Michel Foucault
In : Surveiller et punir
1975
Le panoptisme est capable "de réformer la morale, préserver la santé, revigorer l'industrie, diffuser l'instruction, alléger les charges publiques, établir l'économie comme sur le roc, dénouer, au lieu de trancher,
le noeud gordien des lois sur les pauvres,
tout cela par une simple idée architecturale."
Le panoptisme
Voici, selon un document de la fin du XVIIe siècle, les mesures qu'il fallait prendre quand la peste se déclarait dans une ville [1] :
D'abord, un strict quadrillage spatial : fermeture, bien entendu, de la ville et du « terroir », interdiction d'en sortir, sous peine de la vie, mise à mort de tous les animaux errants ; pouvoir d'un intendant. Chaque rue est placée sous le conseil d'un syndic ; il la surveille ; s'il la quittait, il serait puni de mort. Le jour désigné, on ordonne à chacun de se renfermer dans sa maison : défense d'en sortir sous peine de la vie. Le syndic vient lui-même fermer, de l'extérieur, la porte de chaque maison ; il emporte la clé qu'il remet à l'intendant de quartier ; celui-ci la conserve jusqu'à la fin de la quarantaine. Chaque famille aura fait ses provisions ; mais pour le vin et le pain, on aura aménagé entre la rue et l'intérieur des maisons, des petits canaux de bois, permettant de déverser à chacun sa ration sans qu'il y ait une communication entre les fournisseurs et les habitants. ; pour la viande, le poisson et les herbes, on utilise des poulies et des paniers. S'il faut absolument sortir des maisons, on le fera à tour de rôle, et en évitant toute rencontre. Ne circulent que les intendants, les syndics, les soldats de la garde et aussi entre les maisons infectées, d'un cadavre à l'autre, les « corbeaux » qu'il est indifférent d'abandonner à la mort ; ce sont « des gens de peu qui portent les malades, enterrent les morts, nettoient et font beaucoup d'offices vile et abject ». Espace découpé, immobile, figé. Chacun est arrimé à sa place. Et s'il bouge, il y va de sa vie, contagion ou punition.