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Les Villes fantômes Khmers rouges



Phnom Penh, évacuée le 17 avril 1975


« Et qui devient Seigneur d'une cité accoutumée à vivre libre et ne la détruit point, qu'il s'attende d'être détruit par elle, parce qu'elle a toujours pour refuge en ses rébellions le nom de la liberté et ses vieilles coutumes, lesquelles ni par la longueur du temps ni pour aucun bienfait ne s'oublieront jamais. Et pour chose qu'on y fasse ou qu'on y pourvoie, si ce n'est d'en chasser ou d'en disperser les habitants, ils n'oublieront point ce nom ni ces coutumes....» 
Machiavel (Le Prince).
Cité par Guy Debord, dans la Société du spectacle


La première phase de la Révolution khmère rouge, celle de la guerre armée pour la conquête du territoire cambodgien, débuta officiellement le 18 janvier 1968 et se termine en avril 1975 par la prise des grandes villes et de la capitale Phnom Penh. Cette période n'est pas encore celle du génocide, malgré les premiers prémisses. Les paysans pauvres qui étaient soumis depuis des générations au servage apprécient les premières mesures de collectivisation des terres, leur nouvelle responsabilité au sein des villages et nombre d'intellectuels s'enthousiasment au programme politique khmer qui entend mettre en place un ordre nouveau où toutes les valeurs traditionnelles jugées aliénantes sont rejetées ; sur le modèle chinois ou vietnamien, pensaient-ils. Mais peu après la victoire, à peine quelques heures pour certains,  la radicalité des premières mesures prises et les violences faites aux citadins métamorphosera cette utopie agraire communautariste en totalitarisme génocidaire qualifié d’«utopie meurtrière», de « folie utopique ».

Parmi les mesures décidées par les élites khmères rouges, l'évacuation totale des habitants de toutes les villes du pays, est un cas unique dans l'histoire de l'humanité. Aucun régime quel qu'il soit n'avait procédé de la sorte. Les villes cambodgiennes sont vidées - littéralement - en quelques jours et pendant trois ans, huit mois et vingt jours, jusqu'à la défaite khmère rouge, resteront inoccupées.

Ce texte tente de comprendre pourquoi, au delà de la réponse du dictateur Pol Pot, interrogé en mars 1978 : « rester dans les villes aurait signifié la famine. Un peuple affamé n’aurait pas cru à la révolution.» Car la ville dans l'idéologie khmère rouge va jouer un rôle fondamental et inédit de catégorisation de la population : le peuple, au Cambodge, fut divisé en deux grands groupes, « le peuple de base », le peuple khmer des zones rurales, jugé ethniquement pur, et « le peuple nouveau », urbanisé, décadent ou impur car au contact des idées occidentales et capitaliste. Sur cette distinction fondamentale, n’interviennent pas les catégories sociales, les traditionnelles divisions marxistes-léninistes entre paysans, ouvriers et bourgeoisie nationale.


Le PARADIS Terrestre




Bronislaw Baczko, dans son article intitulé « Paradis et Utopies », constate les associations fréquentes entre Paradis terrestre et utopie, et affirme qu’assimiler l’utopie à une version laïcisée du Paradis est devenu presque un cliché. Certains penseurs osent même comparer la symbolique des mythes judéo-chrétiens avec l'idéalité du marxisme. Le jardin d'Eden, où l'âge d'or de l'humanité, trouvera une retranscription certaine dans l'idéologie naturaliste anti-urbaine - et l'on pense à cet idéal d'équilibre entre ville et campagne -, et dans l'idéalisation des sociétés primitives pré-agricoles - qui nous suggère l'idée de communautés autonomes - thématique centrale de certains courants libertaire et anarchiste, introduite par le prince Kropotkine


La conception chrétienne du Paradis n'est pas spirituelle ou symbolique : le Paradis [I] comporte une réalité authentique et jusqu'au 17e siècle, au Royaume des Cieux, correspond l'existence - quelque part - d'un Paradis terrestre, assimilé au jardin d'Eden ou des Délices, qui ne fit aucun doute pour la quasi-totalité des croyants et des esprits les plus érudits ; l'historien Jean Delumeau insiste sur le fait que le mot même Paradis évoque un jardin, terme repris du persan «pardēz», voulant dire jardin enclos, transmis au grec ancien παράδεισος «paradeisos», puis enfin au latin chrétien «paradisus».


Black Panthers | Guérilla Urbaine Sociale

Black-Panther Free Food Program


Je veux vivre pour la révolution, pas mourir pour elle
Naima Major, Black Panther, 1969

Il faut faire comprendre aux jeunes noirs et aux modérés que s’ils succombent aux doctrines révolutionnaires ce seront des révolutionnaires morts.
Hoover, directeur FBI, 1967

Aux Etats-Unis, en 1967, deux évènements entérinent la division des mouvements de la communauté noire : pour la premièe fois dans l'histoire américaine, un afro-américain, Carl B. Stokes (1927-1996) [1], est élu par ses concitoyens maire d'une grande ville, Cleveland, en Ohio ; 1967 est également l'année de l'ouverture du premier bureau du Black Panthers Party à Oackland en Californie.

Le monde selon Disney ou la fin de la ville publique ?



Hacène Belmessous
journaliste et chercheur indépendant
avril 2009

Si peu de gens connaissent ce microcosme, tous ont entendu parler d’Eurodisney. Ce n’est pas un hasard : l’entreprise américaine se trouve, dans tous les sens du terme, au centre de cette ville d’un nouveau genre. C’est elle qui, pour l’essentiel, lui a donné sa forme actuelle. C’est elle aussi qui a déterminé les modalités de la coexistence sociale sur l’ensemble de son territoire. Jamais peut-être une entreprise de loisir n’aura été au coeur d’un processus d’ingénierie urbaine à si grande échelle. On aurait pourtant tort d’y voir l’oeuvre exclusive de forces marchandes. Rien de tout cela n’eût été possible sans la complicité active d’un Etat fort, capable de payer tous les équipements, de déroger au droit commun, voire de renflouer indirectement l’entreprise lorsque celle-ci s’est avérée déficitaire. Nulle part en Europe ne pouvaient être aussi étroitement combinés les trois ingrédients indispensables à la conduite de cette aventure : une position géographique centrale, une économie de marché accueillante et un Etat puissant.


USA | Naissance de l'Urbanisme Moderne




Les garden city, les company towns, les périphéries de lotissements pavillonnaires, les gated communities, les park ways, le supermarché, le building puis les quartiers de skyscrapers : les modèles urbains nés aux États-Unis au 19e siècle – pour certains, une adaptation aux conditions d'outre-Atlantique des expériences anglaises et de l'urbanisme européen - préfiguraient la morphologie et le paysage futur des villes du monde entier. De même, le développement des transports collectifs, et notamment les lignes de chemin de fer et de tramway électrique, qui s'est effectué dans les grandes villes américaines dès les années 1850, a été le plus précoce et le plus important. Cela est vrai également pour le développement automobile qui suivra, et de son impact sur les territoires. Manfredo Tafuri jugeait que de « tels processus sont le résultat du boom capitaliste qui investit directement l'échelle territoriale », et les réseaux de transports publics seront considérés par les premiers grands trusts comme une opportunité pour des opérations de spéculations ultra-lucratives ; tandis que les industriels en profiteront pour bâtir les company towns, cité ouvrière loin des centres villes,  dont l'objectif est ainsi résumé par le fabriquant de piano Steinway  :

« Nous espérions échapper ainsi aux menées des anarchistes et des socialistes, qui déjà à cette époque passaient leur temps à susciter le mécontentement parmi nos ouvriers et à les inciter à se mettre en grève. Ils semblaient nous prendre pour cible et nous pensions que si nous pouvions éviter tout contact entre nos ouvriers et ces hommes, ainsi qu'avec d'autres tentateurs de la ville dans les quartiers ouvriers, ils seraient plus heureux et que leur sort serait meilleur. » 


Pierre BOURDIEU | Architecture et Bureaucratie


Le procès | Orson Welles



Le droit ne va pas sans le passe-droit, la dérogation, la dispense, l'exemption, c'est-à-dire sans toutes les espèces d'autorisation spéciale de transgresser le règlement qui, paradoxalement, ne peuvent être accordées que par l'autorité chargée de le faire respecter.  Tant au niveau de la conception et de l'élaboration de la norme, dans les fameuses commissions où s'élaborent les lois et les règlements qu'au niveau de sa mise en oeuvre, dans les obscures transactions entre les fonctionnaires et les usagers, l'administrateur ne tolère vraiment le dialogue qu'avec le notable, c'est-à-dire avec un autre lui-même...



Pierre Bourdieu 

Droit et passe-droit 
Le champ des pouvoirs territoriaux
et la mise en oeuvre des règlements
In: Actes de la recherche en sciences sociales | mars 1990 
Comme tous les règlements qui laissent toujours aux agents chargés de leur mise en oeuvre une marge de jeu, depuis l'application rigoureuse ou rigoriste jusqu'à la dérogation ou même la transgression pure et simple, les mesures réglementaires qui sont constitutives de la "politique du logement" sont réinterprétées et redéfinies à l'intérieur des différents champs territoriaux (régions, départements) dans lesquels se négocie l'application aux cas particuliers des règlements en matière de construction. C'est dans les rapports de force spécifiques qui s'établissent au sein d'unités territoriales administrativement définies que se déterminent, en chaque cas,le choix. Les autorités territoriales entrent ainsi dans des conflits, des négociations et des échanges complexes qui permettent par surcroît de réaliser une adaptation des normes à la situation.

Rote Armee Fraktion | Conception de la guérilla urbaine


Thorwald Proll, Horst Söhnlein, Andreas Baader et Gudrun Ensslin au tribunal | octobre 68

Rote Armee Fraktion

Conception de la guérilla urbaine 
[Das Konzept Stadtguerilla]
Avril 1971


« Entre l'ennemi et nous, il nous faut tracer une ligne de démarcation bien nette. »
Mao-Tsé-Toung

Conception de la guérilla urbaine

« Etre attaqué par l'ennemi est une bonne chose et non une mauvaise chose; en ce qui nous concerne, qu'il s'agisse d'un individu, d'une armée, d'un parti ou d'une école, j'estime que l'absence d'attaque de l'ennemi contre nous est une mauvaise chose, car elle signifie nécessairement que nous faisons cause commune avec l'ennemi. Si nous sommes attaqués par l'ennemi, c'est une bonne chose car cela prouve que nous avons établi une ligne de démarcation bien nette entre lui et nous. Et si celui-ci nous attaque avec violence, nous peignant sous les couleurs les plus sombres et dénigrant tout ce que nous faisons, c'est encore mieux, car cela prouve non seulement que nous avons établi une ligne de démarcation nette entre l'ennemi et nous, mais encore que nous avons remporté des succès remarquables dans notre travail. »

Mao-Tsé-Toung, 26 mai 1939

1929 | Krach & Mobiles Homes Parks




 Plan du " Bay View Heights & Home Sales Park" Usa


La grande crise de 1929 : un cataclysme mondial pour les classes populaire et moyenne ; aux États-Unis, des centaines de milliers d'ouvriers et d'employés privés d'emploi, sont condamnés à vivre dans des campements de fortune ; d'autres ménages, qui avaient quelque économie auront la fortune de pouvoir se déplacer à travers le pays à la recherche de travail agricole saisonnier, et/où sur les grands chantiers du New Deal de l'Etat [barrage, digue, autoroute, voie ferrée, pont, etc.]. Leur survie économique pour ne pas sombrer dans la pauvreté totale tenait essentiellement à leur mobilité : la possession d'un véhicule pouvant à la fois emmener famille entière, effet personnel et mobilier en était une des conditions.


Communisme Municipal | Immigration



Carte établie par les services municipaux de Gennevilliers [PCF] en 1966.

Le 24 décembre 1980, le maire communiste de Vitry-sur-Seine, entreprit de démolir au bulldozer un foyer pour travailleurs immigrés en construction, point culminant d'une lutte engagée dès l'après seconde guerre mondiale. Sans droit de vote, les immigrés nord-africains, vont connaître dans la banlieue rouge de Paris, le communisme municipal : le clientélisme et un racisme "urbain" digne de la famille Le Pen, analysé ainsi par Olivier Masclet :

"... en durcissant les différences de classe déjà existantes, la rénovation urbaine des villes industrielles renforce la ligne de démarcation entre ouvriers français et immigrés, plus que jamais tenus à distance par le personnel politique des municipalités de gauche.


Olivier Masclet
Du « bastion » au « ghetto »
Le communisme municipal en butte à l'immigration
Actes de la recherche en sciences sociales
2005/4 - no 159


Comment rendre compte du regard aujourd’hui porté sur les grands ensembles des banlieues populaires comme autant de « quartiers d’exil 1 » ou de « ghettos » dont les populations –forcément homogènes– vivraient en marge des lois et de la République ? On peut en premier lieu évoquer le travail de dramatisation de la réalité opéré par les journalistes : au cours de ces 20 dernières années, les médias (en particulier la télévision) ont imposé une représentation univoque des cités HLM en termes de délinquance et d’insécurité (les fameuses « violences urbaines ») en assimilant les banlieues françaises aux ghettos noirs américains en dépit de leurs très grandes différences sociologiques et historiques 2. De même peut-on évoquer le rôle des « experts de la ville » dans l’imposition des nouvelles représentations des problèmes sociaux, où l’étude des rapports de classes est systématiquement évincée, voire combattue, au profit d’une simple opposition entre les in et les out.

Pierre BOURDIEU | Mythe Pavillonnaire




Les illustrations accompagnant le texte de Bourdieu ne sont pas disponibles, mais toutes représentaient le siège social de Bouygues à Guyancourt : Challenger, monstruosité architecturale aussi prétentieuse qu'hideuse.  Le choix de Bourdieu s'explique, bien sûr, par le fait que Bouygues est un des principaux constructeurs-promoteurs du secteur de la maison individuelle, mis à l'honneur par le ministre Chalandon, et devant remplacer l'architecture inhumaine des grands ensembles d'habitat. Bouygues et d'autres promoteurs en feront, à nouveau, des opérations hautement lucratives, et les pavillons mitoyens de lotissements comporteront à peu près toutes les servitudes du HLM. 


Pierre Bourdieu
Un signe des temps
Actes de la recherche en sciences sociales | 1990

Ce qui sera évoqué, tout au long de ce travail, c'est un des fondements de la misère petite-bourgeoise ; ou plus exactement, de toutes les petites misères, toutes les atteintes à la liberté, aux espérances, aux désirs, qui encombrent l'existence de soucis, de déceptions, de restrictions, d'échecs et aussi, presque inévitablement, de mélancolie et de ressentiment. Cette misère-là n'inspire pas spontanément la sympathie, la pitié ou l'indignation que suscitent les grandes rigueurs de la condition prolétarienne ou sous-prolétarienne. Sans doute parce que les aspirations qui sont au principe des insatisfactions, des désillusions et des souffrances du petit bourgeois semblent toujours devoir quelque chose à la complicité de celui qui les subit et aux désirs mystifiés, extorqués, aliénés, par lesquels, incarnation moderne de l'Héautontimoroumenos*, il conspire à son propre malheur. En s'engageant dans des projets souvent trop grands pour lui, parce que mesurés à ses prétentions plus qu'à ses possibilités, il s'enferme lui-même dans des contraintes impossibles, sans autre recours que de faire face, au prix d'une tension extraordinaire, aux conséquences de ses choix, en même temps que de travailler à se contenter, comme on dit, de ce que les sanctions du réel ont accordé à ses attentes en s'efforçant de justifier, à ses propres yeux et aux yeux de ses proches, les achats ratés, les démarches malheureuses, les contrats léonins.

Terrain Vague




Terrain Vague

Film de Marcel Carné | 1960

Les plans séquences du générique du film Terrain Vague, de Marcel Carné [Les enfants du Paradis, Quai des Brumes, etc.], plongent le spectateur dans l'intimité des nouveaux monstres de béton destinés à loger le plus grand nombre : la caméra descend le long de la façade d'une nouvelle Habitation à Loyer Modéré, et par les fenêtres laisse entrevoir un instant de vie des familles, empilées verticalement dans leurs cellules d'habitation, selon la terminologie – parfaitement appropriée - des technocrates planificateurs de l'époque.

Nous sommes en 1959, dans la banlieue sud de Paris, alors en pleine phase de déconstruction-reconstruction : les immeubles modernes en périphérie, disputent le territoire à des lambeaux de quartiers anciens, de masures, de ruines et de terrains vagues ; où se retrouvent les bandes d'adolescents. Les premiers à souffrir de cet environnement d'une nouvelle modernité urbaine et architecturale. Le Terrain Vague, c'est ici, comme dans les usines en ruine, les points de ralliement des bandes de banlieue de jeunes désœuvrés, des voyous et des fameux « blousons noirs », de familles de la classe moyenne et ouvrière, exilées du centre de Paris. Marcel Carné nous entraîne dans une de celles-ci, un groupe de jeunes garçons menés – surprise étonnante - par Dan, une jolie jeune fille du quartier, qui commettent de menus larcins, des vols à la tire, et pratiquent sans rechigner la baston. Sur l'échelle Richter de la violence, la bande à Dan pourrait être placée dans la catégorie « petite délinquance juvénile ». Deux "intronisations" bouleversent l’équilibre : un "gros coup" imaginé par un des nouveaux venus, divise le groupe, certains apprécient, d'autres refusent, dont Dan, et son complice-amoureux Lucky ;  elle le pousse alors à devenir mécanicien comme il l'a toujours souhaité.

Générique de fin

Utopie de la Discothèque

 L’altro mondo club, Rimini 


Les jeunes avant-gardes de l'architecture "radicale" des années 1960, opposeront à la société considérée aliénée, le dé et re-conditionnement des individus, proposant autant de pilules architecturales "immatérielles" psychotropes - c'est-à-dire des antidépresseurs architecturaux -, que de nouveaux environnements multi et ultra sensoriels, destinés à opérer un lavage de cerveau bénéfique, capables de procurer à l'utilisateur-acteur un maximum de bonheur, et au-delà, de favoriser de nouvelles pratiques sociales émancipatrices.  Des projets et des expérimentations placés sous le double signe, pour certains concepteurs, d'un marxisme régénéré et d'alternatives distractives désaliénantes. Dans ce cadre la discothèque occupe une place particulière dans leurs recherches, ponctuées de rares réalisations. 

Jardin Ouvrier | Potager-bio-urbain

Car jardiner occupe le temps de ceux qui en possèdent trop...

L’austérité volontaire en étendard, ils travaillent bénévolement à nous rendre conformes à « l’état d’urgence écologique qui vient ». La masse ronde et gluante de leur culpabilité s’abat sur nos épaules fatiguées et voudrait nous pousser à cultiver notre jardin, à trier nos déchets, à composter bio les restes du festin macabre dans et pour lequel nous avons été pouponnés.

Comité invisible 


Le potager-bio-urbain présente l’immense avantage d’être considéré par ceux et celles qui pratiquent cette activité, par les médias qui en font l'apologie, comme une idéologie du refus, une "révolution verte", une alternative pragmatique, une solution concrète réalisable immédiatement, une forme d'auto-organisation citoyenne rompant avec l'abstraction théorique et, plus important avec le monde des idées et des promesses politiques. Mais le potager-bio-urbain est, comme son lointain ancêtre, le jardin ouvrier, un des instruments d’une idéologie qui dans son essence justifierait l’adaptation à une période de pénurie et d’austérité, et bien sûr, une forme de légitimisation du système existant.  Le potager-bio-urbain est la retranscription moderne du jardin ouvrier. 

Le jardin ouvrier du 19e siècle, était la condamnation de la vie urbaine et de la mentalité ouvrière, qui se retrouve dans les théories de libéraux et de traditionalistes, de partisans de la libre entreprise et de tenants des relations paternalistes et corporatives. Esprits religieux, spiritualistes, athées, hauts fonctionnaires, hommes politiques, économistes ou architectes, industriels ou écrivains, tous s'accordent sur ces termes : l'apologie de la petite propriété immobilière et foncière, « pavillonnaire », rend au citadin comme à l'ouvrier le « bonheur » et la « dignité » perdus. 

En France, en 1896, l’abbé Jules Lemire, député maire d’Hazebrouck, créait la Ligue française du coin de terre et du foyer et inventait les « jardins ouvriers », outil de lutte contre le paupérisme de la classe ouvrière, véritable danger pour les classes bourgeoises, le structurant comme élément bienfaisant pour l’ouvrier, puisque lui apportant des aliments frais, le détournant du cabaret et l’accompagnant dans la réalisation de son foyer. La culture des poireaux, patates, navets, poires, etc., l'élevage de poules et de lapins, étaient considérée alors comme un moyen de combattre la vie chère, de consommer le plus économiquement possible ; mais aussi comme un des instruments érigés contre les velléités révolutionnaires des ouvriers, et la répugnante débauche des classes laborieuses : " Enraciner les français à la terre, si bienfaisante, à la famille humaine, arracher les ouvriers au prolétariat qui les guette et les pourrit ", assurait un riche philanthrope.

Jardins Ouvriers



Stéphanie LAURENT

Le jardinage et le salariat : historique des jardins ouvriers et
perpétuation des inégalités de genre


Les jardins ouvriers sont un exemple d’application du paternalisme. S’inspirant du terrianisme, ils sont pensés pour discipliner et encadrer les travailleurs.

« Nous ne mettons pas en doute que les chefs de maisons industrielles, de commerces ou d’ateliers sauront apprécier nos efforts pour améliorer le sort de ceux de leurs ouvriers dont le salaire n’est pas suffisant pour élever une nombreuse famille ; que les sociétés charitables, enfin que de nombreuses personnes s’intéresseront à cette oeuvre et voudront soulager par l’assistance par le travail, plutôt que par l’aumône, ceux qui sont aux prises avec les difficultés de la vie. » Huguier-Truelle, 1901.

Giorgio AGAMBEN | GÊNES 2001



À Gênes, on a vu comment on peut élever des grilles et des portails, et transformer le tissu urbain vivant en un espace mort qui rappelle celui des villes pestiférées et des camps de concentration.

Giorgio Agamben
Genova e la peste [Gênes et la peste]
Il Manifesto | 2001

La première question à se poser à propos de ce qui vient d'arriver à Gênes*, c'est :  Pourquoi les leaders des États les plus riches et les plus puissants ont-ils choisis de tenir leur réunion si contestée, non pas dans un lieu isolé - un château ou une de ces grandes demeures en pleine campagne qui ne sont pas bien difficiles à trouver en Europe -, mais dans une ville antique et populeuse, où les problèmes d'ordre et de sécurité étaient si importants qu'ils réclamaient la mise en place de moyens et de forces qui allaient nécessairement troubler la paix des habitants et impliquer des risques en tout genre ? Pourquoi placer inutilement une grande ville en état de siège ? Pourquoi ce gaspillage d'énergie et d'argent ? Pourquoi, enfin, avoir créé les conditions dans lesquelles des vies humaines risquaient d'être sacrifiées ?

BLACK BLOCS


C'est la police de Berlin-Ouest qui a inventé l'expression « Black Bloc »
(Schwarze Block) pour désigner des squatters qui étaient descendus
dans la rue en décembre 1980 vêtus de noir et équipés de casques, de boucliers et de divers bâtons et projectiles, pour défendre leur lieu d'habitation.


Francis Dupuis-Deri
Penser l'action directe des Black Blocs.
Politix. N°68 | 2004.


Les Black Blocs ont fait une entrée spectaculaire dans le mouvement altermondialiste lors de la «Bataille de Seattle » du 30 novembre 1999 en fracassant les vitrines de Mc Donald's, Nike, Gap et de succursales de banques. L'analyse proposée, qui s'inspire d'entretiens avec des militants, d'analyses de leur discours et d'observations de manifestations, a pour objectif d'identifier l'origine et la diffusion de la tactique du Black Bloc et de comprendre les raisons politiques qui poussent des militants à y avoir recours. Trois questions d'ordre politique seront soulevées :
  1. qui doit décider des modalités d'actions au sein d'un groupe militant particulier ;
  2. et au sein d'une manifestation en général ;
  3. et qui doit décider des critères d'efficacité des actions d'un mouvement social et parler en son nom ?
Pour y répondre, la notion de « respect de la diversité des tactiques » et les liens entre les Black Blocs et des organisations militantes « radicales » et « réformistes » mais aussi avec d'autres blocs (les Tute Bianche et les Pink blocs) sont discutés.