La
Commune de Shanghai
et la Commune de Paris
Hongsheng Jiang
La Fabrique | septembre
2014
Il y a 50 ans en Chine, la Révolution Culturelle
Une révolution dans la révolution
Le 21 mai 2016, 18 heures,
Conférence-débat
avec Hongsheng
Jiang,
professeur à l'université de Pékin, au
local de l'ACTIT,
54 rue d'Hauteville à Paris (Métro Chateau d'eau ou
Bonne
Nouvelle).
INTRODUCTION
En
1871, pendant la guerre franco-prussienne, les travailleurs parisiens
se révoltèrent contre le gouvernement bourgeois et formèrent la
Commune de Paris. Pour les marxistes classiques, c’était le
premier gouvernement des travailleurs, un modèle exemplaire, quoique
embryonnaire, de dictature du prolétariat. Pour Marx, le principe de
la Commune de Paris était que « la classe ouvrière ne peut
pas se contenter de prendre possession de la machine d’État toute
prête, et de la faire fonctionner pour son propre compte ».
Après la défaite de la Commune, cette interprétation se propagea
dans le monde entier et en particulier en Chine.
La
Chine du xxe siècle a connu plusieurs expériences
théoriques et pratiques de type Commune. À la fin de 1966 et au
début de 1967, inspirés par la théorie maoïste de la révolution
continue et par l’idée d’une structure d’État de type
communal, les travailleurs rebelles de Shanghai, associés aux
étudiants rebelles et à des cadres révolutionnaires du parti,
prirent l’audacieuse initiative de renverser par sa base le vieux
système de pouvoir – événement connu sous le nom de Tempête de
janvier. Le 5 février 1967, les travailleurs de Shanghai
fondèrent la Commune de Shanghai sur le modèle de la Commune de
Paris : une nouvelle structure donnant le pouvoir aux masses, à
leurs représentants et à leurs organes. À l’époque de Mao, ce
mouvement de type Commune fut à l’origine de changements
révolutionnaires dans la société et la structure de l’État en
Chine.
Le
9 septembre 1976, Mao Zedong mourut. Dans le mois qui suivit, le 6
octobre, un coup d’État eut lieu, fomenté par le Premier ministre
Hua Guofeng, le maréchal Ye Jianying, le général Wang Dongxing, le
Premier ministre adjoint Li Xiannian, et d’autres hauts dignitaires
de l’armée et du parti. Dans la foulée, un grand mouvement balaya
la Chine en 1976 et 1977 pour décrire et critiquer les « crimes »
de la « bande des Quatre »[1] et
de leurs séides (jiepicha
yundong).
Les dirigeants du coup d’État poussaient le peuple à frapper les
partisans de la « bande des Quatre » comme il avait
frappé les diables japonais et les soldats du Guomindang. Une vague
de terreur se répandit sur toute la Chine. Par dizaines de millions,
les rebelles maoïstes furent arrêtés et persécutés. Dans la
province côtière de Zhejiang par exemple, au sud de Shanghai, tous
les représentants des masses et de l’armée, des vétérans du
parti, des militants de base des équipes de production dans les
villages furent soumis à des enquêtes et plus de quatre millions
d’activistes furent durement sanctionnés. Dans cette même
province, dans la région de Taizhou, en s’en tenant aux seuls
employés du gouvernement, 2 personnes furent fusillées, 11 se
suicidèrent, 23 furent condamnées à des peines de prison, 50
furent exclues du parti et 3 200 enseignants furent démis de
leurs fonctions [2].
Dans la lointaine province du Yunnan, un million et demi de militants
de la Révolution culturelle furent inquiétés, 150 000 furent
l’objet de sanctions disciplinaires dans le parti et plus de 50 000
furent arrêtés et condamnés à des peines de prison ou de
« rééducation » par le travail. On comptait parmi eux
plus de 7 000 cadres moyens et supérieurs du parti et de
l’armée.
Pour
donner un côté spectaculaire à cette action contre les rebelles de
la RC (Révolution culturelle), on monta des procès contre de
« petites bandes de Quatre », formées symboliquement de
trois hommes rebelles et d’une femme, pour singer la « bande
des Quatre » de Pékin. Dans de nombreux cas, après un meeting
de masse, ces « petites bandes de quatre » étaient
promenées dans la ville sous escorte militaire jusqu’au poteau
d’exécution.
Ceux
qui contrôlaient la machine de propagande qualifiaient de
désastreuse l’économie chinoise pendant la RC, qu’ils disaient
au bord de l’effondrement sous l’influence de la « bande
des Quatre » et de Mao. Ils affirmaient que les gens haïssaient
si fort la « bande des Quatre » qu’en apprenant son
écrasement, ils allaient acheter des crabes au marché, trois mâles
et une femelle, et cuisinaient un plat qu’ils appelaient « bande
des Quatre [3] ».
Il y a là quelque chose d’absurde car le crabe étant une denrée
de luxe, on voit mal comment les gens ordinaires pouvaient en acheter
si l’économie était au bord de l’effondrement. Plus
sérieusement, peut-on croire que la situation économique était
désastreuse à la fin de l’ère maoïste, alors qu’il n’y
avait pratiquement aucun chômage, pas d’usines fermées, pas de
faillites, pas de dette interne ni extérieure, et une agriculture et
une industrie en croissance rapide ?
Faire
le procès des activistes de la RC, c’était s’attaquer également
à tout ce qui était lié à la RC, et finalement à la RC
elle-même. Des milliers de statues de Mao érigées sous la RC
furent démolies et leurs débris enterrés, le plus souvent de nuit,
sans aucun débat public. On bannit les opéras, les films, les
images, les livres produits pendant la RC [4].
Le 6 janvier 1977, le régime de Hua Guofeng donna l’ordre de
brûler les livres liés à la « bande des Quatre » et à
ses partisans. Pour gommer toute trace historique de cette époque,
tous les livres théoriques, historiques, politiques et tous les
spectacles produits pendant la RC devaient être détruits [5].
On brûla des livres dans toute la Chine. Shanghai, qualifiée de
« zone sévèrement touchée », fut particulièrement
frappée par cette campagne de destruction. Un bibliothécaire de
l’université de Fudan se souvient :
À
l’automne 1977, nous avons reçu l’ordre de réunir tous les
documents concernant la RC. Les unités de travail devaient livrer et
détruire leurs collections. Ce jour-là, des camions de l’usine de
papier sont venus se parquer devant la bibliothèque de Fudan. De
9 heures à 3 heures de l’après-midi, sac après sac,
nous avons jeté par les fenêtres livres et documents sur la RC. Une
fois le travail terminé sur les deux tiers de la bibliothèque, nous
avions faim… Ce travail ne nous plaisait pas car nous sentions bien
que ce matériel avait de la valeur et méritait d’être conservé.
J’ai alors fait signe à ceux d’en bas pour leur indiquer
que nous avions fini – ce qui nous permettait de garder au moins un
tiers de la collection.
Outre
les livres et documents, les institutions créées pendant la RC, et
particulièrement le Comité révolutionnaire de Shanghai, tombèrent
dans la catégorie de ce qu’il fallait détruire. Bien que le nom
de Comité révolutionnaire (CR) ait subsisté pendant quelque temps,
sa substance changea totalement, puisque tous les représentants des
rebelles furent exclus, emprisonnés, voire fusillés. Le CR de
Shanghai fut finalement démantelé en 1979. Le rêve de la Commune
de Paris, qui avait été une source d’inspiration en Chine pendant
près de cent ans, fut balayé par un « vent fétide et une
pluie de sang », comme Mao lui-même l’avait prédit pendant
sa dernière année [6].
Finalement,
Deng Xiaoping arriva au pouvoir et employa la force pour détruire
toutes les communes populaires rurales. Une légère amélioration de
la récolte de céréales à l’ère postmaoïste fut attribuée à
la restauration de la petite propriété paysanne, qui avait duré
plus de mille ans et causé d’innombrables famines – et non aux
réalisations de la RC, comme les travaux de régulation des eaux,
les campagnes pour l’amélioration des méthodes de l’agriculture
(nongtian
jiben jianshe),
la construction d’usines d’engrais et l’introduction d’une
semence de riz hybride (zajiao
shuidao).
Deng Xiaoping se servit de fonds d’État accumulés à l’ère Mao
pour augmenter le salaire des ouvriers. Simultanément, il dénonçait
la prétendue « persécution » des intellectuels par la
« bande des Quatre » et promettait d’améliorer
rapidement leur salaire et leur statut social. Pour s’attirer les
intellectuels, le régime de Deng instaura une « journée des
enseignants », le 10 septembre, jour qui suit celui de la mort
de Mao – ce qui peut être considéré comme une manière de fêter
cette mort[7].
Au début des années 1980, le régime de Deng Xiaoping alla plus
loin que celui de Hua Guofeng en lançant une campagne pour « effacer
totalement la RC », en diabolisant ses leaders, y compris Mao
Zedong. Pour Deng Xiaoping, la vie de Mao ne méritait qu’un san
qi kai,
c’est-à-dire un résultat à 30/70, 30 % d’échec et 70% de
succès. Puis la propagande officielle inversa la proposition en qi
san kai,ou doo
san qi kai (30 %
de bon et 70% de mauvais). En dehors des victoires militaires de Mao
qui avaient fondé la RPC, toutes ses réalisations étaient
dépeintes comme des désastres, en particulier le mouvement de
collectivisation des campagnes de 1956. En manipulant les
statistiques et en distordant l’histoire du Grand Bond en avant,
Deng Xiaoping et ses suiveurs dénigraient Mao dans des publications
« académiques », faisant état d’un nombre
incroyable de morts – plusieurs douzaines de millions – pendant
la prétendue famine suivant le Grand Bond [8].
Des tabloïds, des journaux du parti, des films, des livres
répandaient de fâcheuses rumeurs sur les rebelles maoïstes,
exagéraient les souffrances subies par les intellectuels et les
cadres. Tout cet ensemble finissait par faire de la RC un holocauste
criminel sans précédent, mêlant désastre économique, violence
irrationnelle, meurtres de masse, destruction des traditions et
insanités diverses. Les intellectuels « libéraux »
et les officiels tendaient à présenter Mao – parfois
explicitement – comme un « Hitler d’Orient ». Un
historien libéral de l’université Qinghua à Pékin traitait les
communes rurales de « camps de concentration » de style
Auschwitz. Durant les trente dernières années, par toutes sortes de
moyens, les Chinois ont été inondés par l’injonction de ne plus
jamais permettre le retour de cette « tragédie »,
la RC. Il en résulte que Mao et la RC sont mal considérés par
nombre de paysans et d’ouvriers. Quant à la Commune de Shanghai,
elle n’est que très rarement mentionnée.
Du
fait de la censure, les études universitaires sur la RC en Chine ne
peuvent que suivre le verdict officiel édicté par Deng Xiaoping. En
fait, jusqu’à aujourd’hui, la recherche sur la RC en dehors du
parti était considérée comme « zone interdite ».
Seuls les auteurs autorisés par le gouvernement pouvaient publier
leurs travaux. Il n’était pas possible de publier des recherches
divergeant du point de vue officiel, en particulier celles qui
exprimaient des idées de gauche. Et si d’aventure quelqu’un
réussissait à franchir la censure – ou l’autocensure des
journalistes et des éditeurs – il s’attirait les plus violentes
critiques du courant académique dominant [9].
De nombreux documents importants sur la RC ont été maintenus hors
du domaine public – bien qu’ils soient de plus en plus nombreux à
être aujourd’hui accessibles par différents canaux. Même ceux
qui vendaient au marché aux puces des tracts et des journaux datant
de la RC étaient souvent poursuivis et frappés d’amendes
arbitraires. En outre, presque tous les sites Internet consacrés à
la RC, quel que soit leur bord politique, ont été bloqués ou
fermés par le gouvernement chinois.
Pour
les chercheurs à l’extérieur de la Chine, même s’ils ont plus
de facilités, le principal obstacle est le manque de matériel, de
documents historiques de première main et de récits personnels. Il
est très difficile d’interviewer des personnages clés ayant été
acteurs ou témoins de la RC, ou d’enquêter sur des lieux
importants. En 2006, je suis allé à Shanghai dans l’espoir de
travailler sur les lieux historiques de la RC. Quand j’ai eu fini
de prendre quelques photos de l’ancienne mairie, j’ai été
immédiatement appréhendé par des gardes de la sécurité qui m’ont
menacé et soumis à un interrogatoire. Ils ont détruit les films et
enregistré mes papiers d’identité. Quand j’ai tenté de
rencontrer des personnages importants de la RC, on m’a dit qu’ils
étaient étroitement surveillés, et ceux que j’ai réussi à voir
étaient obligés de dire aux services gouvernementaux qui ils
avaient rencontré.
Du
fait de toutes ces difficultés, j’ai dû principalement fonder ma
recherche sur la Commune de Shanghai en partant de ce qui avait été
écrit pendant et après la RC. Pour reconstruire l’image de cette
Commune, il m’a fallu rassembler pièce par pièce les éléments
historiques relatifs à cet épisode, ce qui m’a pris plusieurs
années. Les sources primaires de ce livre peuvent se classer en
trois groupes.
Le
premier est constitué des publications officielles pendant la RC.
J’ai utilisé beaucoup d’informations provenant du Quotidien
du peuple (renmin
ribao),
duDrapeau
rouge (hongqi),
de l’agence Chine nouvelle (Xinhuashe)
et de l’hebdomadaire en anglais Peking
Review.
Les articles provenant du pouvoir central permettaient d’étudier
la politique et l’attitude officielles sur les divers sujets
contemporains de la RC. Par exemple, certains chercheurs étaient
d’avis que pendant tout le temps qu’a duré la Commune de
Shanghai avant qu’elle soit remplacée par le CR, le Parti
communiste chinois n’avait jamais reconnu officiellement le
gouvernement rebelle de Shanghai. Mais en fait, le Quotidien
du peuple a
publié le 17 février 1967 un article faisant l’éloge de
l’« Organe suprême de pouvoir des rebelles révolutionnaires
de Shanghai ». Cette source gouvernementale montre que la
direction maoïste a bien reconnu la légitimité et l’autorité de
la Commune de Shanghai, même si elle n’était apparemment pas
d’accord avec le titre de Commune.
Le
deuxième groupe de matériaux est fait des documents chinois
(publiés ou non) produits après la RC. Même si, comme on l’a vu,
les livres et articles qui s’écartaient de la ligne officielle ne
pouvaient être publiés en Chine, même si les publications
autorisées sont partiales et ne constituent parfois que des gloses
sur les verdicts officiels du régime, certaines contiennent pourtant
des éléments intéressants. J’ai tiré des détails historiques
du livre de Chen Pixian, premier secrétaire du parti communiste de
Shanghai, Au
cœur de la Tempête de janvier(Chen
Pixian huiyilu : zai yigue fengbao de zhongxin),
même si ses souvenirs sont parfois fantaisistes. Autre document
utile : le Récit
historique de la grande RC à Shanghai,
rédigé de 1988 à 1994 par le « Groupe de rédaction et de
compilation de matériel historique sur la grande RC ». Cet
ensemble de plus de 1000 pages, en deux volumes, participe de
« l’effacement total de la RC », mais il est riche de
détails intéressants. Bien qu’il s’agisse d’un récit
officiel, comme il concerne beaucoup de personnages importants de
l’ère post-Mao, il n’a pas été publié et reste à l’état
de manuscrit.
Plusieurs
livres de souvenirs ont été publiés après la RC à Hong Kong et
Taiwan. La plupart sont hostiles à la RC mais contiennent des
éléments utiles – par exemple les Réflexions
de Wang Li (Wang
Li fansi)
et les Souvenirs
racontés par Chen Boda(Chen
Boda zuihou koushu huiyi).
Les mémoires du leader intellectuel rebelle Xu Jingxian, Dix
ans, un
rêve (Shi
nian yi meng),
publiés à Hong Kong en 2003, m’ont été précieux pour
reconstituer l’histoire de la Commune de Shanghai.
Le
troisième groupe de documents que j’ai utilisé, le plus
important, est constitué de tabloïds, journaux, brochures, tracts,
affiches, carnets produits pendant la RC par les gardes rouges et les
rebelles. Par exemple, les Notes
de travail de
Ye Changming ont fait l’objet d’une publication non officielle
par deux historiens de Shanghai, Jin Guangyao et Jin Dalu. Ye
Changming, l’un des leaders du QGO à Shanghai, a enregistré
nombre de précieux détails historiques depuis le 12 novembre 1966
jusqu’au 24 juillet 1967, couvrant ainsi toute la période de la
Tempête de janvier et de la Commune de Shanghai. Mais le plus
difficile a été de trouver des publications émanant des factions
conservatrices, anti-QGO (Quartier général ouvrier),
anti-Commune. Pour combler ce manque, j’ai incorporé des matériaux
postérieurs à la RC, qui exprimaient l’opinion d’anciens
éléments conservateurs ou de rebelles anti-Commune de Shanghai,
comme les anciens gardes écarlates.
Du
fait de la censure et de la répression, beaucoup d’anciens
rebelles ont mis leurs mémoires en ligne, ce qui constitue le
quatrième groupe de matériaux dont je me suis servi et qui m’a
permis de combler dans une certaine mesure l’absence d’interviews
de première main d’ex-activistes de la RC à Shanghai. Dans
plusieurs passages de ce livre, je cite les souvenirs de Cao Weiping,
ancien garde rouge à l’université de Fudan et aujourd’hui
célèbre activiste sur Internet. J’ai aussi utilisé plusieurs
interviews disponibles sur Internet, comme celle de Pan Guoping, l’un
des premiers chefs du QGO. Beaucoup de ces sources sont disponibles
sur le Réseau chinois de recherche sur la RC, lancé en 2005
(http://www.wengewang.org,
le meilleur site bilingue anglais/chinois consacré à l’étude de
la RC).
On
ne s’étonnera pas de trouver dans ce livre de nombreuses citations
de Mao, pour illustrer ses conceptions de la révolution continue, sa
façon d’imaginer une structure d’État entièrement renouvelée,
sa justification du changement de nom de la Commune de Shanghai, etc.
Malheureusement, les Œuvres
complètes de Mao Zedong n’ont
jamais été publiées. Après le coup d’État de 1976, le régime
de Hua Guofeng, cherchant à montrer sa « fidélité » à
la ligne Mao mais négligeant la volonté de Mao lui-même d’être
incinéré, construisit un mausolée Mao sur la place Tien’anmen.
On annonça également la publication prochaine des Œuvres
complètes.
Mais le régime de Hua Guofeng fut rapidement supplanté parDeng
Xiaoping et les siens, qui lancèrent un grand mouvement anti-Mao, à
la fois idéologique, institutionnel et organisationnel. Le travail
de compilation et d’édition des Œuvres
complètes fut
donc sans cesse retardé, et l’on ne publia que des textes choisis,
dont plusieurs articles écrits par Mao pendant la RC. Le projet le
plus important, publié entre 1987 et 1998, était celui
desManuscrits
de Mao Zedong depuis la fondation de la République populaire de
Chine –
mais les textes relatifs à la RC ne représentaient que deux volumes
sur les treize de la série. Ils constituent l’une des sources
directes, bien que beaucoup d’articles de Mao et de ses discours
importants aient été délibérément exclus de cette sélection.
C’est pourquoi les chercheurs sont obligés de recourir à d’autres
versions d’œuvres choisies de Mao, comme Vive
la pensée de Mao Zedong,
publié pendant la RC par divers groupes de gardes rouges et de
rebelles. Il en a existé des centaines de versions : j’ai
utilisé l’édition en cinq volumes imprimée à Wuhan en
1967–1968 : plus de 1 500 pages, éditée par Wang
Chaoxing, enseignant au département de philosophie de l’université
de Wuhan, qui constitue probablement l’édition la plus complète.
J’ai
utilisé toutes les sources en anglais que j’ai pu trouver sur la
Commune de Shanghai en commençant par le Shanghai
Journal de
Neal Hunter, un témoin visuel des événements. Neal Hunter et sa
femme étaient des Australiens arrivés à Shanghai en avril 1965
pour travailler comme professeurs d’anglais à l’Institut des
langues étrangères. Pendant les deux années qu’il a passées à
Shanghai, Hunter a eu largement l’occasion d’y observer les
événements du début de la RC, l’instauration de la Commune et
son remplacement par le Comité révolutionnaire. Son livre, fondé
en outre sur une riche collection d’affiches, de tracts et de
tabloïds, est un compte rendu au jour le jour des débuts et de
l’apogée de la RC à Shanghai. William Hinton, chroniqueur de la
révolution chinoise que son livre, Fanshen,
a rendu célèbre, trouvait « fascinant » le récit de
Hunter, tout en estimant qu’il suivait une ligne « prorévisionniste
sophistiquée » qui était « subtilement biaisée en
faveur des bandits capitalistes tant qu’ils étaient encore au
pouvoir, et qui passait à un soutien à l’ultra-gauche une fois
l’establishment renversé ».
Sophia
Knight, elle aussi enseignante à l’Institut des langues
étrangères, a écrit Window
on Shanghai : Letters from China 1965-1967,
livre qui contient également d’intéressantes descriptions de la
RC à Shanghai. J’ai également tiré profit de l’important
travail d’Elisabeth Perry et Li Xun,Proletarian
Power : Shanghai in the Cultural Revolution.
Pour ce qui est des sources primaires en anglais, j’ai surtout
utilisé Peking
Review,
un hebdomadaire publié par le PCC ; Chairman
Mao Talks to the People,
édité par Stuart R. Schram ; CCP
Documents of the GPCR, 1966-1967,
édité par l’Union Research Institute, Hong Kong ; Chinese
Politics,Documents
and Analysis,édité
par James T. Myers, Jurgen Domes et Erik Von Groeling ; et The
People’s Republic of China :
1949-1979, A
Documentary Survey,édité
par Harold C. Hinton.
La
Commune de Shanghai n’a duré que vingt jours, et le CR, sa
métamorphose, n’a tenu que dix ans. Mais les expériences et les
leçons apprises pendant cette période ne doivent pas plonger dans
les ténèbres de l’histoire. La révolution socialiste chinoise,
inspirée par près de cent ans d’histoire de l’Occident, était
fondée sur les initiatives et les luttes des travailleurs chinois.
La démocratie que cette expérience a mise en œuvre, les pistes
qu’elle a explorées, les limites qu’elle a rencontrées
continuent à jeter leur lumière. Il faut rétablir la véridique
histoire de la Commune de Shanghai. Chaque fragment de matériel
historique relatif à la Commune de Shanghai témoigne d’une
irrésistible passion pour créer un monde meilleur et réaliser le
vieux rêve chinois de la Commune. Si ce travail pouvait servir à
poursuivre ce rêve, j’en serais profondément heureux.
Hongsheng
Jiang
Hongsheng Jiang a rédigé sur le sujet un PhD à la Duke University (Caroline du Nord) sous la direction de Fredric Jameson et de Michael Hardt. Il est aujourd’hui professeur associé à l’université de Pékin.
NOTES
2 Dans le district de Linhai, 20 activistes de la RC se suicidèrent et 40 furent condamnés à des peines de prison. Dans le district de Huangyan, 20 se suicidèrent, un fut condamné à mort et 37 à des peines de prison. Même dans la petite île de Yuhuan, 4 activistes furent poussés au suicide, 39 furent condamnés à diverses peines de prison et 44 chassés du parti et de leur travail. Dans l’usine de machines-outils de Hangzhou, qui ne comptait que 2 000 travailleurs, 3 se suicidèrent, un devint fou, et 38 furent emprisonnés. Dans la province de Jiangxi, au sud-est du pays, nombre d’activistes de la RC, des ouvriers pour la plupart, furent fusillés. Dans cette province, Li Julian, une rebelle de la ville de Ganshou, avait affirmé que l’arrestation de la « bande des Quatre » était un coup d’État droitier, qu’elle considérait Hua Guofeng comme un carriériste capitaliste, et qu’elle mettait ses espoirs en Jiang Qing. On ne tarda pas à la fusiller. Voir Jiangxi Jinggangshan, « Denouncing the Cruel Persecution of the Rebels and Red Guards by the Jiangxi’s Capitalist Roaders in and after the CR » (« Kongsu Jiangxi zhouzipai wenge zhong yu wenge hou dui zaofanpai hongweibing canyurendao de pohai »), http://www.wengewang.org/read.php?tid=31609, consulté le 25 septembre 2013. Et « A chronology of Li Jiulian » (« Li Jiulian Nianpu »), http://www.wengewang.org/read.php?tid=3261.
3 Voir
Xiao Di Zhu, Thirty
Years in a Red House : a Memoir of Childhood and Youth in
Communist China,
University of Massachusetts Press, 1999, p. 170 ; Roderick
MacFarquhar, Michael Schoenhals, Mao’s
Last Revolution,
Harvard University Press, 2006, p. 449 ; James Rodman
Ross, Caught
in a Tornado :
A Chinese American Woman Survives the CR,
Northeastern University Press, 1994, p. 156.
4 Ces dernières années, quelques-uns de ces opéras ont été joués avec grand succès.
5 Tous les livres comportant des articles écrits par des intellectuels radicaux (comme Liao Xiao, Qing Huawen, Chi Heng, Cheng Yue, Chu Lan, Jiang Tian, Luo Siding) furent retirés de la circulation. Même les articles écrits par ces auteurs sous des noms de plume furent soigneusement identifiés et oblitérés.
6 Dans une conversation avec Wang Hongwen, Zhang Chunqiao, Hua Guofeng, Jiang Qing et d’autres, tenue le 15 juin 1976 (peut-être le 13 janvier) Mao a dit : « La grande RC est quelque chose qui n’a pas atteint sa conclusion. Je transmets donc la tâche à la prochaine génération. Peut-être cette transmission ne sera pas paisible. Qu’adviendra-t-il à la génération qui vient si tout échoue ? Il y aura alors un vent fétide et une pluie de sang. Comment vous en sortirez-vous ? Dieu seul le sait ! » Voir Mao Zedong, « Seal the Coffin and Pass the Final Verdict », in Schoenhals (éd.), China CR, 1966-1969 : Not a Dinner Party, Armonk, NY, M.E. Sharpe, 1996, p.293.
7 Le régime actuel a décidé que l’an prochain (2014) la date de cette « journée » serait changée pour le 28 septembre, anniversaire de Confucius, que Mao avait attaqué pendant toute sa vie.
8 Pour les partisans du socialisme, la période 1959-1961 est appelée « période des trois ans de difficultés ». Plusieurs points sont à souligner. 1) Du fait de désordres climatiques et de catastrophes naturelles d’une part, et des « Cinq vents » (le vent communiste, le vent d’exagération, le vent de commandement, le vent du privilège des cadres et le vent de production aveugle) de l’autre, il y a bien eu de la famine dans certaines régions. Mais la propagande du régime d’après la RC a énormément exagéré le nombre des morts, jusqu’à 30 millions. Les chiffres ont été grossièrement falsifiés – voir l’important travail du Pr Sun Jingxian (http://wuxizazhi.cnki.net/Article/STUD201106010.html). En fait il est impossible de déterminer le nombre des morts de faim pendant ces trois années car il n’y a pas eu de recensement en Chine entre 1953 et 1963. La propagande a procédé ainsi : ils ont choisi le chiffre de population d’une année d’après la Libération (1949) où ce chiffre était maximal ; ils ont fixé un taux de croissance arbitraire ; ce taux n’étant pas atteint dans les années 1959-1961, ils ont clamé qu’une immense masse de gens étaient morts de faim. C’est-à-dire qu’ils ont additionné les bébés « non nés » et les cadavres. De plus, les très nombreux migrants économiques à l’intérieur de la Chine (vers Hong Kong en particulier) ont été comptés parmi les morts. 2) Le blocus économique imposé par les États-Unis et l’Union soviétique révisionniste a beaucoup aggravé la famine. La Chine devait en outre rembourser à l’Union soviétique les achats d’armes pendant la guerre de Corée. Elle n’avait pas assez de sources d’énergie pour développer l’agriculture. 3) Pendant le Grand Bond en avant, le président Mao s’est retiré du « premier front » vers le « second front ». Ce sont Liu Shaoqi, Deng Xiaoping et Zhou Enlai qui ont mis en œuvre le Grand Bond. Liu Shaoqi et Deng Xiaoping ont agi comme d’archicriminels, en soutenant des objectifs trop élevés et en faisant souffler les « Cinq vents ». S’il y a eu famine, ils en sont les principaux responsables. Les livres de Yang Jisheng (Tombstone) et de Frank Dikotter (Mao’s Great Famine) sont pleins de mensonges et de falsifications. Dikotter, qui affirme que la famine a fait au moins 45 millions de morts, n’a pas été capable de trouver une seule photo de l’événement. Pour la couverture de son livre, il a utilisé une image de victime de la famine de 1946, au temps du Guomingdang. Il est très difficile de publier en Chine des livres réfutant ces mensonges, mais bientôt paraîtra celui de Yang Songlin, There Should Be Somebody Who Tells the Truth : On the So-called 30 millions Death Toll during the Great Leap Forward (voir http://www.szhgh.com/article/reading/201308/28164.html). Il sera traduit en anglais.
9 Par exemple, quand un journal intellectuel important, dushu (Reading) publia en 2001 un article faisant l’éloge de la RC au village, écrit par Gao Mobo (un chercheur sino-australien), l’auteur et l’éditeur furent violemment attaqués par les « libéraux » chinois. Voir Gao Mobo, « Writing History : Gao Village » in dushu, 2001, n°1, p.9-16.
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