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Glasgow | Apartheid social



Vivre riche dans une ville de pauvres

Dans une Ecosse désindustrialisée, les quartiers riches de Glasgow connaissent une prospérité insolente, tandis que les zones pauvres s’enlisent. La situation rappelle celle du XIXe siècle, quand les « classes dangereuses » étaient tenues à l’écart et que les nantis pensaient que charité et philanthropie permettraient de perpétuer l’ordre des choses.

Julien Brygo
Le Monde Diplomatique | 2010
Martin Parr | Photographies

« Vous pensez que les clubs privés sont réservés à l’élite ? Aux riches ? Aux prétentieux ? Vous avez parfaitement raison. C’est notre raison d’être (1). » Coincé entre un magasin de robes de mariage, des pubs pour cadres supérieurs et des bureaux d’affaires, le Glasgow Art Club, en pleine cité marchande, se présente comme « le secret le mieux gardé de Glasgow ». La porte de cette maison de maître de style victorien s’ouvre sur un majordome en costume trois pièces. Chaque semaine, dans ce « club d’élite », les notables ont rendez-vous avec la charité.


LONDON | 1968/1979




Peu avant 1968, les mouvements de contestation en Angleterre s'occupant de la ville et de l'habitat, regroupant une multitude d'organisations, parfois fédérées, ont troublé la quiétude de la société britannique en faisant surgir des revendications neuves, en s'attaquant au contrepoids traditionnel du pouvoir central et de l'administration locale, en proposant une organisation sociale autre. Ce mouvement protéiforme est souvent qualifié de « localiste », car son principal champ d'action et de revendication s'occupe essentiellement du droit au logement, c'est-à-dire à l'habitat, et non ou peu au quartier et à la ville, comme par exemple aux Pays-bas ou en Italie.  Cette particularité - l'importance du local au détriment du global - est avant tout le fait du système anglais hérité de l'époque féodal que la révolution anglaise n'a pas totalement abrogé : Londres est en fait un archipel éclaté de quartiers autonomes. 


Les années 1968/1978 ont vu les luttes locales se multiplier en Angleterre. Ce type de conflits, centré sur le logement, avait déjà toute une longue histoire Outre-Manche et les armes employés (grèves des loyers, occupations d'immeubles, etc.) n'y sont pas inédites. Toutefois, ce mouvement se caractérise des précédents par quelques traits originaux :

  • il a rassemblé sur des objectifs communs des groupes sociaux et politiques jusqu'alors fort éloignés les uns des autres : marginaux (hippies notamment), chômeurs, groupes de la Gauche Radicale, comités de quartier, etc.
  • il n'a pas hésité à dénoncer les limites et les insuffisances du Welfare State [l'Etat Providence], alors même que les travaillistes [Labour Party] étaient au pouvoir. 
    Ce mouvement prend fin avec l'incroyable ruse du parti conservateur qui amnistie les squatters londoniens en octobre 1977. Moribond, il s'achève avec l'arrivée au pouvoir de M. Tatcher le 3 mai 1979.

CIORAN | Grande Ville




Emil Michel CIORAN
Histoire et utopie | 1960

Quelle que soit la grande ville où le hasard me porte, j'admire qu'il ne s'y déclenche pas tous les jours des soulèvements, des massacres, une boucherie sans nom, un désordre de fin du monde. Comment, sur un espace aussi réduit, tant d'hommes peuvent-ils coexister sans se détruire, sans se haïr mortellement ? Au vrai, ils se haïssent, mais ils ne sont pas à la hauteur de leur haine.


Histoire politique du barbelé




Le barbelé [I], premier dispositif de " mur virtualisé ", constitue une merveille tout autant économique que technologique : un coût de fabrication minimum permettant l'économie maximum d'une muraille de pierre ou d'une palissade en bois ; au lieu de construire la totalité d’un mur de fortification ou de protection, le barbelé permet d’évider la matière, le mur, pour n’en conserver que le strict minimum du volume, un fin squelette métallique. Symbole universel de la répression, le barbelé est l'exemple parfait d'une loi du capitalisme : produire dans un temps limité, un maximum de richesses, avec un minimum de ressources, qui s'accorde pleinement à celle de l'exercice du pouvoir, dont un des objectifs est de dépenser le moins d'énergie possible pour produire le plus d'effets de domination. Le barbelé a été pendant plus d'un siècle un « opérateur spatial exemplaire ».


BELGIQUE | Starchistem


Rem Koolhaas | Drapeau Europe

Le moral nécessaire
Gwenaël Breës
Kairos, journal antiproductiviste pour une société décente
novembre 2012

Depuis quelques années, des vedettes de l’architecture dessinent de «grands gestes» à Bruxelles et dans d’autres villes belges… Mais en quoi cette déferlante d’architectes côtés (en bourse ?) est-elle un gage d’intelligence, de démocratie, de durabilité ou de qualité ?

Bruxelles est marquée de longue date par un mouvement chaotique de démolition de son bâti historique. Il fut un temps pas si lointain où tous les grands projets immobiliers étaient portés par quelques sociétés faisant systématiquement appel aux mêmes bureaux d’architecture, lesquels reproduisaient des formes guidées davantage par la rentabilité maximale que par l’intégration dans le tissu urbain. La situation fut à ce point caricaturale que certaines parties de la ville, tel le quartier européen, semblent avoir fait l’objet d’une répartition concertée entre quelques promoteurs et architectes avec la bénédiction des pouvoirs publics. Le paroxysme du ridicule fut atteint à la fin des années ’80 lorsqu’il fut décidé, intérêt national oblige, que la construction du Parlement européen devait être l’œuvre d’un consensus politique et immobilier : pour contenter tout le monde et pallier l’absence d’un projet public, une société immobilière fut créée avec des banques d’obédiences laïque et chrétienne, ainsi qu’un atelier d’architecture réunissant les habituels bureaux bruxellois. Aujourd’hui, on peut juger sur pièce du résultat…

Bruxelles | l’Urbanisme du Sacrifice




Bruxelles-Midi, l’urbanisme du sacrifice et des bouts de ficelle

Gwenaël Breës
Publié par les  éditions Aden | Mai 2009 


La grande rareté d'ouvrages d'investigation de cette qualité concernant le domaine de l'urbanisme politique, nous invite à vous intéresser à ce livre reportage. Le journaliste n'hésite pas à dénoncer, preuves à l'appui, les "manigances" et les ruses des hommes politiques pour parvenir à la démolition d'une grande partie d'un quartier populaire et bâtir un ensemble tertiaire à haut profit pour les investisseurs, les "vautours" précise l'auteur.

L’art des grands projets inutiles



FRANQUIN | Idées Noires | Planche 33 *

L’art des grands projets inutiles

L’arte delle grandi opere inutili
Grandes proyectos inútiles
Alain Devalpo
Le Monde Diplomatique | août 2012

Les grands projets d’aménagement du territoire ne visent pas toujours à satisfaire des besoins. Pour vendre la construction d’une ligne de train à grande vitesse que peu de gens souhaitent utiliser ou celle d’un aéroport dans une région qui n’en nécessite pas, ingénieurs, promoteurs et maîtres d’ouvrage rivalisent d’habileté et de rhétorique. Justifier l’inutile est devenu une véritable culture dont on peut saisir les règles, les rites et les rythmes en lisant la conclusion d’un séminaire — fictif — sur le sujet.

PANOPTIC-SCRAM CITY


Ceux qui portent un système de surveillance électronique auraient rapidement un avantage concurrentiel sur les autres. La société se diviserait alors en deux groupes: ceux qui peuvent démontrer qu’ils ne briseront pas les règles, et les autres.

De la surveillance électronique volontaire
Stéphane Degoutin | 2009

Cette photo de 2007 montre l’actrice Lindsay Lohan portant un bracelet électronique Scram. Ce dispositif mesure en permanence le degré d’éthanol dans la transpiration. Dès que le sujet boit, l’information est automatiquement transmise aux autorités compétentes, qui peuvent intervenir immédiatement. Loin de le cacher, elle l’affiche sur les photographies. La banalisation est évidente: le bracelet apparaît au même plan que l’appareil photo numérique rose métallisé, les lunettes de soleil ou la planche de surf. La banalisation se lit aussi dans son regard, dans l’indifférence désabusée qu’elle affecte. On n’y lit aucune haine, ni même l’air de défi d’un prisonnier qui exhiberait ses menottes.

PARIS | Enjeu Écologique : la Décroissance urbaine ?

Cartographie DATAR 2012

L'écologie ne peut prétendre être, si son champ de réflexions et d'application n'est pas conjugué à l'échelle du territoire national, en prenant comme conditions sine qua none, le contrôle et la maîtrise du développement des agglomérations et la réduction des inégalités excessives de croissance entre les régions, entre les villes. Cet axiome rend toute sa cohérence à cette expertise, aujourd'hui plus qu'hier admise par tous, que la croissance démesurée d'une agglomération est strictement incompatible avec les contraintes de l'écologie, et avec les éco-technologies et autres greentech actuelles et - à priori - futures. En aucun cas, une grande agglomération ne peut être qualifiée d'"écologique". En d'autres termes, la logique même de l'idéal écologique exige une politique de développement national qui pose d'emblée le problème de l'aménagement harmonieux du territoire, et celui de l'échelle des villes. 

Dans ce cadre théorique, Paris plus particulièrement, serait donc condamnée à limiter, voire à stopper sa croissance spatiale et démographique, au profit de villes de province situées dans les régions les plus désertées ou sous-développées. Un idéal en parfaite opposition avec la volonté du gouvernement de N. Sarkozy reconduite par celui de F. Hollande, exigeant la croissance de l'agglomération parisienne, sans pouvoir pour autant, accorder les financements nécessaires, voire minimum, quant à sa réalisation. L'écologie politique, dans cette vision, se borne à quelques recettes sectorielles, - inefficaces devant l'ampleur du chantier - de toitures terrasses plantées, d'éoliennes bruyantes, de jardins et potagers urbains - pollués -, de façades « vertes », ou bien agite le spectre de mesures certes plus efficaces mais parfaitement anti-sociales, telle peut-être demain, la réapparition de l'Octroi, destiné à limiter la circulation automobile.


Territoire et Villes en Chine Maoïste



Territoire et Villes
en Chine Maoïste

1949 -1976



Pendant la longue période maoïste (1949-1976-1978) de la République Populaire de Chine (中华人民共和国) les domaines de la planification, de l'aménagement du territoire , de l'urbanisme, se réfèrent explicitement à la tradition marxiste et à la pensée – plus que théorie – de Marx et d'Engels. Autant les fondateurs du marxisme ont insisté sur les méfaits de l'opposition entre la ville et la campagne et sur la consolidation qui en résulte sous le mode de production capitaliste, autant ils ont insisté sur la nécessité d'abolir cette opposition. Marx dans Le manifeste du parti communiste avait parfaitement situé le noeud des rapports ville-campagne : « La bourgeoisie a soumis la campagne à la domination de la ville » ; conclusion à laquelle il arrivait après l'analyse développée dans l'Idéologie allemande rédigé en 1845-46 :

« La plus grande division du travail matériel et intellectuel est la séparation entre la ville et la campagne... L'antagonisme entre la ville et la campagne... est l'expression d'ignorance crasse de la sujétion de l'individu à la division du travail, à une activité déterminée qui lui est imposée ; sujétion qui fait de l'un un animal citadin limité et de l'autre un animal campagnard limité, tout en renouvelant quotidiennement l'antagonisme de leurs intérêts... L'abolition de l'antagonisme entre la ville et la campagne est l'une des premières conditions de la communauté... La séparation entre la ville et la campagne peut être également comme la séparation entre le capital et la propriété foncière, comme le début d'une existence et d'un développement du capital indépendamment de la propriété foncière... »

FRANCE | 2040




La démarche de prospective Territoires 2040, aménager le changement portée par la Datar [Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale], a pour objectif d'anticiper le futur, de pré-voir des scénarios possibles, devant servir à l’élaboration de futures politiques et « nourrir l’action de la Datar, de l’Etat, des collectivités locales, des entreprises et autres fabricants des territoires de demain. » Pour cela la DATAR a fait appel à près de 300 experts regroupés au sein de groupes thématiques de travail. Notons que si des scénarios « catastrophes » sont analysés, aucun n'entrevoit un aménagement du territoire autre, n'ayant plus seule vocation de satisfaire au mieux, la recherche du plus haut profit exigée par le capitalisme. Nous publions parmi les 28 scénarios -thématiques-, les travaux de Gilles Pinson et Max Rousseau.

Les systèmes métropolitains intégrés


Gilles Pinson
Max Rousseau
2011

Scénario 3

L’antipole ou la métropole slow



En 2040, l’économie française aura poursuivi son décrochage entamé dès la fin du XXe siècle et sera progressivement devenue un acteur déclassé dans la division internationale du travail désormais dominée par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. La concurrence imposée par les ex-« pays émergents » aura durablement déstabilisé l’industrie française. Le pari de la spécialisation de l’économie nationale sur les activités « immatérielles » du tertiaire, de la R&D, de la conception et de l’écoconception aura été perdu car ce type d’activités aura suivi les activités manufacturières. Toutefois, cette évolution pourra également résulter en partie de choix, de luttes et de compromis. On peut imaginer que de larges portions de la jeunesse, notamment celles issues des classes moyennes déclassées, auront fait pression pour des choix politiques de désintensification des rythmes économiques et sociaux et de refus des sacrifices induits par la mondialisation néolibérale.

CAMBODGE | ANGKOR 2012



MARTIN PARR | Angkor Wat | 2012

« Le tourisme n’aide pas vraiment les Cambodgiens, car l’industrie du tourisme est surtout composée d’entreprises de l’étranger. Et les touristes font tourner les commerces illégaux de la drogue et de la prostitution ; ce tourisme fait beaucoup augmenter la pédophilie au Cambodge.»
Jo-Ann Lim  (LICADHO) 

ANGKOR : 
Corruption, 
Coopération Internationale

Le site d'Angkor,  classé patrimoine mondial par l'UNESCO, est un des plus grands sites archéologiques en activité dans le monde, une des destination-phare du tourisme en Asie, faisant de cette merveille du monde, l'objet d'accord de coopération avec la plupart des pays occidentaux et, d'une intense activité de corruption des plus hautes sphères politiques cambodgiennes.
L'enjeu financier est considérable : le nombre de touristes a en effet augmenté de 60.000 en 1999 à 250.000 en 2001, pour atteindre 2,5 millions en 2009. Le ministre cambodgien du Tourisme Thong Khon envisage sereinement six millions de visiteurs par an d'ici 2020, et les plus grands industriels du tourisme imaginent pour le site d'Angkor, une fabuleuse destinée de "Dinesyland historique" asiatique, à l'image de Venise, attirant tout à la fois un tourisme "ultra-chic" et "populaire". Un véritable Eldorado, ne nécessitant pas  d’investissements lourds :  les programmes de restauration des temples, de mise en valeur du site, sont financés par les Etats occidentaux, ainsi que les entreprises privées, soucieuses d'accoler leur logo à la renommée et au prestige d'Angkor. 


CAMBODGE | Phnom Penh



 Nigel Dickinson © | Phom Penh

Du Socialisme au Capitalisme :
Le cas de Phnom Penh

Au Cambodge, en 2012, près de 70 % de la population subsiste avec moins de 2 dollars par jour, un enfant de moins de 5 ans sur trois souffre d’insuffisance pondérale. Un des pays les plus pauvres de la planète ; et pourtant, le pays est riche en ressources naturelles : bois, pétrole, minerais ; mais le niveau exceptionnel de corruption permet aux dirigeants politiques d'exploiter les ressources naturelles du pays, par l'octroi de concessions, dans leur intérêt personnel, afin de consolider leur propre pouvoir. Au Cambodge, le passage d'une économie socialiste [1979-1989] au capitalisme a détruit les liens de solidarité, divisé les classes, et certains cambodgiens constatent aujourd'hui avec amertume les mirages du libéralisme, et se souviennent des temps ô combien difficiles mais plus heureux du communisme.