Pages

BERQUE | Ville-Campagne

Proposition Nogovoyages | 2009 *


Les trois sources de la ville-campagne et ce à quoi elle aboutit

conférence d’Augustin BERQUE
2005
Fin de la distinction ville/campagne
et perte du lieu

L’extension toujours plus poussée de l’habitat non agricole dans les campagnes est sans doute le trait le plus remarquable de l’évolution du peuplement dans les pays riches. Ce phénomène 1, qui semble voué à se répandre avec la progression des niveaux de vie, a reçu des noms divers selon que les auteurs insistent sur tel ou tel de ses aspects : fin des villes, rurbain, périurbain, métropolisation, exurbanisation, edge city puis edgeless city, campagnes urbaines, ville-pays, ville territoire, città diffusa, ville émergente, ville-campagne, ville franchisée, etc. Lié à l’usage massif de l’automobile, il s’est d’abord manifesté aux États-Unis, et c’est l’urbaniste américain Melvin Webber qui, en 1964, a été le premier à le souligner, dans un article qui pose explicitement la question du lieu (place) : « The urban place and the non-place urban realm » ; sa thèse étant que la ville de naguère, bien circonscrite et distincte des campagnes, a laissé place à une « communauté sans base territoriale », qu’il baptise « domaine urbain » (urban realm) 2.
Proposition Nogovoyages | 2009 *

Jacques ELLUL | Villes | Théologie | Révolution

DIEU | Urbaphobe


Le christianisme est la pire trahison du Christ.
La ville est morte, faite de choses mortes et pour des morts. Elle ne peut pas produire ni entretenir quoi que ce soit. Tout ce qui est vivant doit lui venir de l’extérieur.
Jacques Ellul


Au chapitre IV de la Genèse, est écrit que Caïn, le cultivateur sédentaire, tua son frère Abel, le pasteur nomade. Dieu le condamna alors à l'errance en pays de Nod - nod ou nad, en hébreux, se traduit par vagabondage, errance. Mais Caïn n'accepte plus l'autorité divine, refuse l'errance et décide de fonder la première ville de l'humanité : Hénoc. Caïn - premier révolutionnaire contre une autorité suprême ? -, est ainsi désigné par le texte génésiaque comme le fondateur de la première ville, et à l’origine de la civilisation : celle urbaine des arts et des techniques. Jacques Ellul dans son ouvrage Sans feu ni lieu [1] interprète ainsi la fondation d'Hénoc  :

PARIS | Haussmann - Révolution



Opéra de Paris | Charles Garnier | 1861

Réunir à la Ville de Paris, à cette Cité Reine comme on l'appelle, des localités si délaissées, d'un aspect si triste et si misérable, c'était coudre des haillons sur sa robe de pourpre.

Il fallait, dès le jour où cette grande mesure de l'extension des limites de Paris était arrêtée en principe, s'abstenir de toute opération luxueuse dans les quartiers riches ou aisés, en vue d'économiser les ressources de la ville pour donner le strict nécessaire aux quartiers pauvres.

Louis Lazare | 1870

Philharmonique de Paris | Jean Nouvel | 2011


Jacques Rougerie interprète la Commune, comme « une tentative de réappropriation populaire de l'espace urbain » ; un des rares historiens soulignant la relation de cause à effet entre les travaux du préfet Haussmann, menés à bien de 1852 à 1870, et la Révolution de 1871. Mais, d'autres travaux d'aussi grande ampleur ont autant d'importance dans le mécontentement du Peuple parisien : l'enceinte de Thiers [1], construite entre 1841 et 1844, une gigantesque couronne elliptique de près de 34 km, sur une largeur de 140 m, couvrant le rempart, son fossé et glacis, et les 16 forts détachés implantés en banlieue.

Walter Benjamin | Expérience et pauvreté



 Le verre, ce n’est pas un hasard, est un matériau dur et lisse sur lequel rien n’a prise. Un matériau froid et sobre, également. Les objets de verre n’ont pas d’« aura ». Le verre, d’une manière générale, est l’ennemi du mystère. Il est aussi l’ennemi de la propriété. Le grand écrivain André Gide a dit un jour : chaque objet que je veux posséder me devient opaque. 

Walter Benjamin [*]
Expérience et pauvreté | Erfahrung und Armut
1933

Dans nos manuels de lecture figurait la fable du vieil homme  qui sur son lit de mort fait croire à ses enfants qu’un trésor est caché dans sa vigne. Ils n’ont qu’à chercher. Les enfants creusent, mais nulle trace de trésor. Quand vient l’automne, cependant, la vigne donne comme aucune autre dans tout le pays. Ils comprennent alors que leur père a voulu leur léguer le fruit de son expérience : la vraie richesse n’est pas dans l’or, mais dans le travail. Ce sont des expériences de ce type qu'on nous a opposées, en guise de menace ou d’apaisement, tout au long de notre adolescence : « C’est encore morveux et ça veut donner son avis. » « Tu en as encore beaucoup à apprendre. » L’expérience, on savait exactement ce que c’était : toujours les anciens l’avaient apportée aux plus jeunes. Brièvement, avec l’autorité de l’âge, sous forme de proverbes ; longuement, avec sa façon de, sous forme d’histoires ; parfois dans des récits de pays lointains, au coin du feu, devant les enfants et les petits-enfants. - Où tout cela est-il passé ? Trouve-t-on encore des gens capables de raconter une histoire ? Où les mourants prononcent-ils encore des paroles impérissables, qui se transmettent de génération en génération comme un anneau ancestral ? Qui, aujourd’hui, sait dénicher le proverbe qui va le tirer d’embarras ? Qui chercherait à clouer le bec à la jeunesse en invoquant son expérience passée ?

Eisenstein | Glass House

Sergueï Eisenstein, croquis pour le film Glass House 


" Vivre dans une maison de verre est, par excellence,
une vertu révolutionnaire. "

Walter Benjamin

L'architecture de verre aura été dans les années 1920, un domaine intéressant également la politique et le monde intellectuel, notamment auprès de l'intelligentsia radicale allemande et révolutionnaire soviétique, qui y voient  soit la concrétisation d'une utopie d'harmonie sociale et cosmique, soit un geste révolutionnaire capable de rompre avec le passé ; pour d'autres ce n'est que la manifestation d'un cauchemar totalitaire. Où se situe le projet de film Glass Housedu réalisateur soviétique Eisenstein [Le cuirassé Potemkine, Ivan le Terrible, Viva Mexico, etc.]  entre le socialisme rural de Tchernychevsky et les villes du futur de Khlebnikov, entre le rêve cristallin de Taut et de la Gläserne Kette et le monde dystopique de Zamiatine ? L'architecture de verre joue-t-elle, chez lui, le rôle de « vertu révolutionnaire » qui lui est attribué par Benjamin ? 

Antonio SOMAINI
Utopies et dystopies de la transparence.
Eisenstein, Glass House,
et le cinématisme de l'architecture de verre.
Revue Appareil - n° 7 | 2011
[Extraits]

1. L'architecture ouverte et la transformation
de l'espace cinématographique

En 1946, forcé d'abandonner tout projet de direction de film à cause de la censure sous laquelle était tombée la deuxième partie d'Ivan le Terrible et d'un infarctus qui l'avait obligé à suivre un régime de vie beaucoup plus limité qu'auparavant, Eisenstein se plonge dans le projet d'écrire une histoire du cinéma.

Darfour | Guerre Villes-Campagnes ?


Darfour | village traditionnel abandonné

Darfour : une guerre villes-campagnes ?

Marc Lavergne
Revue Géographique de l'Est | 2009

La guerre du Darfour, qui a entraîné le déplacement d’un tiers de la population, et un bouleversement général de l’économie agro-pastorale, a brutalement accéléré l’urbanisation de la région. Ce mouvement de regroupement de la population a été favorisé et rendu irréversible par l’intervention militaire et humanitaire internationale, la population déplacée étant désormais tributaire de l’aide et des modes de vie nouveaux qu’elle a introduit. Pour le gouvernement soudanais, les villes sont les lieux du contrôle de la population et de l’uniformisation des valeurs au niveau national, par l’éradication des identités et des sentiments régionaux, et les centres d’une économie coloniale d’un type nouveau, où la prédation de la caste dirigeante du centre se fait en fonction des impératifs et des contraintes de la mondialisation.

Le Maquis du Vercors




Traiter du maquis du Vercors, forme de guérilla en milieu rural, peut paraître bien anachronique ; d'autant plus que dans l'imaginaire collectif européen, la grande ville est considérée comme l'espace privilégié de l'insurrection et, peut-être, d'une Révolution marxiste future, un espace labyrinthique où il est encore matériellement et tactiquement possible d’affronter l'ultra technologie des forces armées : la jungle urbaine sera, à coup sur, le prochain maquis des insurgés, comme elle l'avait déjà été pour la Rote Armee Fraktion ou les Brigades Rouges. Aussi peux-t-on imaginer,  en Europe, des zones rurales où s'établiraient la révolution marxiste, laissant les villes aux insurrections sociales ?


Arundhati ROY





Je pense que les insurrections qui ont lieu dans les campagnes s’achemineront vers les villes, pas forcément sous une seule bannière, pas forcément de façon disciplinée ou révolutionnaire.
Ce ne sera pas joli.
Mais c’est inévitable.

Arundhati Roy
Ceux qui ont tenté de changer le système au moyen des élections ont fini par
être changés par lui
Outlook India| 26 novembre 2012
Traduction et PDF : Secours Rouge |Belgique

En août l’année dernière, Arundhati Roy a écrit un article soulevant d’importantes questions à propos du mouvement Anna Hazare. Beaucoup de choses ont changé depuis lors, et Arvind Kejriwal et Anna ont suivi des voies divergentes. Kejriwal lancera un parti politique le 26 novembre et au cours des quelques derniers mois, il a, avec l’avocat Prashant Bhushan, embauché de puissants politiciens et sociétés. Saba Naqvi a envoyé cinq questions à Arundhati par e-mail pour avoir son opinion sur ce qui est une situation en évolution qui a des répercussions sur la politique, les médias et le discours national. Voici les réponses très détaillées d’Arundhati.


Argentine | Le SANTIAGUEÑAZO


La politique économique de type néolibéral mise en oeuvre en Argentine dans la décennie 90 visait à réduire drastiquement le périmètre d’intervention de l’Etat. Les organismes multilatéraux de crédit exigeaient des mesures de rigueur fiscale de plus en plus dures comme condition du refinancement de la dette externe. Cette rigueur était présentée comme un remède nécessaire, le seul possible.

El SANTIAGUEÑAZO | Estallido Populare

L'Argentine, depuis maintenant des décennies, est un véritable laboratoire expérimental de formes inédites de révoltes, de luttes non conventionnelles, ou bien encore de méthodes déjà éprouvées mais portées à leur paroxysme ; depuis 1983, date du retour à la démocratie après la dictature, et de la libéralisation de son économie, le répertoire protestataire et subversif s'est enrichi : des concerts de casseroles, aux barrages routiers des piqueteros, et aux expropriations de terrains, entre autres, l'imagination de la révolte a été mise à rude épreuve. C'est en décembre 1993, qu'une forme plus ou moins inédite de révolte urbaine d'envergure embrase Santiago del Estero - 340.000 habitants : soit la population de Nice -, capitale régionale d'une province du nord de l'Argentine ; révolte que l'on baptisera par la suite du nom d'estallido populare, « explosion » populaire, ou sociale, estallido social. 

EMMAÜS Société Anonyme


Camps de fortune Emmaüs | Noisy-le-Sec


« Je m’inquiète d’une société qui consomme si avidement l’affiche de la charité qu’elle en oublie de s’interroger sur ses conséquences, ses emplois et ses limites. J’en viens à me demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. »

Roland Barthes
Mythologies | 1957

« Comme en 1954 où l'abbé Pierre avait lancé son appel, il nous faut aujourd'hui un vrai  choc de la solidarité » : 

La ministre du Logement Cécile Duflot ne déroge pas au traditionnel appel type hiver 54, [1] un rituel hivernal déclaré par quantité de ministres, lors de crise grave ou d'hiver trop rude, prouvant ainsi autant leur compassion - saisonnière -, que leur échec -permanent - à pouvoir - vouloir - mettre fin à une injustice fondamentale, emportant chaque hiver son lot de morts de froid.  Sa déclaration assortie d'une critique sévère contre l'archevêché de Paris, de ne pas venir en aide hivernale aux sans-abris, fait directement référence à l'Appel de l'abbé Pierre de l'hiver 54, annoncé par les quotidiens de l'époque comme étant une « insurrection de la bonté ». Ainsi près de soixante années séparent l'« insurrection de la bonté » du « choc de la solidarité », et l'on peut juger, des méthodes aujourd'hui rétrogrades et démagogiques, de la continuité idéologique d'une « fausse conscience » conservatrice et bourgeoise, ne proposant aucune alternative innovante, aucun nouvel instrument d'équilibre social [iste], qu'il soit du domaine législatif ou architectural, et aucun changement de "méthode" pourtant nécessaire avec les sombres prévisions du ministère de l'Economie pour les prochaines années. Il s'agit toujours de modèles élaborés à partir de la crise et non, abstraitement, contre la crise.

Ordres mendiants et Urbanisation dans la France médiévale

Le prêteur sur gage et sa femme | Quentin Metsys | 1514


Des serfs du moyen âge naquirent les petits bourgeois des premières villes ; de cette population municipale sortirent les premiers éléments de la bourgeoisie.

La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire.

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant . Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

Le manifeste du parti communiste

Karl Marx, Friedrich Engels | 1848

Les siècles de la fin du Moyen Âge (XIIIe -XVe siècles) sont ceux, selon l'historien Thierry Dutour, du triomphe de l’Europe urbaine [I], marqués par une évolution sociale majeure : l’affirmation de la ville comme l’organisme où confluent, se forment et se transforment toutes les élites, dont celle de la bourgeoisie [II] – les habitants des bourgs - et, de plus en plus, toutes les dimensions de la supériorité sociale. Au 13e siècle, le retour à une paix relative favorise la démographie, la circulation des marchandises, des idées et des hommes, et le fort développement des villes de l'Europe entière, déjà amorcé au siècle précédent.

L'Homme de BRASILIA



L'HOMME de BRASILIA : Oscar Niemeyer

Le film de Philippe de Broca, L'Homme de Rio, filmé en 1964, donne l’occasion d'admirer la nouvelle capitale Brasilia en chantier, en suivant les cascades de Jean Paul Belmondo, dans les immeubles en construction, de l'architecte Oscar Niemeyer, décédé ce mercredi 5 décembre. Oscar Niemeyer qui jusqu'à la fin, ne renia jamais son attachement au communisme.
La suite : 



Architecture et Politique : Oscar NIEMEYER

Oscar Niemeyer, architecte,  siège du parti Communiste Français, Paris


Il est bien difficile pour les architectes se réclamant du communisme de concilier pratique professionnelle dans une société capitaliste et engagement politique. Oscar Niemeyer [1], communiste et architecte exprimait dans un entretien récent,  une sorte de mea culpa sur cette contradiction évidente : « Je me sens déprimé devant ces travaux que vous allez examiner. J’ai construit des édifices publics pour l’état, j’ai travaillé pour les riches. Rien que cela. Jamais je n’ai pu travailler pour les classes défavorisées, pour tout ce monde des pauvres qui constitue la plus grande part de mes frères brésiliens ».

France | Domination Policière



Mathieu Rigouste
La domination policière
Enquête sur un champ de bataille | Introduction
novembre 2012

Depuis la fin du xxe siècle, les grandes puissances impérialistes sont entrées dans une nouvelle phase de conquêtes à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de leurs frontières [1]. Les différentes formes de misère, les inégalités socio-économiques et les révoltes populaires s’étendent et se multiplient. Dans le même temps, le contrôle, la surveillance et la répression sont devenus des marchés très profitables. Il existe des liens structurels entre ces phénomènes et les transformations des violences policières.


FRANCE | La Force de l'Ordre



Anthropologie de la matraque

Fabien JOBARD

L’enquête qu’a menée Didier Fassin dans une brigade anti-criminelle fait froid dans le dos : violence, abus, racisme y règnent sans frein. Mais peut-on sans autre forme de procès élargir le constat à l’ensemble de la situation française ? Le sociologue Fabien Jobard s’interroge sur la méthode appliquée par son collègue anthropologue. Dans le second article, Didier Fassin répond à la critique et montre à quelles conditions une enquête ethnographique peut s’étendre à une analyse globale du fonctionnement de l’État


Didier Fassin
La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Paris
Le Seuil | 2011

La force de l’ordre, l’ouvrage que publie l’anthropologue Didier Fassin, professeur de sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, s’annonce comme une « ethnographie de la force publique » . On peut le lire comme un manifeste ethnographique. Didier Fassin a en effet voulu répondre à l’urgence politique par une enquête par observation directe non participante, de longue durée, auprès de la brigade anti-criminalité (BAC) d’une agglomération de 200 000 habitants de la région parisienne. Son enquête répond à un double impératif : une « démarche critique » qui questionne la démocratie, enjeu du chapitre conclusif, à partir de l’ethnographie d’une BAC ; et une mise en évidence des pratiques policières à travers une « forme narrative, reconstitution aussi fidèle que possible des scènes observées, l’approfondissement d’études de cas [dotées] d’une portée générale », afin que « chacun [se saisisse] de ces questions ». L’ethnographie interpelle, par sa méthode propre, le politique. Il s’agit aussi d’un manifeste en ethnographie : Didier Fassin revendique une « anthropologie publique », à l’image de mouvements similaires, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis 1. Cette anthropologie publique, servie par une connaissance remarquable de la sociologie de la police, fait à la fois la force, l’impact de l’ouvrage, mais comporte aussi des limites inhérentes au choix de focale retenu par l’auteur.

Glasgow | Apartheid social



Vivre riche dans une ville de pauvres

Dans une Ecosse désindustrialisée, les quartiers riches de Glasgow connaissent une prospérité insolente, tandis que les zones pauvres s’enlisent. La situation rappelle celle du XIXe siècle, quand les « classes dangereuses » étaient tenues à l’écart et que les nantis pensaient que charité et philanthropie permettraient de perpétuer l’ordre des choses.

Julien Brygo
Le Monde Diplomatique | 2010
Martin Parr | Photographies

« Vous pensez que les clubs privés sont réservés à l’élite ? Aux riches ? Aux prétentieux ? Vous avez parfaitement raison. C’est notre raison d’être (1). » Coincé entre un magasin de robes de mariage, des pubs pour cadres supérieurs et des bureaux d’affaires, le Glasgow Art Club, en pleine cité marchande, se présente comme « le secret le mieux gardé de Glasgow ». La porte de cette maison de maître de style victorien s’ouvre sur un majordome en costume trois pièces. Chaque semaine, dans ce « club d’élite », les notables ont rendez-vous avec la charité.


LONDON | 1968/1979




Peu avant 1968, les mouvements de contestation en Angleterre s'occupant de la ville et de l'habitat, regroupant une multitude d'organisations, parfois fédérées, ont troublé la quiétude de la société britannique en faisant surgir des revendications neuves, en s'attaquant au contrepoids traditionnel du pouvoir central et de l'administration locale, en proposant une organisation sociale autre. Ce mouvement protéiforme est souvent qualifié de « localiste », car son principal champ d'action et de revendication s'occupe essentiellement du droit au logement, c'est-à-dire à l'habitat, et non ou peu au quartier et à la ville, comme par exemple aux Pays-bas ou en Italie.  Cette particularité - l'importance du local au détriment du global - est avant tout le fait du système anglais hérité de l'époque féodal que la révolution anglaise n'a pas totalement abrogé : Londres est en fait un archipel éclaté de quartiers autonomes. 


Les années 1968/1978 ont vu les luttes locales se multiplier en Angleterre. Ce type de conflits, centré sur le logement, avait déjà toute une longue histoire Outre-Manche et les armes employés (grèves des loyers, occupations d'immeubles, etc.) n'y sont pas inédites. Toutefois, ce mouvement se caractérise des précédents par quelques traits originaux :

  • il a rassemblé sur des objectifs communs des groupes sociaux et politiques jusqu'alors fort éloignés les uns des autres : marginaux (hippies notamment), chômeurs, groupes de la Gauche Radicale, comités de quartier, etc.
  • il n'a pas hésité à dénoncer les limites et les insuffisances du Welfare State [l'Etat Providence], alors même que les travaillistes [Labour Party] étaient au pouvoir. 
    Ce mouvement prend fin avec l'incroyable ruse du parti conservateur qui amnistie les squatters londoniens en octobre 1977. Moribond, il s'achève avec l'arrivée au pouvoir de M. Tatcher le 3 mai 1979.

CIORAN | Grande Ville




Emil Michel CIORAN
Histoire et utopie | 1960

Quelle que soit la grande ville où le hasard me porte, j'admire qu'il ne s'y déclenche pas tous les jours des soulèvements, des massacres, une boucherie sans nom, un désordre de fin du monde. Comment, sur un espace aussi réduit, tant d'hommes peuvent-ils coexister sans se détruire, sans se haïr mortellement ? Au vrai, ils se haïssent, mais ils ne sont pas à la hauteur de leur haine.


Histoire politique du barbelé




Le barbelé [I], premier dispositif de " mur virtualisé ", constitue une merveille tout autant économique que technologique : un coût de fabrication minimum permettant l'économie maximum d'une muraille de pierre ou d'une palissade en bois ; au lieu de construire la totalité d’un mur de fortification ou de protection, le barbelé permet d’évider la matière, le mur, pour n’en conserver que le strict minimum du volume, un fin squelette métallique. Symbole universel de la répression, le barbelé est l'exemple parfait d'une loi du capitalisme : produire dans un temps limité, un maximum de richesses, avec un minimum de ressources, qui s'accorde pleinement à celle de l'exercice du pouvoir, dont un des objectifs est de dépenser le moins d'énergie possible pour produire le plus d'effets de domination. Le barbelé a été pendant plus d'un siècle un « opérateur spatial exemplaire ».


BELGIQUE | Starchistem


Rem Koolhaas | Drapeau Europe

Le moral nécessaire
Gwenaël Breës
Kairos, journal antiproductiviste pour une société décente
novembre 2012

Depuis quelques années, des vedettes de l’architecture dessinent de «grands gestes» à Bruxelles et dans d’autres villes belges… Mais en quoi cette déferlante d’architectes côtés (en bourse ?) est-elle un gage d’intelligence, de démocratie, de durabilité ou de qualité ?

Bruxelles est marquée de longue date par un mouvement chaotique de démolition de son bâti historique. Il fut un temps pas si lointain où tous les grands projets immobiliers étaient portés par quelques sociétés faisant systématiquement appel aux mêmes bureaux d’architecture, lesquels reproduisaient des formes guidées davantage par la rentabilité maximale que par l’intégration dans le tissu urbain. La situation fut à ce point caricaturale que certaines parties de la ville, tel le quartier européen, semblent avoir fait l’objet d’une répartition concertée entre quelques promoteurs et architectes avec la bénédiction des pouvoirs publics. Le paroxysme du ridicule fut atteint à la fin des années ’80 lorsqu’il fut décidé, intérêt national oblige, que la construction du Parlement européen devait être l’œuvre d’un consensus politique et immobilier : pour contenter tout le monde et pallier l’absence d’un projet public, une société immobilière fut créée avec des banques d’obédiences laïque et chrétienne, ainsi qu’un atelier d’architecture réunissant les habituels bureaux bruxellois. Aujourd’hui, on peut juger sur pièce du résultat…

Bruxelles | l’Urbanisme du Sacrifice




Bruxelles-Midi, l’urbanisme du sacrifice et des bouts de ficelle

Gwenaël Breës
Publié par les  éditions Aden | Mai 2009 


La grande rareté d'ouvrages d'investigation de cette qualité concernant le domaine de l'urbanisme politique, nous invite à vous intéresser à ce livre reportage. Le journaliste n'hésite pas à dénoncer, preuves à l'appui, les "manigances" et les ruses des hommes politiques pour parvenir à la démolition d'une grande partie d'un quartier populaire et bâtir un ensemble tertiaire à haut profit pour les investisseurs, les "vautours" précise l'auteur.

L’art des grands projets inutiles



FRANQUIN | Idées Noires | Planche 33 *

L’art des grands projets inutiles

L’arte delle grandi opere inutili
Grandes proyectos inútiles
Alain Devalpo
Le Monde Diplomatique | août 2012

Les grands projets d’aménagement du territoire ne visent pas toujours à satisfaire des besoins. Pour vendre la construction d’une ligne de train à grande vitesse que peu de gens souhaitent utiliser ou celle d’un aéroport dans une région qui n’en nécessite pas, ingénieurs, promoteurs et maîtres d’ouvrage rivalisent d’habileté et de rhétorique. Justifier l’inutile est devenu une véritable culture dont on peut saisir les règles, les rites et les rythmes en lisant la conclusion d’un séminaire — fictif — sur le sujet.

PANOPTIC-SCRAM CITY


Ceux qui portent un système de surveillance électronique auraient rapidement un avantage concurrentiel sur les autres. La société se diviserait alors en deux groupes: ceux qui peuvent démontrer qu’ils ne briseront pas les règles, et les autres.

De la surveillance électronique volontaire
Stéphane Degoutin | 2009

Cette photo de 2007 montre l’actrice Lindsay Lohan portant un bracelet électronique Scram. Ce dispositif mesure en permanence le degré d’éthanol dans la transpiration. Dès que le sujet boit, l’information est automatiquement transmise aux autorités compétentes, qui peuvent intervenir immédiatement. Loin de le cacher, elle l’affiche sur les photographies. La banalisation est évidente: le bracelet apparaît au même plan que l’appareil photo numérique rose métallisé, les lunettes de soleil ou la planche de surf. La banalisation se lit aussi dans son regard, dans l’indifférence désabusée qu’elle affecte. On n’y lit aucune haine, ni même l’air de défi d’un prisonnier qui exhiberait ses menottes.

PARIS | Enjeu Écologique : la Décroissance urbaine ?

Cartographie DATAR 2012

L'écologie ne peut prétendre être, si son champ de réflexions et d'application n'est pas conjugué à l'échelle du territoire national, en prenant comme conditions sine qua none, le contrôle et la maîtrise du développement des agglomérations et la réduction des inégalités excessives de croissance entre les régions, entre les villes. Cet axiome rend toute sa cohérence à cette expertise, aujourd'hui plus qu'hier admise par tous, que la croissance démesurée d'une agglomération est strictement incompatible avec les contraintes de l'écologie, et avec les éco-technologies et autres greentech actuelles et - à priori - futures. En aucun cas, une grande agglomération ne peut être qualifiée d'"écologique". En d'autres termes, la logique même de l'idéal écologique exige une politique de développement national qui pose d'emblée le problème de l'aménagement harmonieux du territoire, et celui de l'échelle des villes. 

Dans ce cadre théorique, Paris plus particulièrement, serait donc condamnée à limiter, voire à stopper sa croissance spatiale et démographique, au profit de villes de province situées dans les régions les plus désertées ou sous-développées. Un idéal en parfaite opposition avec la volonté du gouvernement de N. Sarkozy reconduite par celui de F. Hollande, exigeant la croissance de l'agglomération parisienne, sans pouvoir pour autant, accorder les financements nécessaires, voire minimum, quant à sa réalisation. L'écologie politique, dans cette vision, se borne à quelques recettes sectorielles, - inefficaces devant l'ampleur du chantier - de toitures terrasses plantées, d'éoliennes bruyantes, de jardins et potagers urbains - pollués -, de façades « vertes », ou bien agite le spectre de mesures certes plus efficaces mais parfaitement anti-sociales, telle peut-être demain, la réapparition de l'Octroi, destiné à limiter la circulation automobile.


Territoire et Villes en Chine Maoïste



Territoire et Villes
en Chine Maoïste

1949 -1976



Pendant la longue période maoïste (1949-1976-1978) de la République Populaire de Chine (中华人民共和国) les domaines de la planification, de l'aménagement du territoire , de l'urbanisme, se réfèrent explicitement à la tradition marxiste et à la pensée – plus que théorie – de Marx et d'Engels. Autant les fondateurs du marxisme ont insisté sur les méfaits de l'opposition entre la ville et la campagne et sur la consolidation qui en résulte sous le mode de production capitaliste, autant ils ont insisté sur la nécessité d'abolir cette opposition. Marx dans Le manifeste du parti communiste avait parfaitement situé le noeud des rapports ville-campagne : « La bourgeoisie a soumis la campagne à la domination de la ville » ; conclusion à laquelle il arrivait après l'analyse développée dans l'Idéologie allemande rédigé en 1845-46 :

« La plus grande division du travail matériel et intellectuel est la séparation entre la ville et la campagne... L'antagonisme entre la ville et la campagne... est l'expression d'ignorance crasse de la sujétion de l'individu à la division du travail, à une activité déterminée qui lui est imposée ; sujétion qui fait de l'un un animal citadin limité et de l'autre un animal campagnard limité, tout en renouvelant quotidiennement l'antagonisme de leurs intérêts... L'abolition de l'antagonisme entre la ville et la campagne est l'une des premières conditions de la communauté... La séparation entre la ville et la campagne peut être également comme la séparation entre le capital et la propriété foncière, comme le début d'une existence et d'un développement du capital indépendamment de la propriété foncière... »

FRANCE | 2040




La démarche de prospective Territoires 2040, aménager le changement portée par la Datar [Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale], a pour objectif d'anticiper le futur, de pré-voir des scénarios possibles, devant servir à l’élaboration de futures politiques et « nourrir l’action de la Datar, de l’Etat, des collectivités locales, des entreprises et autres fabricants des territoires de demain. » Pour cela la DATAR a fait appel à près de 300 experts regroupés au sein de groupes thématiques de travail. Notons que si des scénarios « catastrophes » sont analysés, aucun n'entrevoit un aménagement du territoire autre, n'ayant plus seule vocation de satisfaire au mieux, la recherche du plus haut profit exigée par le capitalisme. Nous publions parmi les 28 scénarios -thématiques-, les travaux de Gilles Pinson et Max Rousseau.

Les systèmes métropolitains intégrés


Gilles Pinson
Max Rousseau
2011

Scénario 3

L’antipole ou la métropole slow



En 2040, l’économie française aura poursuivi son décrochage entamé dès la fin du XXe siècle et sera progressivement devenue un acteur déclassé dans la division internationale du travail désormais dominée par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. La concurrence imposée par les ex-« pays émergents » aura durablement déstabilisé l’industrie française. Le pari de la spécialisation de l’économie nationale sur les activités « immatérielles » du tertiaire, de la R&D, de la conception et de l’écoconception aura été perdu car ce type d’activités aura suivi les activités manufacturières. Toutefois, cette évolution pourra également résulter en partie de choix, de luttes et de compromis. On peut imaginer que de larges portions de la jeunesse, notamment celles issues des classes moyennes déclassées, auront fait pression pour des choix politiques de désintensification des rythmes économiques et sociaux et de refus des sacrifices induits par la mondialisation néolibérale.