Masdar, utopie sécurisée et ghetto écologique |
Oasis urbaine futuriste surgie du désert, Masdar City se veut une ville écologique modèle, sans émissions de carbone, ni déchets. En chantier à Abu Dhabi depuis 2008, le projet estimé à 22 milliards de dollars, devrait s’achever vers 2020 pour accueillir quelque 50.000 habitants. Nous publions ici un article de Akram Belkaïd, paru dans le Monde Diplomatique, présentant les critiques et les réserves de certains observateurs faisant un triste écho au concert de louanges exprimé par les médias et les écologistes.
Masdar, utopie sécurisée et ghetto écologique |
Paradoxalement, Masdar, La nouvelle ville écologique, plébiscitée et admirée du monde entier, est financée par la compagnie pétrolière Abu Dhabi Future Energy Company, soit une des plus importantes sociétés pollueuses de la planète. Son ambition n'est pas de répondre à l'urgence planétaire de réduire drastiquement les émissions de CO2, mais de débuter une longue et difficile reconversion de son économie, basée sur le pétrole, dont les réserves sont estimées à pouvoir fournir l'or noir pour quelques 150 années encore. La nécessité de procéder, dès aujourd'hui, à une diversification économique en prévision de l’ère post-pétrolière, explique de façon beaucoup plus convaincante l’intérêt des autorités d’Abu Dhabi pour l’urbanisme durable.
Si les médias du monde entier sont emportés par un enthousiasme débile, Masdar City a suscité, au contraire, des doutes parmi les observateurs qui connaissent les modes de vie extrêmement peu écologiques de la population émirienne et expatriée d’Abu Dhabi. Le gouvernement est ainsi accusé de chercher à s’acheter une bonne conscience écologique, tout en maintenant par ailleurs des pratiques environnementales et énergétiques désastreuses.
« gated utopia » (« utopie sécurisée »)
Mona Chollet évoque dans un article, que le fantasme ultime semble ne pas être simplement de s’isoler du reste du monde, mais de recréer le monde ex nihilo, en niant l’existence même de tout ce qu’il y a autour. L’illustration la plus aboutie de cette logique reste sans conteste l’archipel artificiel en forme de mappemonde créé au large de ses côtes par l’émirat de Dubaï, et baptisé l’« Ile-Monde » (« The World »). Aux utopies progressistes, qui se voulaient le laboratoire d’un monde meilleur, succèdent ainsi les caprices fortifiés des riches : ces derniers abandonnent à son sort une humanité condamnée à une survie chaotique, ne se souvenant d’elle qu’afin de pourvoir à leurs besoins — considérables — en main-d’œuvre la plus docile et la plus invisible possible. Même l’impératif écologique n’échappe pas à cette mégalomanie nombriliste. Sa prise en compte se traduit le plus souvent par la constitution d’enclaves idylliques, ignorantes de la dévastation planétaire. A petite échelle, ce sont les plantes en pot ou les aspirateurs censés purifier l’air pollué des appartements — une « mégalomanie du pauvre », en quelque sorte. A grande échelle, c’est Masdar, la ville nouvelle en cours d’édification près d’Abou Dhabi, qui devrait être la première au monde « à ne pas émettre de gaz carbonique et à ne pas rejeter de déchets ». Un projet intelligent, mêlant les méthodes de construction traditionnelles de la région et la technologie la plus moderne, juge l’International Herald Tribune, qui constate toutefois qu’il s’agit d’un modèle difficilement adaptable à des communautés plus grandes. Cette cité idéale ne sera donc qu’une « gated utopia » (« utopie sécurisée »). Pendant un certain temps encore, ceux qui en ont les moyens pourront sans doute s’offrir une nourriture saine, un air pur, des paysages préservés. Mais la politique de l’autruche atteindra inexorablement ses limites. On peut se faire la guerre pour l’eau ; se faire la guerre pour l’oxygène promet déjà d’être plus compliqué. Cette contagion de la sphère où ils évoluent par l’univers commun que les riches veulent à tout prix éviter, la biosphère pourrait bien se charger de l’opérer, rappelant à tous cette vérité cruelle : il n’y a qu’un seul monde.
Masdar, utopie sécurisée et ghetto écologique |
Ghetto
Bien que les idées de M. Foster puissent être appliquées dans d’autres villes non-artificielles, personne ne niera le fait qu’une ville traditionnelle de plusieurs millions d’habitants ne peut pas être réorganisée de la sorte. Sa vision est en fait à l’image d’une des conséquences de la mondialisation : une division accrue entre des enclaves luxueuses ayant les moyens de ces performances techniques et des gens vivant dans des ghettos, dont la priorité est d’assurer leur survie, et pour lesquels le développement durable ne signifie pas grand chose.
Masdar, les premiers habitants, photo site officiel |
Esclaves modernes.
D'autres observateurs -passés sous silence médiatique- critiquent également les conditions de vie et d’emploi des travailleurs immigrés dans les Émirats, et notamment dans le domaine de la construction et des services. Cette question a été abordé dans notre article concernant Dubaï, et il est possible de reprendre les mêmes caractéristiques des conditions de travail des ouvriers, évoquées par Mike Davis. Comme dans le cas de la protection environnementale, la durabilité sociale des villes des Emirats constituent un véritable contre-exemple de développement durable qui concerne, faut-il le rappeler, autant les données en CO2 que celles du bien-être de l'ensemble des citoyens, notamment les plus pauvres.
Ouvriers à Dubaï |
Masdar, mixité sociale, photo site officiel |
Humour anglais, cynisme français
Le richissime architecte britannique Sir Norman Foster dispose d'un sérieux sens de l'humour en assurant que Masdar n'est pas une enclave résidentielle et souhaite que la ville héberge tous les groupes de la société. Les dernières décennies ont fourni la preuve que les communautés extrêmement riches et les classes moyennes éduquées tendent à rester entre elles, cloisonnées dans de petites utopies : une communauté autonome idéalisée et hors d’atteinte pour le commun des mortels.
A cet humour anglais répond le cynisme et l’hypocrisie de l'architecte français Jean Nouvel – architecte du musée du Louvre d’Abu Dhabi- qui déclarait, le plus sérieusement du monde, vouloir s'assurer du bon « traitement » des ouvriers étrangers sur son chantier. Chose parfaitement inconcevable jamais admise par la culture des émiratis et allant contre l'économie du projet, basée sur une main-d’œuvre corvéable à merci, sous-payée [Jean Nouvel pratique ce sport au sein de sa propre agence], mal-traitée et éventuellement soumises à de dures répressions lors de révoltes. De même pour les originaires du pays, toute contestation est sévèrement punie [voir article Amnesty International].
Degré 0 de l'urbanisme
Enfin, un mot pour souligner un élément important, souvent oublié, la plus grande laideur de la future ville dont les extravagances architecturales forment une sorte de kitsch futuro-écolo nous rappelant les villes nouvelles imaginées par les studios Disney. Il est vrai que Norman Foster n'est guère reconnu comme un grand maître en architecture, comme cela est le cas pour Rem Koolhaas, Steven Holl, Herzog et De Mouron et d'autres. A ces architectures aseptisées par la nouvelle technologie, nous préférons celles imaginées par les concepteurs s'appliquant à moderniser les techniques ancestrales des populations vivant dans les mêmes conditions climatiques, ainsi que les matériaux. L'architecte égyptien Hassan Fathy proposaient ainsi, en apprenant et en concertation avec les habitants, une architecture moderne/traditionnelle d'une remarquable beauté, dont on imagine aisément qu'elle pourrait aujourd'hui s'adapter aux techniques urbano-écologiques. Mais surement pas au kitsch clinquant attendu par les élites d’Abu Dhabi.
Masdar, utopie sécurisée et ghetto écologique |
Masdar : ville écologique
Akram Belkaïd
Le Monde Diplomatique
août 2008
Il fait près de 50 °C à l’ombre, et de puissantes rafales balaient l’étendue de sable et de rocaille, soulevant des tourbillons de couleur ocre. Ici, sur une rive du golfe Arabo-Persique, à trente kilomètres à l’est de la ville d’Abou Dhabi, se dressera en 2016 la ville nouvelle de Masdar (la « source », en arabe). « Ce ne sera pas la future capitale des Emirats arabes unis, mais la cité représentera bien plus : la première ville mondiale totalement écologique », s’enthousiasme un accompagnateur, montrant du doigt les autres chantiers déjà bien avancés qui entourent le site.
Plus à l’est, le nouvel aéroport international de l’émirat surgit de terre, tandis qu’au nord un immense complexe touristique s’achève sur l’île de Yas, avec en prime un circuit de formule 1. Pour l’heure, les six kilomètres carrés sur lesquels s’étendra Masdar restent peu animés, à l’exception de quelques engins de terrassement immobiles et d’une poignée de géomètres aux gestes lents.
Selon le cabinet britannique Foster, qui assure la conception du projet, Masdar sera la « première ville du monde à ne pas émettre de gaz carbonique et à ne pas rejeter de déchets, grâce à l’emploi exclusif d’énergies renouvelables, dont le solaire et l’éolien, et au recours systématique au recyclage ». La cité disposera d’une centrale photovoltaïque pour son alimentation électrique, et ses bâtiments, dits « intelligents », produiront eux-mêmes de l’énergie. Aucun véhicule à combustion n’y sera admis, et des murs l’entoureront pour la protéger du désert, mais aussi pour la ventiler par le biais de canaux captant les vents marins.
Pour la bagatelle de 22 milliards de dollars (estimation totale), Masdar pourra accueillir cinquante mille habitants et plus d’un millier d’entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies et les énergies vertes. « Les habitants de Masdar bénéficieront de la meilleure qualité de vie au monde, dans une ville entièrement tournée vers la recherche en matière de protection de l’environnement », promet M. Sultan Ahmad Al-Jaber, directeur général de l’Abu Dhabi Future Energy Company (Adfec), l’organisme étatique chargé du projet.
Si les experts environnementaux du monde entier saluent le projet de Masdar, qui jouit aussi du soutien du Fonds mondial pour la nature (WWF), des économistes de la région se montrent plus nuancés quant à sa pertinence économique — sans néanmoins manifester la même sévérité que vis-à-vis de certains chantiers touristiques défiant la raison et le bon goût, à l’exemple de cette clinique de chirurgie esthétique entièrement sous-marine projetée au large de Dubaï.
« Masdar bénéficie d’un effet d’annonce impressionnant, admet le responsable de la recherche économique d’une grande banque d’Abou Dhabi. Construire une ville qui ne consommera que 25 % de l’énergie et 40 % de l’eau nécessaires à toute autre cité équivalente en Occident relèvera forcément de l’exploit. Mais la véritable question est de savoir s’il ne s’agira pas d’un petit patch cosmétique, destiné à faire oublier que les pays du Golfe figurent parmi les plus gros pollueurs de la planète. »
Outre l’exploitation des hydrocarbures, la région abrite en effet d’importantes industries polluantes (pétrochimie, aluminium, dessalement d’eau de mer). Et son mode de vie consumériste se traduit, année après année, par une augmentation des déchets ménagers. En 2005, la seule ville de Dubaï en a, par exemple, produit 1,2 million de tonnes (1,5 million pour Paris) — un chiffre appelé à tripler d’ici à 2014. Il suffit d’assister à l’incessant ballet nocturne des bennes à ordures d’Abou Dhabi, Dubaï, Doha ou Manama pour réaliser combien les pays de la région pourraient progresser en matière de recyclage des déchets.
« Nous voulons faire de Masdar un exemple à suivre », se défend un haut dirigeant émirati, qui réfute toute démarche marketing destinée à mieux « vendre » l’image écologique d’Abou Dhabi par rapport à ses voisins.« Avec cette ville, nous fixons un standard mondial en matière de développement durable. Si l’on ne peut guère améliorer la situation dans les centres urbains qui existent déjà dans le Golfe ou ailleurs, nous devons absolument faire en sorte que les futures villes de la région soient compatibles avec la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique. »
Masdar, il est vrai, ne constitue pas le seul projet de ville nouvelle dans le Golfe. D’est en ouest, du nord au sud, une forêt de grues semble d’ailleurs couvrir les six pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) : selon une statistique régulièrement citée dans la presse économique internationale, la région mobiliserait actuellement près du tiers du parc mondial de ces engins. Complexes touristiques, gratte-ciel, sièges de multinationales, hôtels de luxe : la longue liste des édifices en cours de construction comprend une catégorie bien plus impressionnante, celle des villes nouvelles, dont une bonne quinzaine déjà en chantier. « Et encore ce chiffre n’inclut-il pas les extensions de villes déjà existantes. Or une cité comme Dubaï, qui a triplé sa superficie en moins de dix ans, peut légitimement être considérée comme une ville nouvelle », relève l’architecte Moussa Labidi, qui partage son temps entre le Maghreb et le Golfe.
Le phénomène des villes nouvelles dans le Golfe s’explique par deux facteurs principaux, que les économistes résument par l’expression « double D » : démographie et diversification économique. Pour expliquer le premier, quelques statistiques suffisent : la demande en logements progresse chaque année de 20 %, s’ajoutant à un déficit déjà évalué à près d’un demi-million d’habitations. Cette pénurie résulte de l’augmentation de la population locale et de l’afflux incessant de travailleurs expatriés qualifiés. En raison de la crise du logement et de l’inflation, ces derniers consacrent en moyenne près de la moitié de leur salaire au loyer — une proportion qui risque fort d’augmenter au cours des prochains mois. « Les nouvelles villes dans le Golfe doivent aussi retenir les expatriés qui contribuent au boom économique de la région,estime l’économiste Marios Maratheftis, qui travaille chez Standard Chartered. S’ils venaient à partir en raison des difficultés rencontrées pour se loger, ce serait un coup dur pour l’attractivité du Golfe. »
Mais la question ne concerne pas que les expatriés. De Bahreïn au Koweït, les jeunes générations souffrent, elles aussi, du manque de logements, ce qui, ajouté à la difficulté de trouver un emploi, ne fait qu’aviver les tensions sociales. « Je ne suis pas le seul à attendre que ces villes soient achevées. Les gens de mon âge n’ont pas les moyens d’acquérir des maisons comparables à celles construites par leurs pères », témoigne M. Ali Al-Wafi, un jeune chauffeur de taxi bahreïni, qui espère économiser suffisamment d’argent pour pouvoir emménager dans l’un des immeubles prévus à Durrat Al-Bahrain. Cette ville nouvelle s’étendra, au sud de l’île, sur quinze îlots artificiels en forme de croissant pour une superficie de vingt et un kilomètres carrés. Elle devrait être achevée en 2015 et mobiliser un investissement de 4 milliards de dollars.
Des terres prises à l’océan
Pour comprendre le second facteur, il faut savoir que la construction de nouvelles villes permet, outre le développement fulgurant de plusieurs groupes de génie civil régionaux, l’apparition de centres urbains dédiés à la diversification économique. C’est surtout le cas en Arabie saoudite, qui compte sept villes en chantier sur une superficie globale de quatre cent cinquante kilomètres carrés et pour un investissement total de 500 milliards de dollars. Loin de toute publicité tapageuse et de tout marketing écologique, le royaume wahhabite met à profit l’augmentation de ses recettes pétrolières pour fonder ces nouvelles villes, officiellement nommées « cités économiques », dont le concept ressemble à celui des clusters anglo-saxons.
La construction de l’une d’elles, la King Abdullah Economic City (KAEC), a débuté en décembre 2005 et devrait se terminer en 2016. Bien plus imposante que Masdar ou Durrat Al-Bahrain, la ville du roi Abdallah s’étendra sur cent soixante-huit kilomètres carrés et coûtera 27 milliards de dollars. Située au bord de la mer Rouge, à proximité de la ville de Djedda, elle comportera un port de conteneurs, une fonderie d’aluminium, un terminal à même d’accueillir cinq cent mille pèlerins pour La Mecque et plusieurs milliers d’habitations collectives, totalisant deux millions d’habitants.
« Cette ville constitue le cœur du dispositif saoudien en matière de nouvelles cités économiques », confie-t-on à la Saudi Arabian General Investment Authority (Sagia), l’organisme chargé des projets de villes nouvelles. « Elle doit assurer le développement industriel de la région de Djedda tout en offrant de nouvelles possibilités de logement aux Saoudiens. » D’autres cités nouvelles privilégient l’« économie du savoir », comme par exemple la Knowledge Economic City (KEC), prévue à proximité de la ville de Médine et dont les autorités saoudiennes veulent faire l’équivalent régional de la Silicon Valley.
Aussi imposant qu’il soit, le programme de cités économiques développé par l’Arabie saoudite ne convainc pas tous les spécialistes. Nombre d’économistes, y compris locaux, se demandent si ces projets, une fois livrés, ne ressembleront pas à des « éléphants blancs », ces usines et installations importées clés en main par les pays du tiers-monde et qui n’ont pratiquement jamais servi.
« Le pari consiste à aller plus loin dans l’industrialisation du pays,explique un cadre de la Saudi British Bank (SABB). Mais ces villes futures et les activités économiques qu’elles abriteront ne pourront survivre que si elles s’insèrent dans la mondialisation, ce qui implique l’installation d’entreprises étrangères. C’est loin d’être garanti, même si la conjoncture économique actuelle est bonne. »
Parmi les obstacles, on cite fréquemment la nationalisation des emplois.« C’est un paradoxe, reconnaît le cadre de la SABB. Ces villes nouvelles doivent offrir un million trois cent mille emplois nouveaux aux Saoudiens, mais les entreprises étrangères restent réticentes vis-à-vis de la main-d’œuvre locale et font pression pour pouvoir importer du personnel d’Asie. Au final, on risque de perpétuer le modèle économique actuel, fondé sur une grande dépendance à l’égard des travailleurs étrangers dans un contexte de chômage important des jeunes Saoudiens. »
S’agissant de la cité du roi Abdallah, plusieurs experts saoudiens craignent aussi que sa réussite ne se fasse aux dépens de Djedda, poumon économique de la partie occidentale du royaume. « Les deux villes risquent de faire doublon, notamment pour ce qui est de l’activité portuaire, s’inquiète M. Omar Al-Badsi, agent maritime. Il faut aussi espérer qu’on ne procédera pas à des transferts d’activités, car les travailleurs habitant à Djedda risquent de ne pas pouvoir investir dans un logement au sein de la nouvelle ville. »
Autre difficulté : l’impact de ces constructions nouvelles sur l’environnement. Il ne s’agit pas seulement des futurs rejets atmosphériques des centres industriels saoudiens, mais aussi des dégâts infligés aux eaux du Golfe. A Abou Dhabi et Dubaï, mais aussi à Bahreïn et au Qatar, nombre de projets de villes nouvelles ou d’extension de cités existantes se réalisent sur des terrains pris à l’océan. Et, le plus souvent, les matériaux ne proviennent pas du désert, mais des fonds marins, aspirés par des dragues qui détruisent faune et flore.
« L’influence modeste des sociétés civiles et le manque d’envergure des organisations environnementales dans la région facilitent l’usage intensif des fonds marins pour la création de terrains constructibles, déplore une universitaire bahreïnie. L’importance des dégâts tient à la force des logiques économiques, d’autant plus puissantes que les villes nouvelles sont une initiative voulue par les dirigeants. »
Ce jugement, M. Doug Watkinson le relativise. Vice-président chargé du développement de Bahrain Bay, un projet de cité nouvelle au nord de Manama d’un montant de près de 3 milliards de dollars, l’homme, en tenue d’ouvrier et aux commandes d’un véhicule tout-terrain, prend visiblement plaisir à faire visiter son chantier sillonné par d’imposants camions. La presque totalité des deux kilomètres carrés a été prise à la mer, mais il réfute l’idée selon laquelle cette land reclamation serait nuisible à l’environnement. « Notre technique a fait ses preuves en Asie, notamment à Singapour et à Hongkong, et n’entraîne que des dégâts mineurs. Et nous l’appliquons bien plus facilement dans les eaux du Golfe, en raison de leur profondeur modeste. »
Selon le discours officiel, ces projets s’adressent surtout aux nationaux, mais, en réalité, nombre d’entre eux ciblent les investisseurs étrangers auxquels on promet des propriétés luxueuses. Tous les pays de la région ont même modifié leurs législations pour permettre aux étrangers d’acquérir des biens immobiliers.
« A lire les brochures et les publicités, ces villes nouvelles ne seront que luxe et détente, relève M. Labidi. Le problème, c’est que les classes moyennes du Golfe risquent de ne pas disposer du pouvoir d’achat indispensable pour s’y installer, à moins qu’elles ne s’endettent plus encore. » Fin juin, une note de la banque centrale des Emirats arabes unis mettait en effet en garde contre l’endettement des ménages provoqué par la spéculation, recommandant aux banques de la région de limiter l’octroi de crédits immobiliers. Du coup, ce document a relancé les spéculations quant à l’imminence d’un krach.
« Construire une nouvelle ville, ce n’est pas simplement ériger des murs et attendre l’acheteur, fût-il un riche étranger », conclut M. Salah H. A. Miri, architecte et directeur général de The Blue City, un projet de ville nouvelle dans le sultanat d’Oman, dont la première phase s’achèvera en 2011. « Il faut aussi s’inscrire dans la continuité culturelle de la région, de façon à ne pas désorienter les populations. A l’heure actuelle, le foisonnement du verre et de l’acier n’y contribue pas. A leur manière, les villes nouvelles en disent beaucoup sur la manière dont les pays du Golfe évoluent. »
Akram Belkaïd
Masdar, utopie sécurisée et ghetto écologique |
SOURCES :
Masdar : ville écologique
Akram Belkaïd
Le Monde Diplomatique / août 2008
L'urbanisation du monde
Mona Chollet
Manière de voir nº 114 / décembre 2010 - janvier 2011
Dubaï, le stade Dubaï du capitalisme
Mike Davis
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