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Ai Weiwei : Beijing

  Ai Weiwei

Ai Weiwei 

Août 2011
Publié par The Daily Beast

Pékin est une ville à deux visages. D’un côté, c’est une ville de pouvoir et d’argent. Les gens ne se soucient pas de qui sont leurs voisins ; ils n’ont pas confiance en vous. De l’autre côté, c’est une ville de désespoir. Je vois des gens dans les bus publics, et je vois leurs yeux, et je vois qu’ils ne reflètent aucun espoir. Ils ne peuvent pas même imaginer qu’ils pourraient un jour acheter une maison. Ils viennent de villages très pauvres où ils n’ont jamais vu ni électricité, ni papier toilette.
Chaque année, des millions de personnes viennent à Pékin pour y construire des ponts, des routes et des maisons. Chaque année, ils construisent l’équivalent de la taille de la ville de Pékin en 1949. Ce sont les esclaves de Pékin. Ils squattent des bâtiments illégaux, que Pékin fait détruire à mesure que la ville s’étend. Qui possède des maisons ? Ceux qui font partie du gouvernement, les patrons du charbon, les chefs des grandes entreprises. Ils viennent à Pékin pour faire des cadeaux, ce qui enrichit considérablement les restaurants, les salons de karaoké et les saunas.


study of perspective – tian anmen, 1995-2010 © ai weiwei

Pékin dit aux étrangers qu’ils peuvent comprendre la ville, que nous avons le même genre de bâtiments : le Nid d’oiseau (stade national), la tour CCTV (ou la tour pantalon). Les fonctionnaires qui portent un costume et une cravate comme vous disent que nous sommes les mêmes et que nous pouvons faire des affaires ensemble. Mais ils nous refusent les droits fondamentaux.

Vous verrez des écoles pour émigrés fermées. Vous verrez des hôpitaux où ils font des points de suture aux patients, et lorsqu’on découvre que ces patients n’ont pas d’argent, ils leur retirent ces points de suture. C’est une ville de violence.


Aucune confiance dans le système judiciaire

La pire chose à propos de Pékin est que vous ne pouvez jamais faire confiance au système judiciaire. Et sans confiance, vous n’avez aucun point de repère. C’est comme une tempête de sable. Vous ne vous voyez pas comme faisant partie de la ville – vous n’avez aucun point d’attache, aucun endroit où vous aimez aller. Pas de coin tranquille, pas d’endroit où vous aimez la luminosité. Vous n’avez aucun souvenir lié à un matériau, une texture, une forme. Tout est en constante mutation, en fonction de la volonté de quelqu’un d’autre, du pouvoir de quelqu’un d’autre.

Pour bien concevoir Pékin, il faudrait que la ville dispose d’espaces qui puissent rencontrer des intérêts différents, de sorte que les gens puissent coexister, et afin que la société soit complète. Une ville est un endroit qui peut offrir un maximum de liberté. Sinon, elle est incomplète.
Je suis désolé de devoir dire que je n’ai pas d’endroit de prédilection à Pékin. Je n’ai aucune envie d’aller à quelque endroit que ce soit en ville. Tout est si simple. Vous n’avez pas envie de regarder une personne qui vous croise parce que vous savez exactement ce qu’elle a en tête. Aucune curiosité. Et d’ailleurs, personne ne voudra discuter avec vous.
Mon art ne représente jamais Pékin. Le Nid d’oiseau (stade national), je n’y pense jamais. Après les Jeux olympiques, les gens ordinaires n’en ont plus parlé, car les Jeux Olympiques n’ont pas apporté aux gens la joie qu’ils en attendaient.


Personne n’ose s’exprimer tout haut

Il y a des aspects positifs à Pékin. Les gens continuent de donner naissance à des bébés. Il y a quelques parcs agréables. La semaine dernière, je marchais dans un de ces parcs, et j’ai croisé quelques personnes qui m’ont félicité et qui m’ont tapé sur l’épaule. Pourquoi le font-ils de façon si discrète ? Personne n’ose s’exprimer tout haut. Qu’attendent-ils ?

On me dit toujours, « Weiwei, quitte le pays, s’il te plaît. » Ou bien « Vis plus longtemps qu’eux et regarde les mourir. » Soit partir, soit être patient et voir comment ils meurent. Je ne sais vraiment pas ce que je vais faire.

Mon calvaire m’a fait comprendre que dans cet édifice, il y a beaucoup d’endroits cachés où on a mis des personnes sans identité. Sans nom, juste un numéro. Ils ne veulent pas savoir où vous allez, quel crime vous avez commis. Ils vous voient ou ils ne vous voient pas, cela ne fait pas la moindre différence.

Il y a des milliers d’endroits comme ça. Il n’y a que votre famille qui hurle parce que vous êtes absent. Mais il est impossible d’obtenir des réponses des communautés locales ou des fonctionnaires, et même au niveau le plus haut, du tribunal de police ou du chef de la nation. Mon épouse a écrit ce genre de pétitions tous les jours, a téléphoné au poste de police tous les jours. Où est mon mari ? Dites-moi seulement où est mon mari. Il n’y a eu aucun papier, aucune information.

Vous devenez comme fou

Ce qui caractérise le plus ces endroits est qu’ils n’ont aucun lien avec vos souvenirs ou avec ce qui vous est familier. Vous êtes en isolement total. Et vous ne savez pas combien de temps vous allez rester là, mais vous êtes convaincu qu’ils pourraient faire n’importe quoi de vous. On ne pense même pas à remettre cela en question. Vous n’êtes protégé par rien. Pourquoi suis-je ici ? Votre esprit est très incertain quant au temps qui passe. Vous devenez comme fou. C’est très difficile, et cela pour n’importe qui. Même pour les gens qui ont de fortes croyances.
Cette ville, elle n’a rien à voir avec les autres personnes ou les bâtiments ou les rues, mais c’est une structure mentale. L’impression qu’elle nous donne peut être comparée à ce que Kafka écrivait à propos de son château. Les villes sont vraiment des états mentaux. Pékin est un cauchemar. Un cauchemar constant.














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