Camps de fortune Emmaüs | Noisy-le-Sec |
« Je
m’inquiète d’une société qui consomme si avidement l’affiche
de la charité qu’elle en oublie de s’interroger sur ses
conséquences, ses emplois et ses limites. J’en viens à me
demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre
n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise
pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité
de la justice. »
Roland Barthes
Mythologies
|
1957
« Comme
en 1954 où l'abbé Pierre avait lancé son appel, il nous faut
aujourd'hui un vrai choc de la
solidarité » :
La
ministre du Logement Cécile Duflot ne déroge pas au traditionnel
appel type hiver 54, [1] un rituel hivernal déclaré par
quantité de ministres, lors de crise grave ou d'hiver trop rude,
prouvant ainsi autant leur compassion - saisonnière -, que leur échec -permanent - à pouvoir - vouloir - mettre fin à une injustice fondamentale, emportant chaque hiver son lot de morts de froid. Sa déclaration assortie d'une
critique sévère contre l'archevêché de
Paris, de ne pas venir en aide hivernale aux sans-abris, fait
directement référence à l'Appel de l'abbé Pierre de l'hiver 54,
annoncé par les quotidiens de l'époque comme étant une
« insurrection
de la bonté ». Ainsi près de soixante années
séparent l'« insurrection de la bonté » du « choc
de la solidarité », et l'on peut juger, des méthodes aujourd'hui rétrogrades et démagogiques, de la continuité
idéologique d'une « fausse conscience » conservatrice et
bourgeoise, ne proposant aucune alternative innovante, aucun nouvel
instrument d'équilibre social [iste], qu'il soit du domaine législatif ou
architectural, et aucun changement de "méthode" pourtant nécessaire avec les sombres prévisions du ministère de l'Economie pour les prochaines années. Il s'agit toujours de modèles élaborés à partir de la crise et non, abstraitement, contre la crise.
Cette
demande inversée
donc,
- l'Etat interpelle l'Eglise - nous interroge sur la volonté du
gouvernement socialiste, à s'engager dans une politique pour le
droit vital au logement, en faisant un tel appel à la charité
chrétienne : une initiative qui, l'histoire n'est pas muette depuis
1954, n'a jamais résolu le problème de l'habitat social, pour les
plus démunis, ni même protégé ceux qui risquaient de l'être ; de
même, les menaces de réquisitions forcées brandies par la
ministre, comme le squat « social » de notre abbé, sont
à considérer comme des instruments dérisoires, inefficaces face à
l'enjeu, et bien plus que cela, inhumains dans leur essence. Ainsi,
la « fausse conscience » des élites préfère-elle construire à Paris :
- un nouveau Palais de justice pour un montant de 2,7 milliards d'euros [un contrat de partenariat public privé avec Bouygues, prévoit que l'Etat lui versera pendant 27 ans un loyer avant de devenir propriétaire] ;
- un nouveau ministère de la Défense d'un coût pharaonique de 4,2 milliards d'euros [un contrat de partenariat public privé avec Bouygues, prévoit que l'Etat lui versera un loyer de 154 millions d'euros durant 27 ans avant de devenir propriétaire] ;
- un grand équipement musical, le philharmonique d'un coût estimé à 400 millions d'euros, qui est, selon Aurélie Filippetti, ministre de la Culture : « un projet extrêmement important et structurant pour la filière musicale, pour l’affirmation de la place de Paris comme un grand lieu symphonique. […] Cette ouverture sur l’est de Paris et sur la banlieue est un précieux atout dans notre politique en faveur de la démocratisation de l’accès à la musique classique.»
Ce
« choc de la solidarité » fait référence, non pas à
l'Esprit éclairé du siècle des Lumières, mais à celui plus
obscur du 13e siècle, aux Ordres mendiants Dominicain et
Franciscain. A moins qu'il ne s'agisse d'engager la France dans la
voie historique britannique ou nord-américaine, d'un désengagement
de l'Etat, compensé - ou tentant de l'être - par la philanthropie
[une forme de redistribution peu courante en France] et les actions
des ONG, selon leur bon vouloir pour les uns, leur bonne volonté
pour les autres - dont les ancêtres communs sont ces mêmes Ordres
mendiants... qui ont abandonné leur vocation première, et les gueux
à leur sort, affirme Cécile Duflot.
L'abbé Pierre en 1954, considéré comme « un saint François d’Assise moderne », perturba la quiétude et les règles de l'Eglise, et fera de la charité chrétienne - et non de la justice sociale - un commerce profitable, encore plus prononcé après sa mort survenu en 2007 : Emmaüs aujourd'hui se décompose en plusieurs organisations nationales et internationales, employant des centaines de salariés – ceux de l'Association Emmaüs se sont mis en 2010 en grève pour protester contre leurs conditions de travail et leurs salaires dérisoires -, tandis que Emmaüs Habitat, (anciennement HLM Emmaüs), une société de gestion de HLM, n'hésite pas à expulser les locataires refusant les augmentations de loyer et des charges (voir dernier chapitre).
L'abbé Pierre fut dès
sa spectaculaire médiatisation en 1954, l'objet des plus vives
critiques de la part des organisations de la Gauche radicale puis de
la Nouvelle Gauche, accusé de venir se vautrer avec ses compagnons
sur la misère. Dès 1954, Guy Debord, dans la revue Potlatch mène
l'attaque :
FLIC
ET CURÉ SANS RIDEAU DE FER
Chaplin,
en qui nous dénoncions dès la sortie tapageuse de Limelight «
l’escroc
aux
sentiments, le maître chanteur de la souffrance », continue ses
bonnes oeuvres.
On
ne s’étonne pas de le voir tomber dans les bras du répugnant abbé
Pierre pour lui
transmettre
l’argent « progressiste » du Prix de la Paix. Pour tout ce monde
le travail est le même : détourner ou endormir les plus pressantes
revendications des masses.
La
misère entretenue assure ainsi la publicité de toutes les marques :
la Chaplin’s
Metro-Paramount
y gagne, et les Bons du Vatican.
POTLATCH
|Bulletin d’information du groupe français de
l’Internationale lettriste.
N°
13 – 23 octobre 1954
LA
FORME D’UNE VILLE CHANGE PLUS VITE
La
plus belle partie du square des Missions Étrangères (voir Potlatch,
n° 16) abrite
depuis
cet hiver un certain nombre de roulottes-préfabriquées qui évoquent
les
mauvais coups de l’Abbé
Pierre.
POTLATCH
|Bulletin d’information du groupe français de
l’Internationale lettriste.
N° 25 – 26 janvier
1956
LA
FAUTE DE L'ABBE PIERRE ?
CAMP DE FORTUNE EMMAUS NOISY-LE-SEC |
CITE D'URGENCE EMMAUS HAM |
CITE D'URGENCE EMMAUS | PLESSIS-TREVISE |
En
1954, pour l'abbé Pierre, alors député, il doit s'agir d'offrir un
abri – provisoire - immédiatement, quel qu'en soit sa nature :
squat social, hangar réquisitionné, tente, roulotte, etc. Mais les
dons affluent, et la somme dont il peut disposer est, quelques jours
seulement après son appel, considérable. Une semaine après
l'appel, le 8 février, l'abbé lance la construction d'une première
cité d'urgence : la Cité de
la Joie
et ses 250 maisonnettes au
Plessis-Trévise, conçue par l'architecte Pierre Dufau ;
l'architecte se souvient que « le
site, imposé par l'Abbé Pierre est catastrophique : en pleine forêt
humide, loin de tout et... en pente. L'Abbé veut des hangars et un
poêle au milieu. » C'est avec le soutien du Ministère, que
Pierre Dufau impose ses conceptions architecturales – dont un
« coin » d'eau faisant office de salle de bains - qui
seront reprises par la suite pour d'autres cités d'urgence.
Article de 1945 : Solutions d'urgence
Pour
beaucoup, le minimalisme de l'abbé est considéré comme une
architecture de la survie humanitaire, et ces camps de fortune comme
ces cités d'urgence sont autant de ghettos sociaux, assurant le
minimum vital, et qui loin d'être « provisoires » vont
perdurer dans le temps, intactes jusqu'en 2010, pour certaines. De
même que l'on reprocha à l'abbé
Pierre, outre le fait de détourner de la Révolution les masses
opprimées, d'avoir contribué plus que largement à l'avènement de
l'architecture inhumaine des grands ensembles d'habitations, d'avoir
accéléré les rouages des institutions de l'État pour leur
construction, opérée dans l'urgence.
Ce
qui n'est pas tout à fait exact, car en effet, le logement était
bien alors une “affaire d'État”, bien avant 1954, même si la
priorité des premières années de reconstruction post
seconde-guerre mondiale était consacrée à l'équipement national
et aux activités industrielles. De multiples incitations le prouvent
: organisation de concours et développement d'opérations
expérimentales ; primes à la construction comme celle en 1953, du
plan Courant – du nom du ministre du Logement – et l'obligation
faite aux entreprises de plus de dix employés de consacrer 1 % de
leur masse salariale à la construction de logements ; création de
la Société civile et immobilière de la Caisse des dépôts et
Consignations, qui va réaliser des milliers de logements ; ou bien
encore, dans un autre registre, le Salon des Arts ménagers qui
annuellement se tient au Grand Palais à Paris. De même, les
architectes dès la fin de la guerre imaginaient des habitations
d'urgence provisoires pour les sans-abris, victimes des destructions
dues aux bombardements. Fort de ses expériences, en 1956, le
plus que talentueux Jean Prouvé, pour répondre à la demande de
l'abbé, conçoit et réalise en six semaines la maison Les
Jours meilleurs, qui est montée
en quelques heures sur les quais de la Seine à Paris.
En 1956, l'abbé
Pierre, ou plus exactement la Société d'habitations à loyers
modérés (HLM) Emmaüs, du nom des communautés fondées pour venir
en aide aux plus démunis, fait appel aux jeunes architectes du
groupe ATIC [Atelier pour l'industrialisation de la construction] et
du célèbre ingénieur Jean Prouvé, pour réaliser un des premiers
ensembles de 190 logements à Argenteuil. Une opération plus élaborée que celles minimales de Pierre Dufau, mais dont les
prestations étaient réduites au minimum pour des raisons évidentes
d'économie : on préfère la quantité de logement au fort détriment de la qualité architecturale. Elle préfigure ou précède de peu la recherche d'économie maximum faite
par les constructeurs-promoteurs de l'époque tel que Bouygues. Car selon les décideurs, dans
une situation de crise endémique, analyse l'historien de
l'architecture Jacques Lucan, « les bonnes volontés ne peuvent
cependant pas suffire. Pour enrayer la crise, on le sait depuis
longtemps, il n'est pas d'autre moyen que d'industrialiser la
construction. » Les constructeurs-promoteurs en feront une source inestimable de revenus, de rentes et de bénéfices.
Dans un sens, les formules de minimalisme et d'urgence ou de pragmatisme de l'abbé Pierre, s'opposent à la célèbre invective de Le Corbusier : Architecture ou Révolution, pour qui la plus haute qualité architecturale, la grande surface des logements, la nature des espaces communs doivent prévaloir, être exigées autant pour le confort que pour le nécessaire bien-être moral des habitants. Ce ne sera pas la révolution, mais le cycle amorcé dans les années 1980 des violentes émeutes des grandes cités d'habitat social donneront raison à l'architecte.
LE
COMITÉ DES MAL-LOGÉS
Le
Comité des mal-logés (CML) est créé au début de l'année 1987
par des militants d'"extrême-gauche", dans la foulée
d'une mobilisation initiale pour le relogement des familles
sinistrées d'incendies d'hôtels meublés du 20e arrondissement —
incendies dont plusieurs sont d'origine criminelle. Il rassemble à
son apogée, au printemps 1990, autour de 1300 adhérents, pour la
plupart des familles africaines. En octobre 1990 Jean-Baptiste Eyraud
quitte le Comité des Mal-Logés pour fonder l'association Droit Au
Logement. En 1994, Le Comité des Mal-Logés s'autodissout.
Un
long passage est accordé aux pratiques des compagnons d'Emmaüs –
qu'ils côtoient régulièrement – dans une brochure qu'ils éditent
en 1991.
L'ABBÉ PIERRE ET LES
EMMAÜS
Leur rôle, comme leur
histoire et leurs pratiques constantes le démontrent depuis leur
origine, est d'éviter qu'il se creuse un fosse entre le prolétariat
et la bourgeoisie, fossé qui s'il s'accentuait la mettrait de fait
en danger. 1945, le pays est prêt a être reconstruit. La bande à
bourgeois a réussi son cyclique tour de passe-passe magique qui vise
a transformer, par le biais d'une guerre, sa perte d'accumulation de
capital, en marchés à nouveau réouverts et en misère humaine
grandissante. 1945, à nouveau l'exploitation du monde du travail
peut reprendre dans les meilleures conditions. Et comme le disait le
camarade Maurice, alors au Gouvernement : « la grève c'est
l'arme des trusts ».
Dans ce contexte de
restrictions, de rationnement, de précarité absolue que connaissait
des centaines de milliers de prolétaires, des luttes et des
mouvements sociaux apparaissent, qui connaitront leur apogée et
finalement leur écrasement dans les années 1951-1958. Au milieu de
tous ces prolétaires, qui soit tentent de s'organiser et de lutter,
soit se replient dans une soumission a la fatalité diabolique de la
misère, l'Abbé Pierre ex-député et d'autres prêtres lancent les
communautés de survie, les chiffonniers d'Emmaüs. Dans un
environnement de bouillonnement social où beaucoup de travailleurs
encore croyaient a la possibilité d'une reconquête de leurs droits
et donc d'un bouleversement social, l'Abbé et ses premiers
compagnons viennent se vautrer sur la misère. Il s'agit dans leurs
conceptions d'éviter a tout prix que des prolétaires pris a la
gorge et n'ayant plus d'autre choix pour survivre que la révolte
voire la révolution, trouvent dans l'organisation d'une survie moins
misérable des raisons de patienter et de ne pas franchir le pas. En
faisant appel a des valeurs réactionnaires considérées comme
nobles telles que la rédemption par le travail, le libre arbitre, la
bonté et le pardon, ils organisent des « déshérites ou
laisses pour compte » toujours de sexe masculin et sans
attaches dans des communautés autarciques et de fait coupées de la
réalité sociale.
Ce sont ces communautés
qui leur permettent de structurer des zones de survie en 1954, dans
les environs immédiats des quartiers les plus dévastes et touchés
par la crise (ce sont de véritables villages de lentes installes
dans des terrains vagues) appelant la bourgeoisie, les classes
moyennes et les ouailles de toutes les paroisses de France a soulager
un peu de misère afin d'éviter l'explosion.
Emmaüs n'est rien
d'autre qu'un rouage critique mais intègre du système capitaliste.
Auparavant, certains
travailleurs mal-loges ayant connaissance de l'ordonnance du 19
Octobre 1945 instituant le droit de réquisition des logements
vacants au profit des sans logis, mais qui était restée quasiment
sans application dans certaines grandes villes, occuperont
collectivement et populairement des 1947 des villas, appartements, et
immeubles. Des militants audacieux, par leur action, permirent a plus
de 5000 familles de se reloger à Marseille, Nice, Lille, Rouen,
Angers. À la traine de ces mouvements sporadiques et pas toujours
organisés, l'Abbé et ses compagnons à partir de leurs bases
d'implantation, feront parti en 1954 (grâce à leur logistique) en
créant des rapports de dépendance matérielle, d'un soutien mou a
ces réquisitions.
C'est dans cette
situation que des familles se verront inculpées a de nombreuses
reprises par les pouvoirs judiciaires et que toute ouverture de porte
devra par la suite recevoir l'aval ou le soutien des « curés
anarchisants ». Le pouvoir peut alors transformer le grand élan
populaire de soutien, en mouvement d'opinion et de compassion pour
ces « pauvres sans logis » qui se révoltaient. Une
insurrection populaire urbaine qui couvait pouvait alors être
transformée par le pouvoir politique en « insurrection de la
bonté ». La France pleurait dans les chaumières sur ces
enfants morts de froid pendant cet hiver 53-54. Combien y en
avait-il eu avant? L'hiver était rude. l'Abbé veillait ; et le
problème du nécessaire logement des travailleurs ne se posait plus
en termes de structures économiques à bouleverser. La petite
bourgeoisie et les bourgeois n'avaient plus a craindre qu'une révolte
des gueux ne leur ôte leurs privilèges.
C'est bien dans le même
sens que l'Abbé et sa logistique sortiront de leur retraite au
moment de l'occupation du square de la Réunion. L'objectif en était
bien, comme à l'accoutumé, de briser, de noyer ou de marginaliser
la lutte de classe impulsée par le Comité des Mal-Loges sur le
logement, pour prendre la direction médiatique et politique de
celle-ci. Le pouvoir pouvait se permettre de dire qu'il relogeait des
« pauvres familles sans abris dormant sur le sable, au 20e
siècle, pour raisons humanitaires », certainement pas de
laisser l'exemple d'une lutte revendicative, de travailleurs
Mal-Loges, qui paie. Ce sont, par exemple les responsables d'Emmaüs
qui au travers de l'A.R.I.L. (Association pour le Relogement en
Île-de-France est une structure mise en place par le Gouvernement,
sous couvert de gestion sociale, pour orienter les dossiers de
demandes de logements 'pris en compte' par les Préfectures, dans un
objectif certain qui est de calmer les 'remous' pouvant exister dans
ce domaine ! ) gèrent jusqu'au bout une partie des dossiers de
relogements et notamment les baux glissants. Dans un autre registre
ce sont également eux qui sont responsables pour une partie de la
« distribution » du R.M.l.. Ce sont eux qui auront tente
jusqu'au bout encore de s'imposer dans la lutte par le biais du
paiement de nourriture et de tentes, objectifs toujours contrariés,
même imparfaitement par le C.M.L. Les travailleurs Mal-Loges ne
réclament pas l'aumône (les moyens matériels de survivre sous une
tente) mais l'obtention d'un droit réel à un logement.
A la suite de la place,
lors des différentes actions du Comité des Mal-Loges consécutives
a de nouvelles expulsions (oct-nov 1990), comme l'implantation de la
tente de la Mairie du 18e, les compagnons de l'Abbé feront
systématiquement le forcing auprès du C.M.L. afin d'organiser une
réquisition d'hôpital désaffecté pour y loger les familles qui
risquaient de se faire expulser. Proposition bien évidement refusée
en assemblée générale par ses membres. Lorsque l'on réclame des
logements décents, ce n'est pas en organisant des solutions de
précarité absolue (des asiles pour clochards, exemple classique)
que les familles de travailleurs obtiendront leurs droits. La seule
réquisition possible c'est celle de logements qui nous sont dus.
Quand
au fonctionnement interne de leurs troupes, nous avons pu constater
qu'un de leurs compagnons, conducteur d'un des camions qui nous livra
les tentes, par le fait qu'il se rapprochait du point de vue de la
lutte du Comité des Mal-Loges se verra à titre punitif, 'déclassé',
retiré de la place et envoyé au tri de la ferraille durant une
quinzaine de jours. Bonjour les scouts ! Mais lors des deux
interventions musclées des C.R.S. (l'une lors du déchargement des
tentes, l'autre lors de la tentative d'expulsion d'un squatt de
jeunes de la rue Ligner) les responsables d'Emmaüs feront partie des
résistants et se prendront, avec autant de courage que d'humilité,
de violents coups de matraque ; ça rapproche du peuple !
L’ABBÉ
PIERRE ET LES BRIGADES ROUGES ITALIENNES
Mal-aimé
par les groupes de la Gauche radicale, l’abbé Pierre a été
paradoxalement l'un des plus ardents défenseurs des groupes
révolutionnaires italiens, notamment ceux réfugiés en France,
rappelle en 2007 le quotidien italien Corriere della Sera : « L’abbé
Pierre serait celui qui aurait convaincu le président Mitterrand de
protéger les brigadistes rouges ayant fui l’Italie. » Le
juge Carlo Mastelloni, interviewé par le quotidien, se souvient de
l’abbé Pierre au tribunal de Venise au milieu des années 1980,
venu prendre la défense du groupe de terroristes italiens réfugiés
à Paris, parce que, disait-il, « ils sont persécutés par la
droite » ; « L’Abbé Pierre était venu de France pour
témoigner spontanément en faveur du groupe d’Italiens de Paris
qui tournaient autour de l’école de langues Hypérion ». Cet
institut de langue, dirigé par l’Italien Vanni Mulinaris, a été
soupçonné par la justice italienne d’être lié aux « cerveaux »
des Brigades Rouges. Rien n’a jamais pu être prouvé en ce sens et
La Repubblica rappelle que tous les inculpés ont été acquittés.
En 1983, l’Abbé Pierre était allé chez le président de la
République italienne Sandro Pertini plaider la cause de Vanni
Mulinaris, incarcéré sous l’inculpation d’assistance aux BR, et
en mai 1984 il avait même observé huit jours de grève de la faim
pour dénoncer les conditions de détention des « brigadistes »
dans les prisons de la Péninsule. Le juge Mastelloni rappelle qu’une
nièce de l’Abbé Pierre était secrétaire à Hypérion et mariée
à l’un des Italiens alors recherchés par la justice de son pays.
L’agence
Ansa a de son côté évoqué l’intervention de l’Abbé Pierre en
faveur d’un de ses médecins, Michele D’Auria, ancien membre d’un
autre groupe d’extrême gauche italien, Prima Linea, accusé
d’avoir participé à des hold-up en 1990, et qui avait trouvé
refuge en France. L’Abbé Pierre avait jeûné 48 heures en juin
2005 pour soutenir Michele d’Auria, poursuivi en France pour
exercice illégal de la médecine. Le Dr d’Auria, que la justice
française a finalement acquitté, s’était servi du nom d’un
autre médecin italien, Antonio Canino, en vue de travailler pour
l’association Emmaüs, et était le médecin personnel de l'abbé
Pierre.
Le
scandale vint non pas de cette attention accordée à des
« terroristes rouges » mais lorsque l'abbé apporta son
soutien au bouquin négationniste de son ami Garaudy. Certains
journalistes de l'époque jugeaient – en exagérant - ainsi que son
éducation dans l'antijudaïsme catho de l'entre-deux-guerres s'était
conjugué avec l'antisionisme de l'extrême gauche, un antisémitisme
résolument pro-palestinien. Ne craignant pas d'écrire, en 1991 : «
Je constate qu'après la formation de leur Etat, les Juifs, de
victimes, sont devenus bourreaux. Ils ont pris les maisons, les
terres des Palestiniens.»
EMMAÜS
SOCIÉTÉ ANONYME
Benoit
Le Corre et Ophelia Noor
OWNI
15
février 2012
Emmaüs,
créée par l'Abbé Pierre pour défendre les mal-logés, ne fait pas
que dans l'humanitaire. Propriétaire de 13 000 logements sociaux, sa
filiale commerciale, Emmaüs SA Habitat, n'a rien à envier aux
bailleurs privés. Hausses brutales des loyers, injonctions
d'huissiers... OWNI a enquêté à Montreuil où Emmaüs demande
l'expulsion de huit locataires.
À
la demande de la société Emmaüs Habitat, huit locataires d’une
résidence de Montreuil, en région parisienne, devaient comparaître
mardi 14 février devant le Tribunal d’Instance de cette ville pour
non paiement de loyers. Les conclusions remises au juge mentionnent
une demande d’expulsion :
Emmaüs Habitat a saisi
le tribunal pour (…) ordonner l’expulsion, tant du logement que
de tous les locaux accessoires, de Monsieur et Madame X ainsi que de
toutes les personnes dans les lieux de leur chef et ce, avec le
concours de la force publique ainsi que d’un serrurier s’il y a
lieu.
Sur
demande de l’avocate des locataires, Sandra Herry, l’audience
d’hier a été reportée au 22 mai 2012 pour des questions de
procédure. Derrière l’apparente simplicité de l’affaire – un
propriétaire exige l’expulsion de locataires qui n’honoreraient
pas leurs loyers – se dissimulent des réalités plus complexes.
Qui révèlent une facette étonnante du bailleur social.
13
000 logements
Début
2000, la barre d’immeubles situés aux 9, 11, 13, 15 et 17 rue
Gaston Monmousseau, dans le nord de Montreuil, cherche un nouvel
acquéreur. Le lot comprend 83 logements d’une surface inégale.
Emmaüs Habitat, une société anonyme créée en 1954 par l’abbé
Pierre et spécialisée dans la réhabilitation et la gestion d’HLM,
exprime son intérêt lors d’une réunion publique en mars 2000. À
l’époque, Emmaüs Habitat ne gère pas encore les 13 000 logements
sociaux locatifs et la trentaine de résidences sociales actuels. Rue
Gaston Monmousseau, des locataires tel Jean-Pierre Rougiet,
aujourd’hui âgé de 62 ans, s’en réjouissent : “On s’est
dit ‘chouette’, ce sont des gens sérieux, comme le bonhomme à
béret”.
Une
convention est signée avec l’État le 7 février 2001. Dans la
foulée, le 25 avril 2001, une lettre est déposée dans chaque boîte
aux lettres. Y sont décrits les futurs travaux de rénovation ainsi
que la mention “leur réalisation n’entraînera aucune hausse de
votre loyer”. A cet instant, Saadia Trebol, l’une des locataires
aujourd’hui assignée en justice par Emmaüs Habitat, se satisfait
: “Ça voulait dire qu’ils allaient remettre l’immeuble aux
normes sans qu’on en fasse les frais”. Une aubaine pour cette
femme au foyer qui dispose uniquement du salaire de son compagnon
pour régler le loyer. Une phrase l’intrigue pourtant : “A
l’issue de ces travaux, soit vraisemblablement en janvier de l’an
prochain, c’est la législation HLM qui s’appliquera à votre
résidence et vous serez alors amenés à signer un nouveau bail”.
Fin
2002, des courriers arrivent. Les locataires découvrent leurs
loyers. Un retraité a vu sa location passer de 438 euros par mois à
601 euros. Pour Reine Belaïd, âgée de soixante-dix ans, la hausse
a atteint les 48%. Elle fait partie des douze locataires qui ont
connu une augmentation bien plus forte que la moyenne.
Boycotter
Conjointement
avec la Confédération nationale du logement (CNL), la principale
association défenseure des locataires en région parisienne, les
voisins créent “l’Amicale des locataires Monmousseau”. Premier
objectif : comprendre “pourquoi les loyers ont augmenté de la
sorte”, dixit Saadia Trebol. Sur la convention passée avec l’Etat,
Emmaüs Habitat informe que les loyers peuvent être majorés au
maximum de 33 %. Or, certaines augmentations atteignent presque 50 %.
Les
locataires décident de boycotter la hausse, tout en continuant de
payer les loyers initiaux, dans l’attente de négociations avec
Emmaüs Habitat. Selon Me Herry, avocate des locataires, rencontrée
à son cabinet :
Alors
que des discussions étaient en cours, en septembre 2003, Emmaüs
Habitat s’est mis à assigner certains locataires en expulsion.
En
première ligne se trouve Saadia Trebol, alors présidente de
l’Amicale (elle le restera jusqu’en 2007). Un huissier se rend à
son domicile pour lui délivrer une assignation. Coup de théâtre.
Quelques jours avant l’audience, elle reçoit un coup de téléphone
d’Emmaüs Habitat : “Ne vous déplacez pas, c’est une erreur de
notre part”. “J’étais contente, j’ai demandé si c’était
possible d’avoir cette déclaration par écrit”, explique-t-elle.
La société lui concède :
Le tribunal constate
que “le demandeur Emmaüs a déclaré expressément, à l’audience,
se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance, la
dette étant soldée”. Une heureuse nouvelle pour les locataires,
qui voient en ce désistement la preuve de l’augmentation
injustifiée des loyers. Et un retour à la “normale”. A priori.
Emmaüs
Habitat joue les prolongations
Une
semaine plus tard, les loyers qui tombent sont les mêmes. L’erreur,
pourtant admise par Emmaüs Habitat, n’a induit aucun changement.
Les locataires et Emmaüs n’arrivent pas à entamer des
négociations. Les deux parties rejettent successivement des
protocoles à l’amiable. Certains locataires acceptent
l’augmentation de loyers, comme Reine Belaïd, qui ne “supportait
plus de voir les dettes s’accumuler sur ses quittances”.
D’autres, les irréductibles, poursuivent le boycott. “On a
toujours pas de bail signé avec Emmaüs, souligne Jean-Pierre
Rougiet. Alors on fait un peu notre cuisine avec les loyers”. Le
retraité paie l’augmentation annuelle du loyer tout en boudant les
charges qui lui semblent indues. Selon la “cuisine” mijotée par
les locataires, les dettes s’élèvent de 5000 à 30 000 euros.
En
2008, Emmaüs Habitat réassigne les locataires en expulsion. Un
huissier se déplace, encore une fois, à domicile. Rebelote.
Quelques jours avant l’audience, les locataires apprennent d’Emmaüs
Habitat que la procédure est mort-née :
“A ce stade, cela
commence à faire beaucoup d’erreurs”, témoigne l’avocate
Sandra Herry. Selon elle, il pourrait s’agir d’une technique
d’intimidation censée décourager les derniers locataires
résistants. “Psychologiquement, c’est très dur de recevoir un
huissier chez soi”, convainc Saadia Trebol. Ultime procédure
d’expulsion en octobre 2011, reportée une première fois au 14
février 2012, qui vient donc d’être décalée au 22 mai.
Procès-verbaux
Frédéric
Capet, de la CNL, conseille “l’Amicale des locataires
Monmousseau” depuis plusieurs années. Ses demandes sont sans
équivoque : “On veut une remise à zéro des compteurs” et la
régulation de tous les loyers. Rejetées par Paul-Gabriel Chaumanet,
avocat d’Emmaüs Habitat :
Il s’agit d’une
affaire juridique complexe. Il n’y a pas de bons ou de méchants.
Dans
les conclusions qu’il a remises aux magistrats, il invoque à
plusieurs reprises la mauvaise foi des huit locataires. Il rappelle
que “60 % des locataires voient leur loyer diminuer, et ce, de
manière non négligeable dans de nombreux cas”. Selon lui, citant
la jurisprudence, “les augmentations des loyers décidées en
l’espèce (…) procèdent de la nécessité de financer les
travaux d’amélioration réalisés – la subvention de l’Etat ne
pouvant évidemment y suffire”. Il écrit encore : “avec un
certain aplomb, les locataires ne craignent pas d’oser prétendre
que les travaux réalisés dans le courant de l’année 2002 ne sont
pas encore achevés en 2012″, alors que les procès verbaux ont
fait foi de l’achèvement des travaux.
Selon
l’ancien député-maire de l’époque, Jean-Pierre Brard, membre
du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), la mauvaise foi
incombe plutôt à Emmaüs Habitat. “Là où on a été abusé,
c’est le décalage entre l’image d’Emmaüs et la réalité.
Pour les locataires, comme pour moi, la reprise par Emmaüs était un
facteur de tranquillité. Leur objectif ne peut pas être la
rentabilité au sens financier (…) Emmaüs n’a pas vocation à
dégager des excédents comme n’importe quelle société cotée au
CAC 40 !” Jean-Pierre Brard a d’ailleurs adressé une lettre à
la directrice générale d’Emmaüs Habitat :
Le
plus insupportable dans cette affaire, est le décalage entre le
discours national d’Emmaüs et vos pratiques vis-à-vis de vos
locataires. Un certaine nombre de faits m’ont été rapportés,
tels que des pressions ou des harcèlements moraux sur les
locataires. Certains, sous contraintes psychologiques, ont dû signer
des reconnaissances de dettes.
Contacté
à plusieurs reprises, Emmaüs Habitat n’a pas souhaité s’exprimer
sur le sujet. Uniques déclarations de son avocat : “On n’est pas
au stade de l’expulsion (…) Ce n’est pas dans la tradition
d’Emmaüs de procéder à des expulsions”. Dans son dernier
rapport sur le logement, la Fondation Abbé-Pierre estime de son côté
:
Alors
que les situations de fragilité des ménages se sont amplifiées au
cours des dernières années (…) l’engagement plus systématique
des procédures d’expulsion par les bailleurs suscite les plus
vives inquiétudes pour les années à venir.
NOTES
[1]
Appel radiophonique intégral de 1954 : Mes amis, au secours… Une
femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le
trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par
lequel, avant hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont
plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain,
plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence,
ce n’est même plus assez urgent ! Écoutez-moi : en
trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se
créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la
Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils
regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir
même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de
Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à
la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où
l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage »,
ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois,
entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime » La météo
annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que
ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une
seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre
impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de
suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose
merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci !
Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il
nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille
couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents
poêles catalytiques. Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92,
rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le
ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne
Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne
couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci !
[2]
Article du Le Point de 2010 :
http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2010-03-09/malaise-des-salaries-d-emmaus-en-greve-pour-la-premiere-fois/920/0/431748
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