L'IS et Paris

PROJET D’EMBELLISSEMENTS RATIONNELS 
DE LA VILLE DE PARIS 

in :


POTLATCH 
Bulletin d’information de l’Internationale lettriste. 
Mensuel. 
N° 23 – 13 octobre 1955 
Rédacteur en chef : J. Fillon




Les lettristes présents le 26 septembre ont proposé communément
les solutions rapportées ici à divers problèmes d’urbanisme soulevés
au hasard de la discussion. Ils attirent l’attention sur le fait qu’aucun
aspect constructif n’a été envisagé, le déblaiement du terrain
paraissant à tous l’affaire la plus urgente.





Ouvrir le métro, la nuit, après la fin du passage des rames. En tenir
les couloirs et les voies mal éclairés par de faibles lumières
intermittentes.

Par un certain aménagement des échelles de secours, et la création
de passerelles là où il en faut, ouvrir les toits de Paris à la promenade.
Laisser les squares ouverts la nuit. Les garder éteints. (Dans
quelques cas un faible éclairage constant peut être justifié par des
considérations psychogéographiques.)

Munir les réverbères de toutes les rues d’interrupteurs ; l’éclairage
étant à la disposition du public.


Pour les églises, quatre solutions  différentes ont été avancées, et
reconnues défendables jusqu’au jugement par  l’expérimentation, qui
fera triompher promptement la meilleure :

G.-E. Debord se déclare partisan  de la destruction totale des
édifices religieux de toutes confessions. (Qu’il n’en reste aucune
trace, et qu’on utilise l’espace.)

Gil J Wolman propose de garder les églises, en les vidant de tout
concept religieux. De les traiter comme des bâtiments ordinaires. D’y
laisser jouer les enfants.

Michèle Bernstein demande que l’on détruise partiellement les
églises, de façon que les ruines subsistantes ne décèlent plus leur
destination première (la Tour Jacques, boulevard de Sébastopol, en
serait un exemple accidentel). La  solution parfaite  serait de raser
complètement l’église et de reconstruire des ruines à la place. La
solution proposée en premier est uniquement choisie pour des raisons
d’économie.

Jacques Fillon, enfin, veut transformer les églises en  maisons à
faire peur. (Utiliser leur ambiance actuelle, en accentuant ses effets
paniques.)

Tous s’accordent à repousser l’objection esthétique, à faire taire les
admirateurs du portail de Chartres. La beauté,  quand elle n’est pas
une promesse de bonheur, doit être détruite. Et qu’est-ce qui
représente mieux le malheur que cette sorte de monument élevé à tout
ce qui n’est pas encore dominé dans le monde, à la grande marge
inhumaine de la vie ?

Garder les gares telles qu’elles sont. Leur laideur assez émouvante
ajoute beaucoup à l’ambiance de passage qui fait le léger attrait de ces
édifices. Gil J Wolman réclame que l’on supprime ou que l’on fausse
arbitrairement toutes les indications concernant les départs
(destinations, horaires, etc.). Ceci pour favoriser la  dérive. Après un
vif débat, l’opposition qui s’était  exprimée renonce à sa thèse, et le
projet est admis sans réserves. Accentuer l’ambiance sonore des gares
par la diffusion d’enregistrements provenant d’un grand nombre
d’autres gares – et de certains ports.

Suppression des cimetières. Destruction totale des cadavres, et de
ce genre de souvenirs : ni cendres, ni traces. (L’attention doit être
attirée sur la propagande réactionnaire que représente, par la plus
automatique association d’idées, cette hideuse survivance d’un passé
d’aliénation. Peut-on voir un cimetière sans penser à Mauriac, à Gide,
à Edgar Faure ?)


Abolition des musées, et répartition des chefs-d’œuvre artistiques
dans les bars (l’œuvre de Philippe de Champaigne dans les cafés arabes de la rue Xavier-Privas ; le Sacre, de David, au Tonneau de la
Montagne-Geneviève).

Libre accès illimité de tous dans les prisons. Possibilité d’y faire un
séjour touristique. Aucune discrimination entre visiteurs et
condamnés. (Afin d’ajouter à l’humour de la vie, douze fois tirés au
sort dans l’année, les visiteurs pourraient se voir raflés et condamnés à
une peine effective. Ceci pour laisser du champ aux imbéciles qui ont
absolument besoin de courir un risque inintéressant : les spéléologues
actuels, par exemple, et tous ceux dont le besoin de jeu s’accommode
de si pauvres imitations.)

Les monuments, de la laideur desquels on ne peut tirer aucun parti
(genre Petit ou Grand Palais), devront faire place à d’autres
constructions.

Enlèvement des statues qui restent, dont la signification est
dépassée – dont les renouvellements  esthétiques possibles sont
condamnés par l’histoire avant leur mise en place. On pourrait élargir
utilement la présence des statues  – pendant leurs dernières années –
par le changement des titres et inscriptions du socle, soit dans un sens
politique (Le Tigre dit Clemenceau, sur les Champs-Élysées), soit
dans un sens déroutant (Hommage dialectique à la fièvre et à la
quinine, à l’intersection du boulevard Michel et de la rue Comte ; Les
grandes profondeurs, place du parvis dans l’île de la Cité).

Faire cesser la crétinisation du public par les actuels noms des rues.
Effacer les conseillers municipaux,  les résistants, les Émile et les
Édouard (55 rues dans Paris), les Bugeaud, les Gallifet, et plus
généralement tous les noms sales (rue de l’Évangile).

À ce propos, reste plus que jamais valable l’appel lancé dans le
numéro 9 de  Potlatch pour la non-reconnaissance du vocable  saint
dans la dénomination des lieux.

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