« Cette indifférenciation se matérialise dans la vidéosurveillance des rues de nos villes. Ce dispositif a connu le même destin que les empreintes digitales : conçu pour les prisons, il a été progressivement étendu aux lieux publics.
Or
un espace vidéosurveillé n’est plus une agora, il n’a plus
aucun caractère public ;
c’est une zone grise entre le public et le privé, la prison et le
forum. »
Une
citoyenneté réduite à des données biométriques
Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie
Giorgio
Agamben
janvier
2014
L’article
20 de la loi de programmation militaire, promulguée le 19 décembre,
autorise une surveillance généralisée des données numériques, au
point que l’on parle de « Patriot Act à la française ».
Erigé en priorité absolue, l’impératif de sécurité change
souvent de prétexte (subversion politique, « terrorisme »)
mais conserve sa visée : gouverner les populations. Pour
comprendre son origine et tenter de le déjouer, il faut remonter au
XVIIIe siècle…
La
formule « pour
raisons de sécurité » (« for
security reasons », « per ragioni di
sicurezza ») fonctionne comme un argument
d’autorité qui, coupant court à toute discussion, permet
d’imposer des perspectives et des mesures que l’on n’accepterait
pas sans cela. Il faut lui opposer l’analyse d’un concept
d’apparence anodine, mais qui semble avoir supplanté toute autre
notion politique : la sécurité.
On
pourrait penser que le but des politiques de sécurité est
simplement de prévenir des dangers, des troubles, voire des
catastrophes. Une certaine généalogie fait en effet remonter
l’origine du concept au dicton romain Salus
publica suprema lex (« Le
salut du peuple est la loi suprême »),
et l’inscrit ainsi dans le paradigme de l’état d’exception.
Pensons au senatus
consultum ultimum et
à la dictature à Rome (1) ;
au principe du droit canon selon lequel Necessitas
non habet legem (« Nécessité
n’a point de loi ») ;
aux comités de salut public (2)
pendant la Révolution française ;
à la Constitution du 22 frimaire de l’an VIII (1799),
évoquant les « troubles
qui menaceraient la sûreté de l’Etat » ;
ou encore à l’article 48 de la constitution de Weimar (1919),
fondement juridique du régime national-socialiste, qui mentionnait
également la « sécurité
publique ».
Quoique
correcte, cette généalogie ne permet pas de comprendre les
dispositifs de sécurité contemporains. Les procédures d’exception
visent une menace immédiate et réelle qu’il faut éliminer en
suspendant pour un temps limité les garanties de la loi ;
les « raisons de
sécurité » dont
on parle aujourd’hui constituent au contraire une technique de
gouvernement normale et permanente.
Davantage
que dans l’état d’exception, Michel Foucault (3)
conseille de chercher l’origine de la sécurité contemporaine dans
les débuts de l’économie moderne, chez François Quesnay
(1694-1774) et les physiocrates (4).
Si, peu après les traités de Westphalie (5),
les grands Etats absolutistes ont introduit dans leur discours l’idée
que le souverain devait veiller à la sécurité de ses sujets, il
fallut attendre Quesnay pour que la sécurité — ou plutôt la
« sûreté »
— devienne le concept central de la doctrine du gouvernement.
Prévenir les troubles ou les canaliser ?
Son
article consacré aux « Grains »
dans l’Encyclopédie demeure,
deux siècles et demi plus tard, indispensable pour comprendre le
mode de gouvernement actuel. Voltaire dira d’ailleurs qu’une fois
ce texte paru les Parisiens cessèrent de discuter de théâtre et de
littérature pour parler d’économie et d’agriculture…
L’un
des principaux problèmes que les gouvernements devaient alors
affronter était celui des disettes et des famines. Jusqu’à
Quesnay, ils essayaient de les prévenir en créant des greniers
publics et en interdisant l’exportation de grains. Mais ces mesures
préventives avaient des effets négatifs sur la production. L’idée
de Quesnay fut de renverser le procédé : au lieu d’essayer
de prévenir les famines, il fallait les laisser se produire et, par
la libéralisation du commerce extérieur et intérieur, les
gouverner une fois qu’elles s’étaient produites. « Gouverner »
reprend ici son sens étymologique : un bon pilote — celui qui
tient le gouvernail — ne peut pas éviter la tempête mais, si elle
survient, il doit être capable de diriger son bateau.
C’est
dans ce sens qu’il faut comprendre la formule qu’on attribue à
Quesnay, mais qu’en vérité il n’a jamais écrite :
« Laisser faire,
laisser passer ».
Loin d’être seulement la devise du libéralisme économique, elle
désigne un paradigme de gouvernement, qui situe la sécurité —
Quesnay évoque la « sûreté
des fermiers et des laboureurs » — non pas
dans la prévention des troubles et des désastres, mais dans la
capacité à les canaliser dans une direction utile.
Il
faut mesurer la portée philosophique de ce renversement qui
bouleverse la traditionnelle relation hiérarchique entre les causes
et les effets : puisqu’il est vain ou en tout cas coûteux de
gouverner les causes, il est plus utile et plus sûr de gouverner les
effets. L’importance de cet axiome n’est pas négligeable :
il régit nos sociétés, de l’économie à l’écologie, de la
politique étrangère et militaire jusqu’aux mesures internes de
sécurité et de police. C’est également lui qui permet de
comprendre la convergence autrement mystérieuse entre un libéralisme
absolu en économie et un contrôle sécuritaire sans précédent.
Prenons
deux exemples pour illustrer cette apparente contradiction. Celui de
l’eau potable, tout d’abord. Bien qu’on sache que celle-ci va
bientôt manquer sur une grande partie de la planète, aucun pays ne
mène une politique sérieuse pour en éviter le gaspillage. En
revanche, on voit se développer et se multiplier, aux quatre coins
du globe, les techniques et les usines pour le traitement des eaux
polluées — un grand marché en devenir.
Considérons
à présent les dispositifs biométriques, qui sont l’un des
aspects les plus inquiétants des technologies sécuritaires
actuelles. La biométrie est apparue en France dans la seconde moitié
du XIXe siècle. Le criminologue Alphonse Bertillon (1853-1914)
s’appuya sur la photographie signalétique et les mesures
anthropométriques afin de constituer son « portrait
parlé », qui
utilise un lexique standardisé pour décrire les individus sur une
fiche signalétique. Peu après, en Angleterre, un cousin de Charles
Darwin et grand admirateur de Bertillon, Francis Galton (1822-1911),
mit au point la technique des empreintes digitales. Or ces
dispositifs, à l’évidence, ne permettaient pas de prévenir les
crimes, mais de confondre les criminels récidivistes. On retrouve
ici encore la conception sécuritaire des physiocrates : ce
n’est qu’une fois le crime accompli que l’Etat peut intervenir
efficacement.
Pensées
pour les délinquants récidivistes et les étrangers, les techniques
anthropométriques sont longtemps restées leur privilège exclusif.
En 1943, le Congrès des Etats-Unis refusait encore le Citizen
Identification Act, qui visait à doter tous les citoyens de cartes
d’identité comportant leurs empreintes digitales. Ce n’est que
dans la seconde partie du XXe siècle qu’elles furent
généralisées. Mais le dernier pas n’a été franchi que
récemment. Les scanners optiques permettant de relever rapidement
les empreintes digitales ainsi que la structure de l’iris ont fait
sortir les dispositifs biométriques des commissariats de police pour
les ancrer dans la vie quotidienne. Dans certains pays, l’entrée
des cantines scolaires est ainsi contrôlée par un dispositif de
lecture optique sur lequel l’enfant pose distraitement sa main.
Des
voix se sont élevées pour attirer l’attention sur les dangers
d’un contrôle absolu et sans limites de la part d’un pouvoir qui
disposerait des données biométriques et génétiques de ses
citoyens. Avec de tels outils, l’extermination des Juifs (ou tout
autre génocide imaginable), menée sur la base d’une documentation
incomparablement plus efficace, eût été totale et extrêmement
rapide. La législation aujourd’hui en vigueur dans les pays
européens en matière de sécurité est sous certains aspects
sensiblement plus sévère que celle des Etats fascistes du
XXe siècle. En Italie, le texte unique des lois sur la sécurité
publique (Testo unico delle leggi di pubblica sicurezza, Tulsp)
adopté en 1926 par le régime de Benito Mussolini est, pour
l’essentiel, encore en vigueur ;
mais les lois contre le terrorisme votées au cours des « années
de plomb » (de
1968 au début des années 1980) ont restreint les garanties
qu’il contenait. Et comme la législation française contre le
terrorisme est encore plus rigoureuse que son homologue italienne, le
résultat d’une comparaison avec la législation fasciste ne serait
pas très différent.
La
multiplication croissante des dispositifs sécuritaires témoigne
d’un changement de la conceptualité politique, au point que l’on
peut légitimement se demander non seulement si les sociétés dans
lesquelles nous vivons peuvent encore être qualifiées de
démocratiques, mais aussi et avant tout si elles peuvent encore être
considérées comme des sociétés politiques.
Au
Ve siècle avant Jésus-Christ, ainsi que l’a montré l’historien
Christian Meier, une transformation de la manière de concevoir la
politique s’était déjà produite en Grèce, à travers la politisation (Politisierung) de
la citoyenneté. Alors que l’appartenance à la cité (la polis)
était jusque-là définie par le statut et la condition — nobles
et membres des communautés cultuelles, paysans et marchands,
seigneurs et clients, pères de famille et parents, etc. —,
l’exercice de la citoyenneté politique devient un critère de
l’identité sociale. « Il
se créa ainsi une identité politique spécifiquement grecque, dans
laquelle l’idée que des individus devaient se conduire comme des
citoyens trouva une forme institutionnelle, écrit
Meier. L’appartenance
aux groupes constitués à partir des communautés économiques ou
religieuses fut reléguée au second plan. Dans la mesure où les
citoyens d’une démocratie se vouaient à la vie politique, ils se
comprenaient eux-mêmes comme membres de la polis.
Polis et politeia, cité
et citoyenneté, se définissaient réciproquement. La citoyenneté
devint ainsi une activité et une forme de vie par laquelle
la polis, la
cité, se constitua en un domaine clairement distinct de l’oikos, la
maison. La politique devint un espace public libre, opposé en tant
que tel à l’espace privé où régnait la nécessité (6). » Selon
Meier, ce processus de politisation spécifiquement grec a été
transmis en héritage à la politique occidentale, dans laquelle la
citoyenneté est restée — avec des hauts et des bas, certes — le
facteur décisif.
Or
c’est précisément ce facteur qui se trouve progressivement
entraîné dans un processus inverse : un processus de
dépolitisation. Jadis seuil de politisation actif et irréductible,
la citoyenneté devient une condition purement passive, où l’action
et l’inaction, le public et le privé s’estompent et se
confondent. Ce qui se concrétisait par une activité quotidienne et
une forme de vie se limite désormais à un statut juridique et à
l’exercice d’un droit de vote ressemblant de plus en plus à un
sondage d’opinion.
Les
dispositifs de sécurité ont joué un rôle décisif dans ce
processus. L’extension progressive à tous les citoyens des
techniques d’identification autrefois réservées aux criminels
agit immanquablement sur leur identité politique. Pour la première
fois dans l’histoire de l’humanité, l’identité n’est plus
fonction de la « personne »
sociale et de sa reconnaissance, du « nom »
et de la « renommée »,
mais de données biologiques qui ne peuvent entretenir aucun rapport
avec le sujet, telles les arabesques insensées que mon pouce teinté
d’encre a laissées sur une feuille de papier ou l’ordonnance de
mes gènes dans la double hélice de l’ADN. Le fait le plus neutre
et le plus privé devient ainsi le véhicule de l’identité
sociale, lui ôtant son caractère public.
Si
des critères biologiques qui ne dépendent en rien de ma volonté
déterminent mon identité, alors la construction d’une identité
politique devient problématique. Quel type de relation puis-je
établir avec mes empreintes digitales ou mon code génétique ?
L’espace de l’éthique et de la politique que nous étions
habitués à concevoir perd son sens et exige d’être repensé de
fond en comble. Tandis que le citoyen grec se définissait par
l’opposition entre le privé et le public, la maison (siège de la
vie reproductive) et la cité (lieu du politique), le citoyen moderne
semble plutôt évoluer dans une zone d’indifférenciation entre le
public et le privé, ou, pour employer les mots de Thomas Hobbes,
entre le corps physique et le corps politique.
La vidéosurveillance, de la prison à la rue
Cette
indifférenciation se matérialise dans la vidéosurveillance des
rues de nos villes. Ce dispositif a connu le même destin que les
empreintes digitales : conçu pour les prisons, il a été
progressivement étendu aux lieux publics. Or un espace
vidéosurveillé n’est plus une agora, il n’a plus aucun
caractère public ;
c’est une zone grise entre le public et le privé, la prison et le
forum. Une telle transformation relève d’une multiplicité de
causes, parmi lesquelles la dérive du pouvoir moderne vers la
biopolitique occupe une place particulière : il s’agit de
gouverner la vie biologique des individus (santé, fécondité,
sexualité, etc.) et non plus seulement d’exercer une souveraineté
sur un territoire. Ce déplacement de la notion de vie biologique
vers le centre du politique explique le primat de l’identité
physique sur l’identité politique.
Mais
on ne saurait oublier que l’alignement de l’identité sociale sur
l’identité corporelle a commencé avec le souci d’identifier les
criminels récidivistes et les individus dangereux. Il n’est donc
guère étonnant que les citoyens, traités comme des criminels,
finissent par accepter comme allant de soi que le rapport normal
entretenu avec eux par l’Etat soit le soupçon, le fichage et le
contrôle. L’axiome tacite, qu’il faut bien prendre ici le risque
d’énoncer, est : « Tout
citoyen — en tant qu’il est un être vivant — est un terroriste
potentiel. » Mais
qu’est-ce qu’un Etat, qu’est-ce qu’une société régis par
un tel axiome ?
Peuvent-ils encore être définis comme démocratiques, ou même
comme politiques ?
Dans
ses cours au Collège de France comme dans son livre Surveiller
et punir (7),
Foucault esquisse une classification typologique des Etats modernes.
Le philosophe montre comment l’Etat de l’Ancien Régime, défini
comme un Etat territorial ou de souveraineté, dont la devise était
« Faire
mourir et laisser vivre »,
évolue progressivement vers un Etat de population, où la population
démographique se substitue au peuple politique, et vers un Etat de
discipline, dont la devise s’inverse en « Faire
vivre et laisser mourir » :
un Etat qui s’occupe de la vie des sujets afin de produire des
corps sains, dociles et ordonnés.
L’Etat
dans lequel nous vivons à présent en Europe n’est pas un Etat de
discipline, mais plutôt — selon la formule de Gilles Deleuze —
un « Etat
de contrôle » :
il n’a pas pour but d’ordonner et de discipliner, mais de gérer
et de contrôler. Après la violente répression des manifestations
contre le G8 de Gênes, en juillet 2001, un fonctionnaire de la
police italienne déclara que le gouvernement ne voulait pas que la
police maintienne l’ordre, mais qu’elle gère le désordre :
il ne croyait pas si bien dire. De leur côté, des intellectuels
américains qui ont essayé de réfléchir sur les changements
constitutionnels induits par le Patriot Act et la législation
post-11-Septembre (8)
préfèrent parler d’« Etat
de sécurité » (security
state). Mais
que veut dire ici « sécurité » ?
Au
cours de la Révolution française, cette notion — ou celle de
« sûreté »,
comme on disait alors — est imbriquée avec celle de police. La loi
du 16 mars 1791 puis celle du 11 août 1792
introduisent dans la législation française l’idée, promise à
une longue histoire dans la modernité, de « police
de sûreté ».
Dans les débats précédant l’adoption de ces lois, il apparaît
clairement que police et sûreté se définissent réciproquement ;
mais les orateurs — parmi lesquels Armand Gensonné, Marie-Jean
Hérault de Séchelles, Jacques Pierre Brissot — ne sont capables
de définir ni l’une ni l’autre. Les discussions portent
essentiellement sur les rapports entre la police et la justice. Selon
Gensonné, il s’agit de « deux
pouvoirs parfaitement distincts et séparés » ;
et pourtant, tandis que le rôle du pouvoir judiciaire est clair,
celui de la police semble impossible à définir.
L’analyse
du discours des députés montre que le lieu de la police est
proprement indécidable, et qu’il doit rester tel, car si elle
était entièrement absorbée par la justice, la police ne pourrait
plus exister. C’est la fameuse « marge
d’appréciation »
qui caractérise encore maintenant l’activité de l’officier de
police : par rapport à la situation concrète qui menace la
sécurité publique, celui-ci agit en souverain. Ce faisant, il ne
décide pas ni ne prépare — comme on le répète à tort — la
décision du juge : toute décision implique des causes, et la
police intervient sur les effets, c’est-à-dire sur un indécidable.
Un indécidable qui ne se nomme plus, comme au XVIIe siècle,
« raison d’Etat »,
mais « raisons de
sécurité ».
Une vie politique devenue impossible
Ainsi, le security state est un Etat de police, même si la définition de la police constitue un trou noir dans la doctrine du droit public : lorsqu’au XVIIIe siècle paraissent en France le Traité de la police de Nicolas de La Mare et en Allemagne les Grundsätze der Policey-Wissenschaft de Johann Heinrich Gottlob von Justi, la police est ramenée à son étymologie de politeia et tend à désigner la politique véritable, le terme de « politique » désignant quant à lui la seule politique étrangère. Von Justi nomme ainsi Politik le rapport d’un Etat avec les autres et Polizei le rapport d’un Etat avec lui-même : « La police est le rapport en force d’un Etat avec lui-même. »
En
se plaçant sous le signe de la sécurité, l’Etat moderne sort du
domaine du politique pour entrer dans un no man’s land dont on
perçoit mal la géographie et les frontières et pour lequel la
conceptualité nous fait défaut. Cet Etat, dont le nom renvoie
étymologiquement à une absence de souci (securus :
sine cura), ne peut au contraire que nous rendre plus
soucieux des dangers qu’il fait courir à la démocratie,
puisqu’une vie politique y est devenue impossible ;
or démocratie et vie politique sont — du moins dans notre
tradition — synonymes.
Face
à un tel Etat, il nous faut repenser les stratégies traditionnelles
du conflit politique. Dans le paradigme sécuritaire, tout conflit et
toute tentative plus ou moins violente de renverser le pouvoir
fournissent à l’Etat l’occasion d’en gouverner les effets au
profit d’intérêts qui lui sont propres. C’est ce que montre la
dialectique qui associe étroitement terrorisme et réponse de l’Etat
dans une spirale vicieuse. La tradition politique de la modernité a
pensé les changements politiques radicaux sous la forme d’une
révolution qui agit comme le pouvoir constituant d’un nouvel ordre
constitué. Il faut abandonner ce modèle pour penser plutôt une
puissance purement destituante, qui ne saurait être captée par le
dispositif sécuritaire et précipitée dans la spirale vicieuse de
la violence. Si l’on veut arrêter la dérive antidémocratique de
l’Etat sécuritaire, le problème des formes et des moyens d’une
telle puissance destituante constitue bien la question politique
essentielle qu’il nous faudra penser au cours des années qui
viennent.
Giorgio Agamben
janvier 2014
Le Monde Diplomatique
NOTES
1
En cas de troubles graves, la république romaine prévoyait la
possibilité de confier, de manière exceptionnelle, les pleins
pouvoirs à un magistrat (le dictateur).
2
Mis en place par la Convention, ces comités devaient protéger la
République contre les dangers d’invasion et de guerre civile.
3
Michel Foucault, Sécurité,
territoire, population. Cours au Collège de France,
1977-1978, Gallimard-
Seuil, coll. « Hautes
études »,
Paris, 2004.
4
La physiocratie fonde le développement économique sur
l’agriculture et prône la liberté du commerce et de l’industrie.
5
Les traités de Westphalie (1648) conclurent la guerre de Trente Ans
opposant le camp des Habsbourg, soutenu par l’Eglise catholique,
aux Etats allemands protestants du Saint-Empire. Ils inaugurèrent
un ordre européen fondé sur les Etats-nations.
6
Christian Meier, « Der
Wandel der politisch-sozialen Begriffswelt im V Jahrhundert v.
Chr. »,
dans Reinhart Koselleck (sous la dir. de), Historische
Semantik und Begriffsgeschichte, Klett-Cotta,
Stuttgart, 1979.
7
Michel Foucault, Surveiller
et punir, Gallimard,
Paris, 1975.
8
Lire Chase Madar, « Le
président Obama, du prix Nobel aux drones », Le
Monde diplomatique, octobre 2012.
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