ARCHITECTURE | ECOLOGIE en FRANCE | 1944 - 1968





Cette analyse se consacre à l'histoire des rapports entre l'architecture et l'écologie, de l'après seconde guerre mondiale à la crise de 1973. Ce n'est pas l'histoire des formes architecturales que nous présentons ici, mais ce qui a contribué à les faire émerger des débats, les conditions - politique, technologique - dans lesquelles les nouvelles architectures prenant en compte d'une manière l'autre des considérations écologiques et environnementales viennent à naître, à disparaître, à réapparaître, et tout ce qu'elles sous-entendent. Un exercice qui exige de superposer à l'histoire de l'architecture d'autres histoires d'autres domaines. Cette recherche historique se justifie, si elle doit l'être, car elle reste à écrire ; l’histoire de l'architecture, et aujourd'hui sa critique, se déclinent le plus souvent au travers d'études et d’analyses d’experts couvrant des domaines particuliers, des périodes limitées. Nous préférons un autre mode de lecture, celui de l'interaction des théories des avant-gardes architecturales, des grands esprits de l'époque, des mises en garde des écologistes et des aspirations populaires, de l'interaction du réel et de l'utopie là où l'Etat décide et commande ; de la nécessité de théoriser la complexité plutôt que la simplifier : il serait trop simpliste d'expliquer de manière automatique, rationnelle, tout ce qui a nourri l'émergence des nouvelles avant-gardes architecturales, le principe de cause à effet serait réducteur, comme il serait erroné d'isoler, de rendre autonome leurs pensées.

C'est pour ces raisons que nous avons préféré établir une chronologie détaillée et thématique plutôt qu'une explication forcément subjective, méthode plus objective qui laisse apparaître à la fois les différences profondes entre les acteurs, leur éloignement ou leur distanciation, leurs contradictions et leurs intersections, et qui révèle toute leur complexité et leur pluralité. Ainsi, comme à notre habitude, et à contre-courant, la chronologie que nous présentons s’intéresse aux disciplines propres, extérieures et lointaines gravitant autour du domaine de l’écologie urbaine et architecturale, dans une synthèse relevant davantage du bazar, que de la perfection scientifique rigoureuse.

Pourquoi, en effet, ne pas mentionner Le domaine des Dieux (qui s'adressait aux architectes) et Idefix (premier toutou écolo), créés par Goscinny et Uderzo, pour mesurer l'état d'esprit d'une France critique envers ses élites bâtisseuses de modernité... et ses architectes_! Une France manifestement mécontente des grands travaux de l'Etat, du laisser-faire spéculatif, qui donna naissance à deux mouvements de lutte d'ampleur : la lutte pacifique et encore célèbre du Larzac, et celle bien moins évoquée, car armée, des nationalistes corses ; tandis qu'à Paris, les z-écolos exigeaient déjà , eux, la vélo-libération des quais.

Dans le titre général de cette brochure est stipulé EN FRANCE ; limite qui aurait certainement réduit des deux tiers les pages de cette brochure ; car en effet, si dans le monde de l'écologie scientifique, philosophique, et donc de la contestation, la France disposait d'un capital intellectuel de premier ordre, il n'en était pas de même pour le monde de l'intelligentsia architecturale et urbaine ; cette pénurie française, et intellectuelle et de praticiens accordant un grand intérêt - à nos yeux en tout cas - aux questions environnementales et écologiques, nous a donc conduit à franchir des frontières pour y trouver les sources de l'architecture écologique, de l'urbanisme environnemental, théorisés après la seconde guerre mondiale.





Le Corbusier
Ville parc
1930





INTRODUCTION


Présenter pêle-mêle chronologiquement une succession d'événements comporte le risque, aussi, de perturber les néophytes en architecture, et de laisser de côté des enchaînements primordiaux, même si pour les plus importants événements, une rédaction plus longue marque leur importance, pour nous, tout du moins. Cette introduction nous semble ainsi nécessaire pour parcourir en mode résumé, les grandes lignes de l'histoire écologique de l'urbanisme et de l'architecture de l'après guerre, s'étendant à la fin de l'opulence, en 1973-74.


Idéologies Anti-Urbaines
Tenter de comprendre les expériences architecturales et urbaines de l'après guerre, passe par un retour, ici bref, sur les idéologies architecturales anti-urbaines : la ville parc de Le Corbusier, les Siedlungen de Weimar, les Garden Cities d'Howard, la ville dispersée de Franck Lloyd Wright, les Green Cities du New Deal aux USA, les villes utopiques linéaires et les Cités Spoutnik réalistes soviétiques, ces projets, préludes précurseurs expérimentaux ont inventé l'architecture écologique et l'urbanisme environnemental, inspirés par les propos savants des hygiénistes, et les études scientifiques opposant aux maux des grandes villes, une nature bienfaitrice ou rédemptrice selon, pour l'Homme.

Mais au-delà de leurs prétentions à organiser de manière harmonieuse la relation homme-ville-nature, de répondre à la question cruciale de l'opposition ville-campagne, elles ont été élaborées, à divers degrés selon le régime politique ou l'étendue du territoire, afin d'atteindre cet objectif de supprimer la spéculation, de briser ses mécanismes essentiellement urbains, et pour y parvenir, les théoriciens socialistes posaient la condition, outre des manifestes provocateurs irréalisables, de bâtir de nouvelles cités au-delà des villes, dans leurs périphérie proche ou éloignée, hors de portée des pratiques spéculatives, inopérantes ici, ou aux effets moins destructeurs, moins nocifs pour le bien commun. L'écologie moderne dans les domaines de l'urbain et de l'architecture a ainsi été porté, aussi, en réaction contre les malversations spéculatives, au-delà de l'idéal d'offrir aux habitants des villes un environnement sain et hygiénique, de les arracher de la grande ville inhumaine pour un cadre de vie verdoyant, propice à leur élévation morale.
En République de Weimar, les expériences de construction des Siedlungen sont exemplaires tant par leurs qualités spatiales architecturales, leur relation avec l'environnement naturel, que dans la méthode, la stratégie, pour y parvenir, car elles symbolisent, concrétisent dans l'espace, la convergence idéologique, ou d'intérêts communs, entre tous les acteurs impliqués : politique, théoricien, concepteur, technicien, syndicat ouvrier, et souvent, grand industriel. Cet équilibre, ce consensus général plutôt que compromis, est sans doute unique dans l'histoire de l'architecture, car ici, ce sont les avant-gardes architecturales, anti-académiques, socialistes ou humanistes qui ont imaginé la ville verte de demain et leurs édifices. Mais comme l'analysait le critique et historien de l'architecture italien Manfredo TAFURI, dans Progetto e Utopia_:
«_L’idéologie anti-urbaine se présente bien sûr toujours sous des dehors anti-capitalistes, qu’il s’agisse de l’anarchisme de Bruno taut, de l’éthique socialiste des désurbanistes soviétiques, ou de la «_bohème_» de Wright. Mais cette révolte angoissée contre la "métropole anti-humaine" dominée par le mouvement du flux monétaire n’est rien d’autre qu’une nostalgie, un refus d’accepter les formes les plus avancées du capitalisme, un désir de régresser vers l’enfance de l’humanité. Et quand cette idéologie vient s’inscrire dans une perspective progressiste d’aménagement du territoire et de réorganisation du secteur de la construction, elle est inévitablement destinée à être récupérée et déformée par les impératifs contingents des mesures anti-conjoncturelles._» (1973).

Utopies d'Hier
Le cas de l'Angleterre de l'après guerre est exemplaire à ce titre car malgré une politique volontariste et interventionniste impulsée par le Parti travailliste au pouvoir, associée elle-aussi à l'avant-garde architecturale et intellectuelle, dans la grande tradition culturelle britannique naturaliste paysagiste, le programme de planification de rééquilibrage du territoire, comportant la construction de Green New Towns, puis de New Cities, de Green Belt Rings, cette riposte territoriale aboutit à un échec : la concentration d'employés exigée par l'industrie, puis le tertiaire, la spéculation, l'avènement de l'automobile, les fluctuations de l'économie, achèveront, ruineront les efforts des pouvoirs publics : les nouvelles cités effectivement vertes deviendront des Green Suburbs sans vie, des sous-utopies, des cité-dortoirs, contraignant leurs habitants à de longs déplacements pendulaires en automobile, les villes continuèrent d'enfler, de même que la demande en logements.
La planification territoriale en France après la guerre, avec d'autres instruments, tenta également un rééquilibrage de son territoire, avec, notamment la décentralisation de Paris (1945-65) ; une politique là aussi très interventionniste, conjuguant incitations et interdictions, grandes lois, appels aux industriels à s'implanter en province, etc. Une planification contrariée par la spéculation, et le laisser-faire de l'urbanisme des dérogations, mais également par la faiblesse des moyens financiers accordés au regard des objectifs à atteindre, près de vingt années de guerre (1945, 1962) en Indochine et en Afrique du Nord, et la course à l'armement nucléaire, auront la priorité de l'Etat. Restrictions budgétaires et avidité des constructeurs donnèrent naissance à la plus grande catastrophe urbano-architecturale, celle des grands ensembles et des infrastructures des ingénieurs technocrates des Ponts & Chaussées, farouches adversaires des écolos.

Ruptures
Les frondes des écologistes, des naturalistes et des environnementalistes, qui avaient inspiré les propositions des idéologies anti-urbaines, se poursuivent dès l'après guerre, mouvements de contestations renforcés par le front parallèle des anti-nucléaires mené par les plus grands savants de l'époque, Einstein, Joliot-Curie en particulier s'y distinguent. Mais, en France, ces avant-gardes n'opèrent plus sur la conscience, les travaux et les théories des avant-gardes architecturales, qui les considèrent avec dédain comme des anti-modernes nostalgiques de l'époque pré-industrielle, des apôtres du retour à la terre rappelant l'idéologie pétainiste, écologistes sans le savoir qui s'opposent à leurs projets.

Dès lors se produit une première rupture entre les protagonistes des sciences de l'environnement et de la pensée, de la philosophie écologiques, puis les intellectuels, et les professionnels de l'urbain et de l'architecture, divorce que les élites technocratiques de l'Etat, en France, tentent d'apaiser, voire de ré-concilier. En d'autres termes, l'intelligentsia architecturale renonce à jouer son rôle historique d'avant-garde, c'est-à-dire de pré-voir un avenir et d'opposer aux contradictions de la société, des instruments capables, véritablement, de les amortir, au mieux de les surmonter. Il est sidérant de constater le décalage, historique, entre les écrits des écologistes et les théories des architectes les plus influents, qui mènent un combat d'arrière-garde par la stricte application, avec des adaptations majeures, des thèses modernistes de l'avant-guerre, c'est-à-dire inactuelles : la ville-parc radieuse, et les cité-jardins qu'ils défendent comme les immeuble-villas, sont dé-naturés, le mot est juste, ne ressemblant en rien à ce qu'ils avaient imaginé vingt ans plus tôt. Et pourtant, en Inde, l'équipe de Le Corbusier s'occupe de bâtir la ville nouvelle de Chandigarh, qui est considérée comme une véritable réussite par, notamment, la qualité urbaine accordant une large place, et un large éventail à la Nature omniprésente, traitements ayant vocation, également, écologiques...
En France, c'est au contraire une dénaturation dénaturalisation des programmes consacrés en particulier à l'habitat que les architectes observent en silence, voire qu'ils approuvent sur l'autel économique d'un certes dommageable mais nécessaire équilibre financier. Silence signifiant consentement, engageant, incitant et confortant les ingénieurs et technocrates de l'Etat à poursuivre leurs oeuvres, car les échos des écologistes peinent également à convaincre la population du bien-fondé de leurs préoccupations ; cependant, progressivement enfle au fur et à mesure des massacres urbano-architecturaux, le mécontentement puis la contestation populaire que tentent d'intégrer, notamment, le Parti socialiste Unifié (1960) et les Groupes d’action municipale (1963).

Si la pensée écologiste française disposait dès l'après guerre de grandes personnalités, avec Joliot-Curie, Roger Heim, Jacques Ellul qui publie La Technique ou l’Enjeu du siècle en 1954, et son ami Bernard Charbonneau, Jean Dorst et le commandant Cousteau, etc., elle s'intéresse peu à l'urbanisme, sinon pour déplorer, rarement pour proposer. Dans ce domaine, ce sont les penseurs américains et anglais qui alimentent la critique, concentrée en particulier dans un premier temps, sur la dévastation des paysages. Au sein de cette critique, figurent des architectes, dont Buckminster Fuller, et le ouest-allemand, Frei Otto, pères de la nouvelle architecture écologique de l'après guerre, et futurs idoles des hippies. En France, Guy Debord et les Situationnistes s'emparent de la question urbaine, avec l'artiste Constant, imaginant la cité infinie New Babylon, projet utopique post-révolutionnaire, où l'environnement occupe une place non négligeable mais non centrale ; les premiers projets utopiques de l'architecte Yona Friedman concernent la ville-suspendue écologique ; mais au-delà de leurs qualités exceptionnelles, leurs propositions utopiques peinent, elles-aussi à convaincre. De même que les projets utopiques des architectes partisans de la méga-structure, écologique affirment-ils, mais aux accents totalitaires.

Henri Lefebvre
Le salut viendra du philosophe sociologue et marxiste Henri Lefebvre qui exprimait ses premières critiques sur le mode interrogatif dès le début des années 1960, puis d'articles en livres, théorise sur la question de l'opposition ville-campagne, d'où ressort les questions d'environnement. Il appelle une révolution urbaine, la participation des habitants, à l'auto-gestion, et il insiste sur la prise en compte de l'environnement et de l'importance de l'utopie architecturale urbaine. Son influence prédomine après 68 la pensée des nouvelles avant-gardes architecturales refusant le modernisme, et les mégastructures, autour des idées de participation citoyenne et d'auto-gestion appliquée à la ville, mais elles évacuent complètement son appel à imaginer la ville de demain, et surtout, les préoccupations écologiques, pour se concentrer sur les questions sociales, et en particulier, du mal-logement.C'est bien une avant-garde architecturale stérile, qui ne dessine rien, qui n'invente pas, qui théorise une possible révolution urbaine, et pour les plus radicaux, les questions écologiques appartiennent à la pensée petite-bourgeoise, et ce, malgré l'indécente multitude de luttes urbaines qui occupe le terrain de l'écologie, préparant le terreau de son avenir politique, luttes urbaines considérées comme un front mineur ou secondaire par rapport aux luttes d'usine.
Ainsi cette avant-garde stérile - qui se préoccupe des luttes pour le droit au logement ouvrier - se coupe des aspirations, de certaines tout du moins mais majoritaires, du peuple, luttes urbaines que tentent de récupérer la gauche. Mais comme l'observait Henri Lefevbre :
«"La crise de la gauche" ne s'expliquerait-elle pas, entre autres causes et raisons, par son incapacité à analyser les questions urbaines, par sa façon étroite de les poser ? Le problème urbain a cessé d'être municipal pour devenir national et mondial. La réduction de l'urbain au logement et aux équipement fait partie des étroitesses de la vie politique devenue étouffante, à droite comme à gauche. Un vaste programme urbain, qui serait aussi un projet de transformation de la quotidienneté, qui n'aurait plus aucun rapport ni avec l'urbanisme répressif et banal ni avec l'aménagement contraignant du territoire, telle est la première vérité politique à faire pénétrer dans ce qui reste de la "gauche" française pour la renouveler.»

Architecturales Radicales
La passivité stérile, voire l'inexistence d'une avant-garde architecturale en France est compensée par celles de l'étranger, d'Angleterre, d'Autriche et d'Italie, qui elles révolutionnent les domaines de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et de l'architecture, en s'appuyant sur ce que refuse les architectes français, l'écologie et l'environnement, comme l'avaient fait auparavant les architectes de l'entre-deux guerre. Ces avant-gardes radicales, et fécondes, se proposent d'adapter les villes aux nouvelles technologies et de répondre aux questions essentielles que posent l'opposition ville-campagne. La Green Smart City est inventée, déjà, en 1970. Ils tentent de coller à la réalité, et notamment, d'imaginer villes et édifices, ou bien au contraire, leurs propres disparitions, susceptibles de contenter les idéaux d'une jeunesse critique qui s'exprime dans le mouvement hippy, et les courants alternatifs, qui eux, dès le milieu des années 1960 aux USA, s'étaient confrontés à l'écologie expérimentale réalisée : ce sont les premiers concepteurs usagers de l'architecture écolo. En parallèle, en Europe, aux Pays-Bas, naît le mouvement Provo qui organise la résistance contre les projets de rénovation urbaine, et place l'écologie urbaine au coeur de leurs propos et de leurs revendications. Leurs contre-propositions écolo seront en grande partie satisfaites, puis récupérées par les partis politiques traditionnels, y compris conservateurs.

Deuxième divorce
Dans le domaine des luttes victorieuses, la fière Corse entame un long cycle d'opérations terroristes contre les projets de planification urbaine devant à terme la métamorphoser en ilot touristique bétonné, les Corses nationalistes ou régionalistes, dont certains groupuscules se réclamant de la gauche, en pratiquant le plasticage à outrance sauvera son patrimoine naturel.
En France, cette seconde rupture entre avant-garde architectural, pensée critique intellectuelle et scientifique est encore plus remarquable que la précédente, car ce divorce concerne également le monde culturel et contre-culturel. Car si la population gronde et peste contre l'urbanisme technocratique capitaliste, le monde des livres, du documentaire et du cinéma, de la photographie, de la bande dessinée, de la musique, etc., s'en amuse ou s'en désole, de manière critique. Front hétérogène actif très critique qui compense l'anesthésie quasi générale et l'incompétence notable de la presse et de l'édition qui accordaient une place minime et irrégulière à l'architecture et à l'urbanisme, ou faisaient la propagande naïve, par exemple, des grandes opérations urbaines décidées par l'Etat, sans pertinence, sans jamais une véritable réflexion critique que l'on retrouve dans la presse anglo-saxonne ou italienne, conséquence, peut-être, de l'absence d'une véritable pensée architecturale novatrice, car de leur côté, les avant-gardes architecturales radicales anglaises, italiennes sont sous les feux de leurs médias nationaux, et exposent de musées en biennales, dans le monde entier.
Dans ce contexte, l'émission télévision La France défigurée diffusée à partir de 1971 renforcera cette carence de pensée et critique et féconde, par le recours à un passéisme de pacotille, une nostalgie des temps anciens, en évitant soigneusement la chose politique : l'environnement y est traité comme une question locale d'un domaine particulier, non comme un problème politique d'ordre général.

Pénurie intellectuelle !
L'Etat, face à un contexte de pénurie intellectuelle, où les architectes sont incapables - les premiers reproches contre les architectes modernes éclatent au sein des grandes institutions de l'Etat, réveillées par un personnel jeune sensibilisé aux oppositions populaires - ou refusent de renouveler la pensée urbaine et architecturale, d'inventer, l'Etat, donc, va devoir lui-même créer sa propre avant-garde, pour pallier cette carence imaginative et d'inventivité attribuée, en grande partie à l'enseignement hors d'âge prodigué par les Beaux-Arts académiques. A la création de l'institut de l'Environnement, puis du premier Ministère de l'Environnement en 1971, objet démagogique, s'ajoutent d'autres institutions chargées elles d'architecture et d'urbanisme dont la mission politique est de relancer la production intellectuelle (culturelle comme technique) en France, tournée vers la recherche fondamentale et une recherche plus appliquée, ouverte à l’expérimentation. Ce ne sont plus les intellectuels des avant-gardes qui proposent, mais l'Etat qui les incitent ainsi à en formuler !

Le modèle USA
Ces institutions, relayées par des fondations privées, auront à charge d'envoyer tous frais payés, de distribuer de généreuses bourses à de jeunes architectes, des étudiants même, de préférence dans le pays qu'elles considèrent être en avance, un laboratoire historique où se créent des phénomènes intriguant ou s'y invente des expériences novatrices : les USA, où officient de grandes agences, et des personnalités reconnues, dont Louis Kahn, ainsi que les grands penseurs dont les travaux théoriques et critiques en urbanisme comptent parmi les plus significatifs, dont Lewis Mumford, Christopher Alexander, Kevin Lynch, etc. Le ministre de la culture André Malraux, dans un entretien réalisé par le journaliste Yves Mourousi, le 18 décembre 1968 :
« Rome n'a rien d'essentiel à enseigner à nos architectes. De même que nous devons réformer la profession, nous devons remplacer les Prix de Rome par des bourses de voyage dans les pays où se crée l'Architecture moderne ; la Finlande, les États-Unis, le Brésil, peut-être le Japon. Alors l'enseignement de l'architecture doit subir une transformation radicale. Il doit commencer par la connaissance réelle des grandes réalisations architecturales dans le monde et avoir pour but de préparer les élèves à rivaliser avec elles. Voilà évidemment le fond de toute la question. Il s'agissait naguère de savoir si nous aurions un jeune architecte qui deviendrait plus tard le rival disons de Michel-Ange, n'est-ce pas. Il s'agit aujourd'hui de savoir si nous pouvons avoir une architecture moderne française qui soit la rivale de l'architecture américaine, la rivale et non pas le disciple.»
De ses échanges franco-américains, retenons ici le français Max Falque, étudiant de lan Mac Harg, auteur de l'essai Design with Nature, publié en 1969, à l'Institute of Environmental Studies de l'université de Pennsylvanie, qui importera en France, la planification écologique, méthode inventée aux USA dès le début des années 1960.

Autonomie disciplinaire
La seconde mission que se donne l'Etat, dont les technocrates spécialistes et experts de l'urbain cogitaient sur la forme des futures villes nouvelles, sera d'intégrer la critique en son sein, en accordant aux architectes critiques, récalcitrants, subversifs même, d'une part, des postes d'enseignants dans les Unités Pédagogiques d'Architecture, dans les structures de l'administration, etc., et d'autre part en leur ouvrant plus que largement, l'accès à la commande publique, aux concours presqu'exclusivement réservés, il y avait peu, aux agences reconnues. Là, il s'agit bien d'une forme d'institutionnalisation de la critique architecturale, incitations multiples auprès des jeunes architectes, invités à inventer, à construire. Stratégie destinée à les intégrer au mieux et rapidement dans le cycle marchand de la production urbaine et architecturale, donc, qui oeuvra au mieux : les architectes exprimèrent leur passivité au sein d'une discipline considérée comme devant être autonome

Futur nostalgique Made in Italy
André Malraux avait tort, le renouveau de la pensée urbaine et architecturale en France, au point mort depuis la reconstruction, vint de Rome, ou plutôt de Bologne, car en effet, si les architectes contestataires de France refusaient les utopies des groupes radicaux italiens, ils s'intéressèrent aux théories passéistes nostalgiques rétrogrades de l'architecte Aldo Rossi, à l'architecture urbaine, dont nous ferons l'exposé en fin d'ouvrage, mais dont on peut dire ici, qu'elle ignore superbement les questions écologiques et environnementales, pour se consacrer à la ville traditionnelle, avec des méthodes dignes de l'antiquité, encore que leurs ingénieurs inventèrent les premiers éléments architectoniques écologiques, égouts et aqueducs.
Mais, au fond, pourquoi pas ? Les problèmes écologiques, environnementaux avant 1973, certes graves, pouvaient être atténués avec la fin des grands ensembles, le recentrage sur la ville ancienne, existante, pouvait contribuer à contrer l'expansion urbaine, les parcs et squares urbains redonner une place et un sens à la nature urbanisée, autre que les espaces verts modernes, etc. Ainsi, pouvait-on abandonner les questions environnementales aux ingénieurs territoriaux, aux techniciens, et celles écologiques aux paysagistes, d'ailleurs incompétents car n'ayant reçu aucune formation autre qu'empirique.

1974, Fin de cycle
Cependant, ces raisonnements conjugués à d'autres d'ordre politique volèrent en éclats, à partir de 1974, avec les conséquences dramatiques de la crise économique liée à la substantielle augmentation du pétrole : l'économie écologique appelait à nouveau, à une refonte des théories en urbanisme, à leur nécessaire adaptation. Mais, en France, la pensée émergente de l'intelligentsia architecturale et paysagiste, qui avaient trouvé une occasion de renaître de leurs cendres après des années d'errance et un mea culpa anti-moderniste, ou post-moderne, n'y étaient pas [pré]-disposée. Au contraire même, les acteurs de l'intelligentsia, tous, participèrent à la conception des villes nouvelles, et des Nouveaux villages, aux concours des Maisons de ville, et Immeubles de ville, malgré les critiques expertes s'interrogeant sur leurs qualités de sociabilité et écologiques, et esthétiques comme le soulignait le critique de l'architecture Jacques Lucan :
« le caractère le plus souvent nostalgique et passéiste des réalisations a tendance à rendre difficile ou à décourager la poursuite de la réflexion urbaine.»

Ainsi, au moment même où le regard se tourne vers un futur incertain, plus lourdes se font les chaines de la tradition. L'on s'interroge sur leurs qualités environnementales et écologiques car les villes nouvelles, et en particulier celles de la région parisienne, reprennent en l'adaptant, le modèle de la New Town britannique, dont on reprend le nom ; modèle expérimenté dès l'après guerre, et qui selon les analyses érudites des critiques mettaient en question non pas la nature des intentions, la prétention de l'Etat, mais le mythe même du déterminisme écologique.

Ce renouveau aurait également pu accompagner la naissance des organisations écologiques politiques, qui s'observe peu avant 1973, et qui se développent notamment grâce aux luttes anti-nucléaires contre le plan de nucléarisation porté par l'Etat. Mais si l'intelligentsia architecturale n'aimait guère les z-ecolos, le désintérêt des écologistes pour l'architecture, en général, était tout aussi prodigieux, une sorte de Je t'aime, moi non plus réciproque. Si dans le domaine de l'urbain, les écologistes proposent et contre-proposent, rien n'est pensé pour ce qui concerne l'architecture écolo. L'affiche dessinée par l'écologiste Brice Lalonde est à ce point affligeante et révélatrice d'une pensée archaïque en architecture, qui reprend tout pareil le mythe convenu de la ville ancienne, un quartier populaire de Paris, mais dont les maisons sont bardées de symboles écologistes : éoliennes, verdures verticales envahissantes et potagers urbains, vélos, piétons, etc., et même les quais de Seine devenus piétons ! Ces mêmes symboles, d'ailleurs, se retrouveront une trentaine d'années plus tard dans les illustrations de l'intelligentsia architecturale, obligée, à nouveau, de répondre aux invectives de l'Etat, des Etats, en matière de DD, Développement Durable.





Architecture Ecologique
Et pourtant, quelques architectes de France, une poignée, avaient échappé à l'incurie intellectuelle dictée par les passéistes, comme aux dogmes du modernisme, et mieux, pensaient leur travail dans une relation intime avec sinon l'écologie, mais le milieu naturel, paysager où s'inscrivaient leurs réalisations. Une architecture respectueuse du Genuis Loci offert par la nature. Parmi les premiers aventuriers de l'architecture sculpture, organique ou naturelle, Jacques Couëlle et Antti Lovag comptent parmi les plus talentueux, mais ils seront tout au long de leurs carrières critiqués car leur production toute entière s'adressait à une clientèle fortunée Aga Kahn, Bettencourt, Cardin, etc.) ; Jacques Couëlle, en particulier, était affabulé du titre d'architecte des milliardaires, ce qui est exact, tant il se désintéressait de la chose sociale. D'autres encore, parmi les moins inspirés, étaient critiqué pour la qualité esthétique plutôt mièvre de leurs réalisations, ce qui est également exact.

Or, deux architectes appartenant à cette famille, Jean Renaudie et Vladimir Kalouguine signeront dans les années 1970, les permis de construire de trois opérations de logements HLM, à Angers, Ivry-sur-Seine et Givors. Leurs réalisations ne présentent pas véritablement un caractère écologique, écologie d'ailleurs absente dans leurs rares commentaires, mais elles proposent un rapport différent entre végétal et architecture, entre nature et urbanisme, entre artificiel et naturel. Jean Renaudie, marxiste, inspiré par Henri Lefebvre, ajoutera à ces édifices verdoyants, une dimension sociale et culturelle, très, très éloignée des préoccupations de Green Washing des architectes d'aujourd'hui, camouflant tout au plus de choucroute - le terme appartient à la tradition Beaux-Arts - verte les façades verticales et les toitures horizontales de leurs édifices, dans l'espérance futile d'être dans l'air du temps, mais incontestablement, il manque dans leurs projets, une autre dimension. A y regarder de plus près, convenons que celles de Renaudie et Kalouguine, précurseurs de l'architecture écologique destinée au social, ne s'embarrassent pas de questions esthétiques, simplement, leurs architectures ne sont ni laides ni belles, peu importe : l'éthique en architecture peut se passer d'esthétique. Là encore, malgré la crise de 1973, puis de 1979, qui auraient pu déclencher l'avènement de l'architecture écologique, solaire, expérimentale, être le support du renouveau de la pensée architecturale, les architectes reconnus - les star-chitectes - préférèrent les exercices de style, plutôt que d'y répondre, et d'en débattre..


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