mythe du bon sauvage et du communisme primitif, les Kanak avaient avant la colonisation un système communautaire base sur l'échange social (don / contre-don) a partir de productions familiales et non pas sur une propriété et un usage collectif du foncier. La terre circulait a l'intérieur d’un clan et chaque famille en avait un usage personnel, ce qui bien sur n'empêchait ni les échanges ni les prêts. Le système tribal est aujourd’hui lie à l'identité kanak et la référence sociale, en plus du clan (identifie par le nom de la personne), est finalement devenue la tribu (au nombre de 337) et non pas l’une des 33 communes la plus proche. Ceci montre en fait la capacité du peuple kanak a se rapproprier certaines créations coloniales pour les retourner contre l'État : la tribu et la resserve sont devenues des bases de préservation de la coutume pour reconquérir ensuite le reste du territoire, tout comme le vocable kanak qui était au départ une insulte a été revendiqué par les indépendantistes comme une fierté identitaire (les européens lui préfèrent de loin le terme mélanésien).

En janvier 1868, la procédure de délimitation des terres réservées a l’Etat « la propriété des mines, minières, cours d’eau de toutes sortes et sources » ainsi que la bande littorale tout en lui garantissant le droit perpétuel d’expropriation et, en mars 1876, un arrêté stipule cette fois que la tribu portera « autant que possible sur le Territoire dont elle a la jouissance traditionnelle ». L’intérêt des colons pourra désormais se justifier juridiquement et les terres laissées aux Kanak dans les réserves seront uniquement celles que l’Etat voudra bien leur laisser. Concrètement, les clans sont chassés des meilleures terres cultivables, refoulés des plaines fertiles vers les montagnes. Au total, près de 5/6e de la surface agricole utile est confisquée, dont 91 % des terroirs traditionnels de plaine ou de basses vallées. En 1903, où 88% des réserves sont en place, près de 69 % des terres kanak s’inscrivent dans un cadre de montagne. Géographiquement, ces réserves seront intégrales dans les îles Loyautés (Maré, Lifou, Tiga, Ouvéa) tandis que sur la Grande-Terre, les colons constitueront sur la côte Ouest de grands domaines à l’australienne avec du bétail en liberté (d’où l’identification des Caldoches de brousse au mythe du cow-boy avec rodéo et musique country) et se contenteront généralement du seul littoral sur la cote Est.


NOTRE IDENTITÉ, 

ELLE EST DEVANT NOUS


Ces spoliations sont particulièrement déstructurantes pour un système social kanak basé sur le rapport à la terre et plus généralement à l’environnement. Le nom porté par le clan est souvent celui d’un lieu, le tertre originel. Jean-Marie Tjibaou expliquait ainsi la légitimité kanak : « La légitimité indigène, elle est en nous, elle est en vous. Elle n’a été installée par personne ! Elle est dans le ventre de la terre kanak ! Elle ne partira pas de la terre kanak » ou « Nous ne sommes pas des hommes d’ailleurs. Nous sommes des hommes sortis de ce?e terre. (...) L’homme sort d’un arbre, d’un rocher, d’une tortue, d’un poulpe, d’une pierre, il sort du tonnerre, et le tonnerre, c’est le totem ! »

Une seconde citation sur cet aspect fondamental qu’est le foncier concerne la rupture sociale et identitaire liée aux spoliations. « Au terme de ce?e vaste opération, la plus radicale et la plus systématique jamais entreprise en Nouvelle-Calédonie, l’espace mélanésien n’a plus rien de “traditionnel”. Il se présente comme une création arbitraire complètement artificielle qui ne reje?e en rien l’image de la société pré-coloniale. Morcelé, brisé, il a désormais perdu toute cohérence fonctionnelle pour se réduire à une collection d’isolats privés de leurs flux vivifiants » 7. Derrière ce bouleversement, c’est le débat entre un prétendu monde traditionnel qui s’opposerait à une modernité rationalisante (européenne) qui se profile. Car le danger nationaliste est bien celui du mythe de l’authenticité des racines. Or si les changements induits par la colonisation ont été bien plus radicaux en termes de déstructuration sociale voire de volonté génocidaire (plus de 100000 Kanak avant 1853, 28 500 en 1906 !) que peut-être tous les autres auparavant, les sociétés kanak n’en ont pas moins toujours été en évolution. Sans compter que l’ouverture du système social kanak précolonial, concernant les populations étrangères mais aussi les rangs internes (y compris le titre de chef) favorisait l’intégration d’éléments extérieurs.

Quant à la représentation actuelle du « traditionnel », elle ne peut que s’insérer de façon stratégique dans les logiques politiques du présent : le retour à un prétendu Age d’or antérieur, à une société kanak mythique, types de danger que recouvre une lutte nationaliste, constituent donc un leurre. A titre d’exemple d’éléments aujourd’hui réappropriés, citons la religion (notamment protestante dans les Loyauté), l’Etat, la tribu, le petit-chef ou certains grands-chefs (création administrative), l’argent, certains matériaux (notamment pour le transport et la construction : on peut voir aujourd’hui des cases avec une base en dur), les habits bien sur (dont la robe-mission ras-du-cou qui descend aux chevilles, imposée par les missionnaires pour cacher la nudite des femmes) ou certains sports comme la pétanque ou le cricket.

Tjibaou, pour relier la culture et la richesse spécifiques a la civilisation kanak a l’universel, formulait cela ainsi : « Nous allons essayer de voir comment l’homme mélanésien est peut-être une autre manière d’exprimer l’humanité » ou « La recherche d’identité, le modèle, pour moi il est devant soi, jamais en arrière. C’est une reformulation permanente. Et je dirai que notre lu?e actuelle, c’est de pouvoir même le plus possible d’éléments appartenant à notre passé, à notre culture dans la construction du modèle d’homme et de société que nous voulons pour l’édification de la cité. (...) Notre identité, elle est devant nous ».

La lutte pour l'indépendance prend alors aussi le sens, en plus de la récupération des terres, d’un combat pour la liberté, celui de déterminer les éléments a conserver de sa culture et ceux a prendre a l'extérieur, en quelque sorte gérer les contraintes de façon plus libre (l’indépendance c’est gérer les inter-dépendances, autre citation de Tjibaou). Contre l’acculturation et l'impérialisme, la lutte du peuple kanak prend ici une dimension qui dépasse les clivages locaux (son aspect nationaliste), celle qui nous fait lutter a leurs cotes. Alors que certains libertaires, toujours méfiants eu égard aux leçons de l’histoire (type libertaires porteurs d’eau puis élimines), tendaient a conditionner leur soutien au contenu de l'indépendance, d’autres avaient en effet choisi un soutien lie non seulement aux aspects anticolonialistes et anti-imperialistes développés alors mais aussi a divers aspects de libération. Dans son développement, la lutte a ainsi pu recouvrir des expériences intéressantes comme les écoles alternatives (EPK : écoles populaires kanak), un réseau de coopératives, ou a pu prendre une dimension antimilitariste et antinucleaire. De même, certains aspects culturels kanak comme des pratiques économiques égalitaristes (don/contre don) peuvent au moins nous pousser au soutien actif le temps de la décolonisation : cela n’implique pas forcement un soutien sur ce qui se passera après (genre capitalisme kanak si certaines composantes indépendantistes l’emportent) ! Pour finir sur le dispositif colonial initial, précisons qu’il a compris jusqu’en aout 1946 un impôt de capitation (1898) spécifique aux Kanak qui les obligeait a se procurer de l’argent, c’est-a-dire a s’embaucher chez le colon ou a travailler pour l’Etat, des corvées obligatoires (1871) soit du travail annuel gratuit pour l’Etat et un Code de l‘indigénat (1887) 8, soit un règlement qui limite la circulation hors tribu - sauf autorisation spéciale -, institue un contrôle des corps (interdiction de la nudité, du port des armes traditionnelles et des danses funéraires) et un ordre public spécifique (notamment au travail, a l'école ou sur la voie publique). Deux générations a peine de Kanak sont passées depuis la levée de ces dispositions et la mémoire est encore vive sur la manière dont ils furent traités.

Aujourd’hui, avec le salariat, ils ont été intègres selon un mode diffèrent comme force de travail. Car la continuité entre spoliations foncières puis mise au travail force (sur ses propres terres mais au profit des colons !) réside dans le salariat. Après la guerre, les resserves vont en effet servir de stocks de main-d'œuvre dont les flux entrées/sorties seront régulés par les besoins de l'économie locale. L’industrie du nickel par exemple est sujette a de fortes fluctuations (comme le pétrole, il s’agit d’un marche mondial avec quelques gros producteurs et de nombreux consommateurs) et le recrutement de travailleurs kanak suivra ses évolutions. Après la guerre, les Kanak deviennent aussi pour la première fois des citoyens français sans condition mais ce n’est qu’a partir de 1957 qu’ils peuvent voter sans autres restrictions que celles qui prévalent pour les européens (avant il fallait être prêtre, pasteur, chef, instituteur ou ancien combattant).


LES SQUATS DE NOUMÉA

La question de la réappropriation foncière dans le Sud tend pourtant à être dépassée par une pratique qui se développe à Nouméa : les squats. 





En raison de la cherté des loyers et surtout du manque d’espace habitable (comment se résoudre à vivre dans des lieux exigus et bétonnés ?) et cultivable (la séparation entre espace d’habitation et espace de travail n’est pas accepté facilement), les Kanak ont pris l’habitude d’occuper les terrains vides. Si cette pratique à Nouméa n’est pas récente, elle s’est multipliée dans la décennie 1990. La population des cabanes ou des squats est aujourd’hui d’environ 7000 personnes, soit 10% de la population totale de Nouméa. Comme à la tribu, les règles de l’échange non-marchand se sont vite imposées et l’installation initiale se traduit par un don au plus ancien occupant tandis que les règles de fonctionnement sont collectives. Les squats « perme?ent, d’abord et surtout, la pratique d’une petite agriculture, dont la finalité est, comme partout en Océanie, autant sinon plus sociale qu’économique. Pour les squa?ers en effet, l’échange de produits vivriers au sein du quartier d’habitat spontané est destiné, d’abord, à assurer la cohésion des différents groupes, qui?e parfois à transcender le clivage ethnique pour inclure dans le réseau d’échanges les voisins originaires d’archipels différents ».


Nouvelle Caledonie Squat-du-caillou-bleu. 

Les squats sont en effet composés à 97% d’occupants d’origine océanienne : environ 50% de Kanak, 30% de Wallisiens et 20% de Vanuatais. C’est donc un lieu important de recompositions sociales entre prolétaires porteurs d’une culture non européenne. Ainsi, le clivage Kanak-Wallisiens longtemps attisé par les colons qui utilisaient ces derniers comme milice contre les indépendantistes ne joue plus dans ce contexte. Lorsque se constituent des fronts à la base dans les entreprises avec I’USTKE ou dans les squats de façon autogérée, les clivages ethniques parviennent à être dépassés avec un adversaire unique qui devient le patronat dans un cas, les propriétaires et l’Etat dans l’autre, sachant que tout ce petit monde colonial est lié par des intérêts communs. Dorothée Dussy exprime ainsi leur opposition aux squatters : « Que des populations socialement défavorisées accèdent à un logement individuel doté d’un jardin situé en bord de mer et près du centre-ville choque pour le moins le sens des valeurs de cette population. Qui plus est, le squat est perçu comme une menace pesant sur le principe même de la propriété privée, et au-delà, des fondements sociaux, et parfois aussi comme une mainmise inopportune des populations océaniennes sur la ville, restée volontairement « blanche » pendant près d’un siècle ».




De fait, les tentatives de récupération sont à l'œuvre. Un comité de soutien aux squatters s’est constitué en octobre 1992, composé des caritatifs du coin et avec le soutien implicite du Palika, toujours soucieux d’être implanté chez les jeunes et les urbains. Ce comité se charge d’organiser les squatters et de porter leurs revendications à la mairie et les pouvoirs publics concernant l’arrêt des expulsions (avec destruction au bulldozer des cabanes), l’adduction d’eau, l’électricité ou la réfection des chemins (particulièrement défoncés dans le squat de Nouville). En échange, le comité a persuadé les gens d’accepter un moratoire sur les installations de nouvelles personnes. Dès sa constitution, le CDSS (Comité de défense et de soutien aux squatters) se dote d’une charte dont les objectifs sont l’arrêt des destructions de cabanes, « la mise en place d’un programme de logement social dont les habitants actuels des cabanes seront les principaux bénéficiaires » et « une prise en compte des revendications coutumières kanak dans le Grand Nouméa ».




Une réunion publique d’information est organisée le 24 octobre 1992 tandis qu’une manifestation se tient le 21 novembre avec 200 personnes qui ont le soutien du Palika, de l’USTKE, de l’UO (Union océanienne, wallisiens). Ie comité de défense est reçu le 20 janvier 1993 par un délégué du gouvernement surtout préoccupé par l’augmentation du nombre de squatters. En avril 1993, les services sociaux de Nouméa ont fini le recensement des personnes qui vivent dans une partie de ces bidonvilles : force est de constater que la plupart d’entre-elles travaillent (au sein d’un foyer) mais dans des boulots mal payés et par intermittence seulement.




La réponse des autorités est une délibération des élus de la Province Sud qui autorisent leur président à ester en justice. Le 18 août 1993, une soixantaine de squatters reçoivent leur avis d’expulsion et le 22 septembre, le Tribunal de Nouméa leur laisse un délais de 6 mois mais confirme l’expulsion. Le CDSS rappelle alors ses propositions comme la lutte contre la spéculation immobilière, la réglementation ferme d’une politique de loyer et... « la construction de logements à moyen standing » ! On voit là que ces soutiens, comme le contenu de la Charte de 1992, proposent principalement une gestion de la misère sur un mode humanitaire et refusent d’explorer les possibilités offertes par ces squats, à savoir la négation de la propriété privée dans une vision kanak de l’appropriation foncière, la gestion différente de l’espace (refus d’habiter des cages a poules ; espace entrecoupé d’habitations et d’autres lieux destinés à la culture vivrière, à la culture ornementale, aux réunions publiques,...), la reconquête directe de l’espace européen, la gratuité et l’échange non-marchand facilités par ces squats.

En 1993, dans le cadre du contrat de ville entre l’Etat et Nouméa, la Province Sud a prévu un grand projet urbain, la ZAC Kaméré qui doit devenir un nouveau quartier comprenant 500 logements, résidentiels et sociaux 14 . Le détail oublié, c’est que cette zone est squattée depuis près de 10 ans ! L’occupation de cet espace a donc provoqué des discussions et le CDSS a accepté que les squatters (13 familles) qui logeaient sur ce terrain soient relogés ailleurs « parce que le Comité de soutien est bien conscient que le règlement de la crise du logement passe aussi par la construction intensive de nouveaux logements ». Le CDSS en est alors venu à se battre pour expulser les squatters à des conditions décentes pour notamment mettre à la place des logements résidentiels et un centre commercial ! Ce relogement fut en effet bloqué, car ce qui fut proposé aux squatters comme cité de transit étaient des cages à poules (45 m2 pour des familles composées en moyenne de 6 personnes) dont les blocs sanitaires étaient situés parfois à plus de 30 mètres des habitations et qui n’étaient pas pourvus d’électricité ! Le comité de pilotage du projet, qui agit pour le compte de l’Etat, eut tôt fait de justifier ainsi ce relogement précaire : « N’Du est une solution provisoire et nous ne voulons pas, en logeant des gens dans des conditions de confort, donner une prime au comportement incivique »... Face à ce refus, les CRS coloniaux et le GIPN (groupe d’intervention de la police nationale) sont intervenus pour occuper militairement le terrain squatté et faire signer aux gens un avis de relogement.

Jean-Pierre Guillemard, maire-adjoint à la sécurité de Nouméa, expliquait récemment sa politique anti-squat comme l’envoi de policiers municipaux pour recenser les nouvelles cabanes et, précise-t-il, « s’il n’y a personne à l’intérieur, on fait venir le bulldozer ». Mais sa plus grande satisfaction dans la limitation du nombre de squatters « réside dans l’établissement d’un protocole d’accord de non-prolifération entre les pouvoirs publics et les associations de défense des squats, qui ont accepté de jouer le jeu sous réserve que la desserte en eau potable soit assurée ». Le CDSS se voit ainsi consacré par l’ennemi avec lequel il a accepté de pactiser pour préserver la paix sociale... Enfin, précisons l’objectif de la mairie de Nouméa concernant les logements très aidés - qui concernent donc les squatters - (en 1993 fut signé entre Nouméa et l’Etat un Contrat de ville) par la voix de son maire, Jean Lèques : « Ce sera du temporaire, du transitoire pour permettre aux familles en difficulté de s’insérer au sein de la société avant de pouvoir accéder aux logements aidés. Et, pourquoi pas, d’espérer ensuite accéder à la propriété » ! Ce que le maire RPCR n’a pas compris, c’est que justement les squatters ne partagent pas sa conception des affectations foncières et ne veulent pas s’insérer dans cette société là.



ESPACES D’APPROPRIATION OU D’ÉVASION DE LA VILLE DANS LE PACIFIQUE ?

TERRES COUTUMIÈRES, SQUATS ET NAKAMALS


Christian JOST

Université Paul Verlaine – Metz


Aujourd’hui les Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie, ou Kanak, représentent 44% de la population totale, les Européens 34% (Caldoches, issus des bagnards et des colons, et Métropolitains), le reste de la population étant composée de 12% de Polynésiens du sud (dont les Wallisiens et Futuniens), de 1,4% de Vanuatais mélanésiens, de 4% d’Asiatiques (Indonésiens et Vietnamiens surtout) et de 3,6% d’autres origines. Depuis les années 1970 les Kanak luttent pour une reconnaissance et une revalorisation de leur identité culturelle et de leur patrimoine. Dans le processus de reconnaissance progressive des droits des Autochtones on peut distinguer trois, voire quatre périodes : la première de 1970 à 1988 est politisée et militante et marquée d’affrontements ; la deuxième, pacifiste et plus consensuelle, commence en 1988, année de la signature des Accords de Matignon qui lancent un processus de reconnaissance institutionnelle du patrimoine autochtone en Nouvelle-Calédonie ; la troisième fait suite aux Accords de Nouméa de 1998 et à la loi organique de 1999 qui reconnaissent et affirment l’identité culturelle kanak, elle permet d’opérer un transfert progressif des compétences d’État au Territoire et de prévoir un referendum d’auto-détermination au bout des « quinze ou vingt ans » suivant ces Accords. En 2008, s’est peut-être ouverte une quatrième phase. En effet, le lancement d’une vaste consultation sur l’avenir du territoire, à l’horizon 2025, pour mettre en place un Schéma d’Aménagement et de Développement (SAD) durable, prévoyant entre autre un rééquilibrage économique et social entre les trois provinces, marque sans doute un nouveau tournant historique par la recherche d’une destinée, voire, si possible à terme, d’une identité calédonienne communes entre toutes les ethnies en présence. Lors des travaux de préparation du SAD, le groupe en charge de la réflexion sur « Développement, culture et valeurs identitaires » s’est heurté à la difficulté de définir les identités (GNC, 2009b). Il lui a été très difficile de choisir un terme qui prenne en compte la spécificité des personnes implantées sur le territoire depuis une ou plusieurs générations.


La grande extension du territoire (19 058 km²), comparé aux autres archipels, son retard en équipements, les inégalités de développement et de partage des richesses qui engendrent la recherche d’emploi et le rapprochement des familles, sont les principaux facteurs d’alimentation de l’exode rurale vers Nouméa, « la ville blanche ». La croissance rapide et mal maîtrisée du Grand Nouméa a pour conséquences un manque de logements endémique, les déséquilibres sociaux qui s’ensuivent et le développement de l’habitat précaire en squats. Il faut aussi rappeler que la libre installation des Kanak dans la ville de Nouméa n'a été possible qu'après la suppression du code de l'indigénat en 1946. Les nombreux espaces vacants ont été investis, à partir des années soixante-dix surtout (Dussy, 2005), par des migrants villageois kanak en recherche d’emploi à la ville et au besoin de terres libres pour pouvoir pratiquer une petite agriculture afin de reproduire les conditions de vie du village ou de la tribu, notamment la production d’ignames si précieux pour les échanges coutumiers. Le besoin de pratiquer l'agriculture est à l'origine de l'aménagement des parcelles vivrières dans la ville est donc une première cause de l’apparition et du développement des squats. Une autre en est la pénurie ou l'inadéquation des logements urbains (Dussy, 2005), déterminante pour expliquer la migration de certaines familles des quartiers formels vers les zones d'habitat spontané toutes proches. A partir des années 1990, la mise en culture préalable à l’installation n’est plus de rigueur et on assiste à des arrivées et à des constructions immédiates de cabanes près des autres squatteurs généralement de la même communauté.



D’autres raisons de réinvestissement de la ville, plus « coutumières », apparaissent à l’étude de l’histoire de la communauté kanak. Les mythes de référence du mouvement Kambwa Wé Tcho, la « dynastie du Sud », révéleraient la division de l'espace de l'actuel Nouméa et de sa proche périphérie en dix territoires, relevant de dix tribus respectives. Les membres actuels de cette dynastie sont les descendants du grand chef Kuindo, et leur chef, à qui sont d'ailleurs portés les dons coutumiers des squatteurs, commande la tribu du col des Pirogues, à vingt kilomètres au nord de Nouméa. Il est intéressant de noter qu'à l'exception du squat du quartier urbain de Montravel, les territoires attribués à ces anciennes tribus correspondent très précisément aux sites actuels des squats. De fait, la principale revendication de la dynastie du Sud porte sur la restitution non pas de terrains bâtis dans la ville, mais, plus précisément, de terres non bâties de Nouméa qui correspondent dans le mythe aux territoires actuels des squats (Dussy, 1996). Un autre clan, qui revendique également des droits sur le territoire de Nouméa, déplore l'installation spontanée de la population océanienne sur son territoire traditionnel, où elle n'a été ni invitée à venir, ni coutumièrement accueillie : pour lui, le « geste » coutumier effectué par les squatteurs est nul, puisque le don est transmis à des « usurpateurs ». La réforme foncière entreprise à partir de1978 visait à une harmonisation de la répartition de l'espace foncier calédonien. Ce n'est peut-être pas un hasard si les premiers squats sont apparus peu après le début de cette réforme.

En Nouvelle-Calédonie, bien que les différents acteurs déclarent aujourd’hui bien connaître les zones de squats, la correspondance de ces zones avec les secteurs de recensement de la population de l’ISEE (Institut de la Statistique et des Études Économiques) doit être entreprise. En 1995, D. Dussy, dans sa thèse, dénombrait « entre 5000 et 7000 personnes vivant en squat dans la commune de Nouméa et dans sa proche périphérie ». Ces chiffres très approximatifs correspondaient à environ 7% de la population de la commune de Nouméa qui comptait alors 65 000 habitants.

En 2006, l’étude sur le recensement des squats dans l’agglomération du Grand Nouméa, réalisée par l’institut Taylor a établi à 8 148 le nombre de personnes vivant dans 1 553 cabanes dans les squats. A la population permanente de 6080 personnes ou 1 860 ménages, sont ajoutées les personnes hébergées. Elles représentent 34 % des permanents, soit 2 068 personnes (-180 par rapport à 2006). 60 % d’entre elles habitaient auparavant en tribu (Province Sud, 2008). Représentant environ 6 % de la population totale de l’agglomération, la proportion est en baisse, même si le nombre total augmente.

Les raisons du développement de l’habitat en squat sont multiples et relèvent de causes économiques et/ou sociales, mais certaines ont aussi une connotation politique. Ainsi, dans la communauté kanak, deux grandes conceptions, correspondant à deux tendances politiques, s’affrontent quant à la légitimité des squats de Nouméa. Un premier groupe, apparenté à la mouvance haute indépendantiste, ambitionne de redonner au sud ouest de la Grande Terre son identité précoloniale en s’appuyant sur la mythologie. Ce discours qui appuie la revendication sur une idéologie coutumière, réclame la rétrocession d’un espace foncier urbain. Le second groupe coutumier, évoqué ci-dessus, plus proche de la mouvance loyaliste, s’affirme comme le propriétaire légitime du territoire de Nouméa, mais ne le revendique que de façon symbolique. Ce groupe s’oppose au développement des squats, dont les habitants seraient dépourvus de toute légitimité foncière. Les squatteurs usent de ces deux tendances selon leur appartenance ou non à l’un ou l’autre groupe.

Les motivations des habitants des squats sont aussi économiques, financières et sociales : L’étude de 2008 a montré que 26 % des personnes interrogées sont venues dans l’espoir de trouver un emploi, 20% à cause de problèmes financiers ou d’expulsions, 11 % pour le rapprochement familial, 20% pour l’espace, la terre cultivable, la proximité de la mer ressource d’appoint par la pêche que procure le squat généralement situé à proximité de la côte, 12 % par recherche de meilleures conditions de vie (Province sud, 2008). Ces installations s’accompagnent de la reproduction des conditions et des relations qui existent au village. Les communautés que l’on rencontre dans les squats sont pour moitié des Kanak, pour un tiers des Wallisiens et des Futuniens, et pour le reste, essentiellement des Vanuatais et des Tahitiens. Or ce sont les Kanak qui (ré) investissent progressivement la ville, depuis l’abolition du code de l’indigénat.

Parfois les squatteurs sont d’anciens occupants de logements collectifs de la ville pour un habitat mieux adapté à leur mode de vie et s’installent en squat. Il arrive aussi que certains quittent une maison individuelle dont ils ne peuvent plus payer le loyer et s’installent dans le squatt voisin, conservant même de bonnes relations avec leurs anciens voisins et bénéficiant ainsi d’aide comme un accès à l’eau.




Ces squats, dont la présence est très controversée, sont venus contrarier l'identité fondatrice de la ville blanche en y introduisant des touches éparses « d'Océanité ». C’est ainsi une véritable pratique parallèle de la ville par les Océaniens qui apparaît et remet en question la « ville blanche ». Mais il existe une autre forme d’appropriation de nouveaux espaces de la ville, celle des lieux de consommation du kava, les nakamals.


QUEL DEVENIR POUR CES « NOUVEAUX » TERRITOIRES
D’APPROPRIATION DE LA VILLE ?

Si à Nouméa, l’habitat informel représente environ 5% des surfaces bâties de la ville, à Port-Vila, au Vanuatu, il dépasse aujourd’hui 10% de cette ville de 40 000 habitants. Pour comparaison, à Fidji, 120 000 personnes, soit plus de 15% de la population totale des îles Fidji vivent dans des squats en 2009. Selon la ministre fidjienne des affaires sociales, Jiko Luveni, qui cite des projections officielles, la population de squatteurs autour de la seule ville de Suva, et en particulier dans le couloir long d’une quinzaine de kilomètres qui sépare la capitale de la petite ville de Nausori (où se trouve l’aéroport de Suva), pourrait atteindre les 100 000 personnes dès 2010 (Flash d'Océanie, 2010). L’agglomération de Suva comptait 172 400 habitants au recensement de 2007... Un projet de construction de logements sociaux est actuellement en cours, sur financement chinois, mais il reste à finaliser.

A Nouméa, bien que le discours officiel annonce régulièrement la suppression des squats et la réduction des nakamals, ceux-ci se maintiennent. Dans les squats les autorités concluent des accords avec les squatteurs qui s'engagent à limiter le développement des cabanes en échange d'une amélioration de leurs conditions de vie (apport d’eau ou d’électricité). C'est ainsi que certains squats atteignent un équilibre et cessent effectivement de se développer. La logique combinée de l'accroissement démographique rapide des populations océaniennes, de la saturation du marché immobilier de Nouméa et de son inadéquation pour celles-ci, laisse cependant toujours place à l’apparition de nouveaux squats. Le squat, qui se distingue des bidonvilles par de meilleures conditions d’équipements, de qualité de bâti, d’hygiène, de salubrité, de scolarisation, etc., participe de la construction d'un modèle d'économie alternative. Pour une grande majorité de squatteurs, l’occupation s’inscrit donc dans un parcours résidentiel marqué temporairement par la précarité, souvent choisi pour ses avantages de liberté, d’absence d’imposition, la possibilité de regroupement familial ou communautaire. C'est pourquoi de nombreux squats prévoient un espace explicitement dédié à l'hébergement des gens de passage : le sleep'in.

Qu’en est-il de l’avenir des terres coutumières ? « Peut-on considérer les terres coutumières comme des espaces pouvant évoluer et faire partie intégrante d'un schéma de développement de l'agglomération ? ». Cette question posée lors de la rencontre des acteurs pour préparer le Schéma d’Aménagement et de Développement de la Nouvelle Calédonie à l’horizon 2025 est restée sans réponse. C’est dire la difficulté à appréhender et à projeter ces territoires dans l’avenir pour les décideurs. La raréfaction de grandes emprises disponibles à Nouméa entraîne un report de tous les programmes d'envergure sur les communes voisines, la ville-centre ne connaissant que des opérations immobilières ponctuelles. En revanche, les communes périphériques de Païta, Dumbéa et Mont-Dore se sont engagées dans de nombreux programmes : construction de lotissements résidentiels, projets urbains visant à créer pour les communes de nouvelles centralités regroupant logements (principalement collectifs), activités et équipements. Il s'agit également du centre urbain de Koutio et du projet Dumbéa-sur-mer à Dumbéa, du centre urbain de Boulari à Mont-Dore ; projets ayant une vocation économique avant tout, avec des installations industrielles, artisanales et commerciales et comportant parfois un programme résidentiel.

Quant aux terres coutumières en périphérie du Grand Nouméa, leur « mise en valeur » est jugée « très progressive ». Elle prend essentiellement trois formes :
le prolongement de l’activité agricole vivrière des terres de la tribu ;
l’habitat, pour desserrer l’espace de la tribu, se réinstaller sur les sites ancestraux, se désenclaver. Les projets d’habitat posent un certain nombre de problèmes techniques et financiers aux promoteurs et aux collectivités, en particulier aux communes, pour ce qui concerne la viabilisation des sites d’installation éventuelle;
l’insertion dans l’économie agricole marchande, notamment par l’élevage bovin, l’arboriculture, les productions maraîchères ou de tubercules ;

Ce dernier usage pourrait en effet être renforcé tant les besoins d’approvisionnement de la ville sont grands et les surfaces actuelles de production faibles, engendrant le prix élevé des produits maraîchers ; l’horticulture trouverait sans doute écho auprès des tribus en charge de ces terres. Une autre utilisation pourrait passer par la mise en valeur sous forme de zones de loisirs et d’échanges interculturels adaptés et acceptables par toutes les communautés ou encore de zones vertes et/ou de village éco-culturel océanien parcourus de chemins coutumiers acceptant visiteurs contre geste coutumier ou droits d’entrée.

En résumé, les trois entités socio-spatiales se ressemblent par leurs formes de préemption de la ville, passive, car antérieures à la ville pour les terres coutumières, active, car récente et en augmentation pour les squats et les nakamals. Elles sortent radicalement des schémas classiques d’aménagement urbain et obligent les aménageurs à composer, voire à inventer de nouvelles formes d’organisation et de développement de la ville. Encore faut-il que ceux-ci acceptent de remettre en cause les schémas occidentaux d’aménagement urbain. Or la vocation prédéfinie et parfois déjà programmée de ces espaces conduit à leur transformation et leur intégration progressive dans le tissu moderne de la ville. Le relogement des squatteurs qui acceptent le transfert ne se fait-il pas déjà vers de nouveaux lotissements d’habitat social situés « là où il y a de l’espace », en périphérie, loin du centre et des quartiers résidentiels ?

De la terre coutumière héritée et revendiquée au sein de l’agglomération urbaine, aux squats, nouveaux villages dans la ville, et aux nakamals, espaces mythiques, importés et adaptés, l’appropriation de la ville dans le Pacifique et plus particulièrement de Nouméa, prend des formes et des visages multiples. Ces espaces ont pourtant bien des points communs. Ils peuvent être vus comme des formes de conquête et de réinvestissement de territoires autrefois objets de spoliation , comme des territoires de marges où l’urbanisme n’a pas prise et où s’inventent de nouveaux rapports à la ville, ou comme des espaces hors du temps, de l’histoire, hors du monde actuel où l’on retrouve, qui les ancêtres, qui les liens à la terre, qui l’esprit de partage.

La terre coutumière aux fonctions hors des concepts de nécessaire « mise en valeur » à l’occidentale, apparaît pour les uns, comme un frein, une contrainte au développement urbain, quand il est pour les autres un espace de résistance ou, à tout le moins, une garantie conservatoire des traditions et de la coutume kanak et océanienne. Le squat est une forme d’occupation volontaire et d’appropriation de la ville européenne, si inadaptée au mode de vie océanien et qui avait rejeté les premiers occupants de la terre ; il permet de disposer des ressources d’appoint de l’agriculture de case, de l’élevage et de la pêche et de conserver ou retrouver le lien à la terre. Le nakamal, devenu « bar » si particulier, est aussi hors du temps et de l’espace urbain planifié ; il permet l’appropriation de lieux, de « spots », « d’atmosphères », d’espaces de marges non policés où peut être réinventée la ville, voire le monde ; ils essaiment et engendrent de nouveaux espaces de vie et de partage en marge du rythme de la modernité, salvateurs pour les uns, marginaux et dérangeants pour les autres.

Pour terminer, et sur fond de vacances qui arrivent, voici une photo d'un îlot squatté....




EXTRAITS


OCL | Organisation Communiste Libertaire

Kanaki, bilan du néo-colonialisme | 1998

http://oclibertaire.free.fr/



Christian JOST

Espaces d'appropriation ou d'évasion de la ville dans le pacifique ?

Terres coutumières, squats et nakamals.



Université Paul Verlaine – Metz


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