Manabu Yamanaka, Homeless - Gyahtei |
David Antoine MALINAS
UMIFRE 19 CNRS-MAE (MFJ)
ANALYSE DU RENOUVEAU MILITANT
DE LA SOCIÉTÉ CIVILE JAPONAISE
Le mouvement des sans-abri de Shinjuku à Tokyo
La précarité, et tout particulièrement la grande précarité,
est devenue l'un des phénomènes les plus préoccupants de la société japonaise actuelle. Entre le début et la fin de la décennie 1990, le nombre de sans-abri, tout comme le taux de chômage, a doublé. Au tournant des années 2000, les réformes politiques d'inspiration néolibérale ont certes permis d'infléchir légèrement ces courbes, mais la crise mondiale actuelle est en train d'effacer rapidement ces résultats avec, pour la première fois, une répercussion quasi-immédiate de la récession sur les chiffres du chômage et sur celui du nombre de personnes à la rue. Entre temps, le taux des emplois précaires — 35 % en 2008 - et le taux d'allocataires du revenu d'assistance minimal - 12 % en 2007 -, n'a cessé d'augmenter. Ainsi, selon une enquête de l'OCDE, le Japon ne serait plus seulement la deuxième puissance économique du monde, il serait également devenu le pays ayant l'un des plus fort taux de pauvreté (15,3), devancé seulement, au sein des pays développés, par les Etats-Unis [2].
C'est pourtant une explication de la responsabilité personnelle des individus dans leur situation qui a prévalu tout au long des années 1990, tant pour expliquer le « choix » de la vie à la rue que celui du travail atypique, ou de la dépendance au soutien familial (parasaito shinguru), les termes japonais utilisés accentuant d'ailleurs quotidiennement ce travail d'imposition symbolique. Ce n'est que depuis la seconde moitié des années 2000 que le débat s'est véritablement recentré sur l'origine de la pauvreté et que les arguments concernant le caractère subi de cette précarité sont devenus de plus en plus audibles. Un reportage de la NHK sur la question des travailleurs pauvres (wàkingu pua) publié ensuite sous forme de livre [3], puis la médiatisation de la question des jeunes précaires dormant dans les cafés internet, ainsi que le scandale des directeurs gérants aux heures supplémentaires non payées (nabakari tenchô, les directeurs « de papier »), ont profondément modifié les données.
Désormais, la reconnaissance de son aspect « subi » fait de la précarité une question sociale explicite. La responsabilité du gouvernement, voire plus largement des politiques, est régulièrement dénoncée par un nombre croissant d'associations militantes dont les actions reçoivent désormais une importante couverture médiatique et le soutien de l'opinion publique. À cet égard, il ne serait pas excessif, comme le suggérait déjà il y a plus de dix ans les sociologues Higuchi Naoto et Inaba Nanako, de voir dans ce mouvement des plus précaires la forme dominante à travers laquelle se développe désormais le militantisme de la société japonaise [4].
Pourtant, dans la clôture du champ épistémologique actuel, c'est paradoxalement le caractère apolitique de la société civile qui est retenu comme l'un de ses traits caractéristiques. Si la littérature sur la « précarité écologique » dans les années 1970 et 1980 a porté une attention soutenue aux mouvements d'habitants (jûmin undô), et par ce prisme a saisi certaines caractéristiques majeures de l'activisme de la société civile [5], les travaux plus récents sur la « précarité sociale », en analysant de manière distincte populations et politiques publiques, n'ont pu actualiser ce savoir. En outre, cette évacuation du rapport au politique est également perceptible dans la vaste littérature consacrée à la notion de société civile, qui pose de manière non-problématisée l'autonomie de ce champ par rapport au monde politique et entrepreneurial pour traiter d'objets privilégiés comme la recrudescence du volontariat, ou son pendant organisationnel : la montée en force des NPO (Non Profit Organization) depuis la loi de 1998. Ces recherches ont comme principal défaut, dans une vue d'ensemble qui ne rend pas nécessairement justice aux cas particuliers, d'avoir délaissé l'analyse de l'activisme de la société japonaise, et plus encore, d'avoir avancé de leur propre silence heuristique, la conclusion d'un nouveau consensus.
Nous proposons de reprendre le fil de l'analyse de cet activisme — c'est-à-dire de son rôle d'opposition et de proposition vis-à-vis du pouvoir – par l'analyse d'un phénomène privilégié qui permet d'en saisir les principales caractéristiques actuelles : le mouvement en faveur des plus précaires. Cette recherche possède cependant une très forte dimension exploratoire tant les travaux qui lient la question de la grande pauvreté et celle de l'action collective au Japon sont rares. C'est la raison pour laquelle nous nous appuierons principalement sur une étude de cas approfondie : l'action collective des sans-abri des souterrains de la gare de Shinjuku et de leurs soutiens, réunis dans la SRK (Shinjuku renraku-kai), une organisation qui a vu le jour en 1994 lors de la lutte contre la politique d'éviction des autorités publiques (mairie de Tokyo et mairie de l'arrondissement de Shinjuku) [6].
Cette organisation, toujours en activité aujourd'hui, continue de jouer un rôle fondamental dans le mouvement des précaires puisque ses membres ont été à l'initiative, en 2007, de la constitution du réseau national des associations de soutien aux sans-abri et, en 2008, du réseau national « anti-pauvreté ». Pendant près de cinq années de recherche, nous avons collecté de nombreuses informations à partir de sources et méthodes diverses : travail de terrain, entretiens (près d'une trentaine), consultation des archives de la SRK (notamment les tracts dont une partie est publiée [7]), analyse des livres, enquêtes et articles de presse concernant cette association, ainsi que des études sur la question des sans-abri au Japon et ailleurs, notamment en France ou aux Etats-Unis. L'approche théorique retenue s'inspire tout d'abord de la mobilisation des ressources. Ce courant développe, à partir du modèle de l'acteur rationnel, une analyse microsociologique qui permet de poser la focale de l'analyse au niveau adéquat pour saisir à la fois la pluralité de l'action collective et les contraintes qui pèsent sur son émergence. Elle intègre également les nombreux travaux réalisés par l'école de science politique française sur les populations précaires ou discriminées.
Ces travaux, en perfectionnant le modèle de l'acteur rationnel par une prise en compte des dispositions de l'acteur acquises au cours de sa trajectoire sociale [8] et par une place centrale accordée au répertoire d'action utilisé — comme la grève de la faim ou l'occupation de bâtiments [9] —, ont permis de renouveler l'attention accordée au contexte historique et social.
Cet ensemble constitue un socle cohérent et solide de savoirs qui seront testés en dehors des limites de leur territoire de production (États-Unis, Europe) afin de mettre en évidence l'émergence d'un nouveau militantisme tant dans ses formes organisationnelles que dans ses stratégies de lutte et de reconnaissance.
La première partie de cet article donnera un bref aperçu de l'évolution de la pauvreté au Japon, en se focalisant sur la population des très précaires qui s'est mobilisée : les sans-abri. Dans la deuxième et la troisième parties, nous insisterons sur les caractéristiques qui permettent de saisir la spécificité de ce mouvement : le caractère composite de son organisation et le recours stratégique aux médias face au pouvoir.
La grande précarité : un nouvel enjeu social
Aux États-Unis, la révolte des ghettos urbains. En France, le mouvement des chômeurs. Au cours des années 1990, des phénomènes distincts selon les sociétés ont servi de prisme pour révéler une situation de crise et une demande de changement dans les politiques en cours10. Au Japon, c'est la brusque résurgence d'un phénomène de pauvreté de rue au début de la décennie qui s'est imposée comme l'événement privilégié à travers lequel la société s'interrogeait sur les limites de son modèle societal. Au cours des années 1990, l'émergence des sans-abri (en japonais hômuresu) est la conséquence d'un phénomène d'exclusion du marché du travail qui touche en particulier les personnes âgées. Pendant la première moitié de la décennie, leur apparition est directement liée à la crise des yoseba, ces ghettos distincts du reste de la société japonaise qui concentrent depuis le début des années 1970 des hommes célibataires employés de manière informelle dans le secteur du bâtiment et des travaux publics [11]. Main d'oeuvre vieillissante devenue physiquement inemployable, ces travailleurs journaliers sont les premiers à subir les effets de l'éclatement de la bulle foncière à la fin des années 1980 et la contraction de l'activité dans ce secteur. Les ghettos se vident alors de leur population et les « vieux » journaliers deviennent de « nouveaux » sans-abri [12]. Cette explication qui s'appuie sur l'analyse d'une crise sectorielle permet de rendre compte de manière adéquate de la première vague de sans-abri alors que les effets de l'éclatement de la bulle spéculative n'ont pas encore touché l'ensemble de la société japonaise.
Dans la seconde moitié des années 1990, on constate une recrudescence du nombre de sans-abri, dont la cause est ailleurs. En effet, peu de ces derniers venus ont l'expérience des yoseba, une part beaucoup plus importante provenant du secteur des services [13]. Ces différents indicateurs signalent une diffusion de la précarité au coeur même de la société japonaise, et l'attention s'étend alors vers les plus précaires « invisibles », les personnes en centre d'hébergement dont le nombre a également brusquement augmenté [14].
Au cours des années 2000, la situation à la rue se complexifie avec l'apparition de jeunes sans-abri (16-35 ans). Il s'agit de travailleurs pauvres qui ont les moyens suffisants pour ne pas être systématiquement à la rue- ils ne sont de ce fait pas recensés comme hômuresu — mais dont l'instabilité des revenus ne permet pas de satisfaire aux conditions d'attribution d'un logement permanent. Ils se retrouvent alors le plus souvent à loger dans des espaces privés non prévus pour servir d'habitation. Habituellement désignés sous le terme de « réfugiés des cafés internet » (netto kafe nanmin), ils ont fait l'objet d'une première enquête de la part du ministère de la Santé et du Travail, en 2007, qui a estimé leur nombre à 21 000 [15]. Ils composent, au sein des emplois atypiques, la population la plus fragilisée dont la crise renforce les effectifs. En effet, au cours de l'hiver 2008-2009, selon des chiffres officiels non définitifs, près de 125 000 intérimaires vont perdre leur travail, ce qui signifie également, pour 2 500 d'entre eux, la perte du logement fourni par l'entreprise [16].
Les réactions de la société civile face à ce phénomène ont évolué. Au cours des années 1990, ce sont surtout les « mouvements d'habitants » qui ont retenu l'attention, c'est-à-dire, dans ce cas précis, des mouvements plus ou moins coordonnés de défense de la qualité de l'espace communautaire, et donc « anti-sans-abri ». En effet, le phénomène de rue est alors caractérisé par une sédentarisation massive et le développement de communautés qui peuvent regrouper jusqu'à plusieurs centaines de membres. L'occupation permanente des espaces publics locaux, tels les parcs, les bords des rivières, les rues souterraines autour des gares, est alors vue comme un « problème urbain » ( toshi mondai ) par les riverains, au même titre que la pollution ou un plan de redéveloppement. Ainsi, dans différentes villes, des habitants protestent contre la construction dans leur quartier de centres d'hébergement temporaires [17], voire rejoignent, comme à Shinjuku, la patrouille locale d'éviction des sans-abri. De manière récurrente, des cas d'agressions sont reportés par la presse et permettent de comprendre la discrimination qui entoure cette population et qu'un rare sondage, publié en 2001, avait pu mettre en évidence de manière synthétique [18].
Cependant, au cours des années 2000, comme le souligne le terme « réfugié », c'est désormais la réflexion sur le caractère subi de la pauvreté qui s'impose, attirant l'attention sur la responsabilité des entreprises et du gouvernement. Cette nouvelle problématisation, portée par de nombreux ouvrages de vulgarisation dont plusieurs deviennent des best-sellers, tel Han-hinkon [19], permet aux organisations militantes qui viennent en aide aux sans-abri depuis le début des années 1990 de recevoir un soutien sans précédent de la part de la société civile japonaise. Ainsi, Moyai, une organisation créée en 1998 qui sert de garant de location aux très précaires, a lancé une levée de fonds exceptionnelle suite à la faillite de son principal soutien à la fin de l'année 2008. En moins de deux mois, elle a reçu près de 290 000 euros (34 millions de yens). De même, l'année 2009 vient à peine de commencer que, déjà, le premier événement national qui a retenu l'attention est l'organisation d'un « village des intérimaires » (haken mura) entre le 31 décembre 2008 et le 5 janvier 2009, un campement de près de 500 intérimaires et très précaires construit dans le parc de Hibiya. En moins d'une semaine, plus de 1500 volontaires s'y sont succédés et les dons ont dépassé les 350 000 euros (47 millions de yens). Ainsi se multiplient les signes qui permettent d'arguer d'une nouvelle dynamique, particulièrement puissante, d'engagement de la société civile dans un mouvement de lutte contre la grande précarité.
Ce bref rappel historique permet de souligner deux points concernant la dynamique générale du renouveau du militantisme de la société civile japonaise. D'une part, contre une certaine approche spontanéiste, ce que Verta Taylor dénonce sous le terme de « conception immaculée »[20] des mouvements sociaux, il est nécessaire de rappeler que les organisations et les actions qui aujourd'hui reçoivent l'attention des médias existent, pour la plupart, depuis plus d'une dizaine d'années. Ainsi, le « village des intérimaires », dont il faut noter au passage le choix heureux du vocabulaire pour coller au plus proche de l'actualité, existe de manière récurrente depuis le début des années 1990 dans les différents arrondissements de Tokyo. En effet, pendant les congés de fin d'année, les services sociaux ferment et ce sont alors des organisations de soutien, comme la SRK, qui prennent le relais pour assurer un hébergement, des repas, et mettre en place des actions collectives envers les services sociaux ou les responsables locaux.
D'autre part, le renouveau de l'action collective ne se limite pas à une analyse quantitative de ce phénomène. Pour dépasser cet horizon, les prises de positions divergentes entre les « mouvements d'habitants » et le « mouvement citoyen » concernant la question de la grande précarité recèlent d'une signification particulière qui va au-delà de la seule opposition thématique. Il faut également retenir que les mouvements d'habitants, qui ont été pendant de nombreuses années le mode dominant de production de la critique sur les enjeux sociétaux centraux, n'arrivent pas à porter la critique sociale sur ces nouveaux enjeux contemporains que sont la précarité et la grande précarité. C'est alors une action collective critique d'un nouveau genre qui se développe, dont l'analyse de la SRK permet de saisir les principaux traits.
Les constituants de l'action collective
Une différence majeure entre les mouvements d'habitants et le mouvement des précaires concerne tout d'abord l'origine des constituants. En effet, dans le premier cas, il s'agit de mouvements parochiaux dont le coeur est composé de personnes qui sont directement concernées par les gains qui pourraient découler de leur action collective. Un exemple typique serait une lutte contre la construction d'un barrage ou d'une centrale nucléaire qui mobiliserait les populations riveraines ou avoisinantes. À l'inverse, l'action collective des précaires se caractérise par son caractère composite et le rôle majeur joué par des « soutiens extérieurs »[21], c'est-à-dire des militants qui ne profitent pas des résultats de l'action collective, mais en favorisent l'émergence, le maintien et le développement. Le cas de Shinjuku permet alors d'insister sur deux caractéristiques des soutiens extérieurs : leur nécessité et leur diversité.
En février 1994, la mairie de Tokyo décide d'une première éviction générale et déplace près d'une centaine de sans-abri qui s'étaient sédentarisés dans une rue souterraine de la gare de Shinjuku. Si l'analyse de la presse de l'époque ou les témoignages recueillis mettent en évidence des protestations individuelles exprimées indépendamment les unes des autres, aucune action collective autonome, qui aurait pour coeur les personnes à la rue, ne voit le jour. Ce silence collectif permet de rappeler que l'action contestataire organisée est loin d'être évidente et que différentes contraintes pèsent contre son émergence. Dans le cas des sans-abri, la plus évidente et la plus centrale concerne l'insuffisance des ressources qui rend la vie quotidienne aléatoire, et une action politique concertée, particulièrement improbable. En effet, le choix de l'engagement dans une activité durable non rémunérée ne peut se faire qu'au dépens de leur engagement dans des activités économiques qui assurent leur survie quotidienne, comme par exemple la collecte de cannettes d'aluminium revendues ensuite aux ferrailleurs. L'action militante possède donc un « coût » qui s'élève d'autant plus que les sans-abri anticipent une probabilité faible de satisfaction à court terme de leurs revendications. Il faudra en effet plus de quatre années de lutte pour que la mairie de Tokyo mette définitivement fin à son programme d'éviction en 1998. En outre, cet activisme est également perçu comme potentiellement risqué puisque le rapport d'opposition aux autorités peut mettre en danger la personne (arrestations individuelles) ou le groupe (aggravation de la politique répressive). Pour modifier ce cadre d'anticipation rationnelle, le rôle des soutiens extérieurs est fondamental, car les ressources dont ils sont dotés permettent d'abaisser le coût de l'action collective. Dans le cas de Shinjuku, il est possible de distinguer deux types de ressources. D'une part, les ressources matérielles utilisées comme des « incitations sélectives »[22] et qui permettent de rétribuer l'acte de participation indépendamment des résultats de l'action. Elles sont utilisées lors des différentes manifestations, notamment lors de la première manifestation nationale des sans-abri en juin 1994, pour rémunérer leur présence par une distribution systématique de nourriture. De plus, cette technique permet également d'intensifier la solidarité entre les sans-abri. Ainsi, chaque semaine sont organisées des réunions politiques qui prennent la forme de distribution de nourriture. Ces grands rassemblements, qui regroupent régulièrement près d'une centaine de sans-abri, permettent d'abaisser la concurrence pour l'attribution des rares ressources accessibles dans l'espace public et assurent également la densification des rapports d'interconnaissance.
Nous proposons le terme de « corporelle » pour définir la seconde ressource puisqu'elle est associée à la présence physique des soutiens extérieurs. Sa fonction est moins de constituer une rétribution qu'une assurance pour assurer le succès de la mobilisation collective. Elle apparaît tout d'abord dans la topologie particulière des corps lors des actions collectives protestataires. Ainsi, ce sont systématiquement les soutiens extérieurs qui sont aux avant-postes de l'action, c'est-à-dire en face des représentants de l'ordre, ce qui permet de limiter le risque de répression pour les sans-abri. En effet, lorsque les autorités interviennent, ce sont les soutiens extérieurs qui font l'objet d'arrestations et non les sans-abri, comme par exemple, lors de la résistance mise en place contre la seconde éviction réalisée en janvier 1996. Il est également possible de parler de « ressource corporelle » lorsque les militants, notamment en début de période, compensent de leur nombre la faible mobilisation des sans-abri.
Ainsi, lors de la première manifestation organisée pour récupérer les effets personnels confisqués par la mairie de Tokyo lors de l'éviction générale, le nombre de militants est supérieur au nombre de sans-abri. Cependant, les soutiens extérieurs ne sont pas seulement un élément nécessaire de l'émergence d'une action collective.
Différentes recherches ont ainsi pu mettre en évidence la pluralité de leurs motivations et de leurs objectifs [23]. Cette diversité est également présente à Shinjuku et, sous l'unité organisationnelle de la SRK, cohabitent deux courants de la gauche radicale. Il s'agit tout d'abord des membres de la Sôgidan, une association militante d'inspiration maoïste, qui venaient jusqu'alors en aide aux travailleurs journaliers des yoseba. Alors que la population des ghettos se transforme en sans-abri et afflue dans les rues de Tokyo, l'activité de la Sôgidan évolue et s'adapte à cette nouvelle territorialité.
En outre, le principal adversaire n'est plus les entreprises, mais les autorités locales qui limitent l'accès au minimum vital, et la mairie de Tokyo qui met en oeuvre une politique d'éviction. Le mouvement des militants de la Sôgidan vers la « nouvelle » question sans-abri est donc particulièrement dépendant de la nouvelle identité des travailleurs des ghettos. Un autre groupe, l'Inoken, d'inspiration anarchiste, va également venir en aide aux sans-abri de Shinjuku suivant une logique différente.
Jusqu'alors situé à Harajuku, l'activité de ce groupe consistait à venir en aide aux travailleurs immigrés, notamment une forte communauté iranienne. Mais son activisme est remis en cause alors que les services de l'immigration et la police interviennent pour repousser en dehors du Japon ces immigrés devenus illégaux. L'intérêt que portent les membres de l'Inoken aux sans-abri de Shinjuku est moins lié au suivi d'une même population dont le statut évolue qu'à la manière dont les sans-abri sont l'objet d'une éviction collective, de manière similaire à ce qui avait été mis en oeuvre à Harajuku contre les Iraniens. Ainsi, l'un des membres souligne cette homologie de situation : « L'expulsion des travailleurs iraniens en 1993 puis l'expulsion des sans-abri en 1994. Dans les deux cas, des personnes étaient traitées comme des choses. Quand on en a besoin on les utilise, quand c'est la crise on les jette. C'est la raison pour laquelle avec d'autres membres de l'Inoken nous sommes allés à Shinjuku [24]. »
Toutes deux présentes à Shinjuku après la première éviction générale, ces organisations développent dans un premier temps une activité militante indépendante l'une de l'autre, stratégie qui sera rapidement remise en cause. En effet, des tensions apparaissent entre les sans-abri affiliés auprès de la Sôgidan et ceux affiliés auprès des membres de l'Inoken, et le meurtre d'un sans-abri engagé auprès de l'une des deux associations les mettra en demeure de s'unir. En effet, la presse relaye l'information selon laquelle des sections de l'extrême gauche sont à nouveau entrées en guerre, ou bien que les sans-abri sont en train de s'organiser en bandes mafieuses.
Après consultation, les organisations font alors leur mea culpa officiel et reconnaissent leur responsabilité morale, puisqu'elles prônent l'unité sans être capable elles-mêmes de la réaliser [25]. Ce travail de rapprochement entre les deux entités militantes qui va donner naissance à la SRK est également facilité par le contexte politique constitué par une pression continue de la mairie de Tokyo à travers sa politique d'éviction et son refus de négociation. Les deux factions n'ont en effet pas de difficulté à s'accorder sur une stratégie défensive pour faciliter le maintien des sans-abri dans les souterrains de Shinjuku, en favorisant notamment la construction de nouveaux abris en carton et en développant ainsi un véritable « village de carton » (danbôru-mura). Si des divergences plus nettes sont perceptibles à propos de leurs revendications spécifiques, le droit à la réinsertion par l'emploi pour la Sôgidan et le droit à la vie « alternative » à la rue pour l'Inoken, aucune de ces demandes ne seront acceptées par les autorités.
Cette alliance durable entre les deux factions de la gauche radicale complétée depuis, à travers la création du réseau anti-pauvreté, par la gauche affiliée au Parti communiste - notamment le Syndicat de jeunes précaires (Seinen yunion) — permet de signaler une nouvelle dynamique durable de l'espace militant au Japon, du moins celui animé par les membres de la gauche dite « révolutionnaire ». En effet, depuis la période postérieure à l'après-guerre, l'histoire de cette gauche est celle d'un fractionnement de plus en plus subtil, d'abord entre gauche communiste et gauche radicale d'obédience trostkiste ou maoïste au cours des années 1960, puis entre ces groupes, entraînés dans des violences inter et intra-factions (sekuto) au cours des luttes étudiantes du début des années 1970, et de nouveaux groupes anarchistes et alternatifs dits « non-faction radicaux » (non-sekuto rajikaru).
Ainsi, la Sôgidan, dont les fondateurs appartiennent à différentes factions, et l'Inoken, dont la plupart des fondateurs appartiennent au courant anarchiste, sont les héritiers de cette histoire éparpillée et n'avaient jusqu'alors jamais organisé ensemble une action collective. Tout comme Cécile Péchu a pu mettre en évidence, à travers l'histoire du DAL, le renouveau du secteur militant et son processus d'autonomisation du champ partisan au cours des années 1990 [26], l'histoire de la SRK permet également de mieux comprendre au Japon le processus, alors naissant et aujourd'hui particulièrement avancé, d'agglomération des différentes factions de la gauche révolutionnaire autour de la défense de la cause des plus précaires.
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Le mouvement en faveur des sans-abri de Shinjuku permet ainsi de mettre en évidence une nouvelle particularité organisationnelle, la pluralité des alliances qui se développe dans deux dimensions : celle verticale entre les sans-abri et les soutiens extérieurs, et celle horizontale au sein même des soutiens extérieurs. Ce choix des membres de la gauche révolutionnaire, tant de porter, suivant des logiques plurielles, la cause des sans-abri, que de mettre en commun leurs ressources, est l'un des facteurs endogènes qui peut être considéré comme le plus déterminant pour expliquer la puissance actuelle atteinte par ce mouvement. Il n'est pas exclusif, et il faut également noter l'émergence de nouveaux modes d'interpellation des pouvoirs publics.
Du juge aux médias : de nouvelles formes d'action
Les mouvements d'habitants comme le mouvement des précaires doivent, pour négocier avec le pouvoir politique, arriver à activer des « tierces parties» dont l'engagement favorise « l'entrée dans l'arène implicite ou explicite de négociation d'une manière favorable aux protestataires »[27]. Dans le cas des mouvements d'habitants, cette arène est le plus souvent l'arène juridique à travers la mobilisation d'experts (scientifiques et juristes) et s'il existe de nombreux exemples de ce type, le plus symbolique, en ce qu'il en révèle également les limites, est celui de Minamata [28]. En revanche, le mouvement des sans-abri de Shinjuku inaugure de nouvelles techniques : l'utilisation de l'arène médiatique et la mobilisation par ce biais de l'opinion publique pour obtenir par une pression morale – plutôt que légale — l'ouverture de négociations.
À la fin de l'année 1995, la mairie de Tokyo dévoile un plan de construction d'un trottoir roulant à l'endroit exact où se situe le « village de cartons », ce qui se traduit dans les faits par une seconde éviction générale. En position de faiblesse pour forcer une négociation que la mairie de l'époque refuse, la SRK met en place de nombreuses actions pour obtenir un relais médiatique de cette opposition. C'est ainsi une première campagne, composée de plusieurs jours de manifestation, lancée en octobre 1995 pour s'opposer au plan d'éviction, suivie d'une seconde campagne en novembre de la même année pour protester cette fois-ci contre les propos discriminatoires exprimés par le maire [29], qui initie la couverture du plan d'éviction notamment par la presse écrite nationale. Les militants, parfaitement conscients de la nécessité de fournir régulièrement des informations aux médias, ont recours à un répertoire d'action particulièrement vaste. Il faut ainsi signaler, pendant les quatre mois qui précèdent l'éviction de janvier 1996, la multiplication d'actions qui n'ont pas directement une dimension politique — par exemple des expositions de photos de sans-abri ou des peintures réalisées sur leurs abris de carton — ou qui ne pourraient avoir, dans les délais impartis, de résultats.
C'est notamment le cas des appels réalisés auprès de l'administration centrale, de l'Association des avocats du Japon et de l'Organisation des Nations Unies. Le travail de médiatisation est un succès, comme permet de le relever l'analyse de la presse écrite nationale, c'est-à-dire les trois principaux quotidiens, le Yomiuri, le Mainichi et le Asahi qui cumulent près de 30 millions de copie quotidienne. Ainsi, une recherche lancée dans les archives digitales à partir des mots clés « sans-abri » et « Shinjuku » permet de souligner le faible nombre d'articles publiés lors de la première éviction de 1994, soit une vingtaine, et le crescendo des cent vingt articles publiés sur cette question jusqu'à l'éviction du 24 janvier 1996 (graph. 1).
Graph. I : Couverture médiatique de la première éviction, puis de la seconde éviction
Recherche effectuée sur la période 1980-2000 sur un fond digital avec pour mots clés « sans-abri » et « Shinjuku » dans le titre ou le corps du texte. Filtrage manuel des occurrences (exclusion d'articles sur les chats « sans-abri» ou les voitures « sans-abri » par exemple).
Les gestes artistiques et symboliques favorisent l'émergence d'un « cadre d'injustice » dans lequel les sans-abri apparaissent comme des victimes. Mais sa médiatisation soumet en retour l'action militante à un certain nombre de contraintes. Notamment le recours à la violence, de même que toute action qui pourrait porter préjudice au soutien potentiel de l'opinion publique, est prohibé. Il était à cet égard naïf mais intéressant de poser la question du recours à la réquisition d'immeuble, un mode d'action qui, pour être banalisé en France, n'a pas vu le jour au Japon puisqu'il était considéré par les membres de la SRK comme propre à aliéner le soutien de l'opinion publique. Mais surtout, face à l'intransigeance de la mairie de Tokyo et à l'imminence de la seconde éviction, deux stratégies concernant l'attitude finale à adopter sont en discussion. Les membres de l'Inoken, qui s'étaient particulièrement investis dans la construction médiatique de l'éviction, ne souhaitaient pas confronter directement les autorités de peur de perdre les acquis de la campagne médiatique. Ils envisageaient donc de déplacer avant l'éviction le « village des sans-abri » dans un autre lieu souterrain de la gare de Shinjuku. En revanche, les membres de la Sôgidan étaient prêts à résister et à s'opposer physiquement à l'action en éviction. Finalement, après de nombreuses tractations, une action négociée voit le jour : les sans-abri peuvent soit se déplacer dans l'emplacement préparé par la faction Inoken, soit participer à l'ultime résistance : un sit-in pacifique le jour de l'éviction.
C'est en particulier la médiatisation de cette dernière action qui va entraîner une réaction de l'opinion publique. Comme le souligne l'un des leaders de la SRK : « La résistance pacifique mise en place a été particulièrement bénéfique pour l'action collective. C'est vrai que beaucoup de personnes ont été choquées par les images de policiers qui mettaient à mal les sans-abri [30]. » En effet, la surmédiatisation par la presse écrite et visuelle du second plan d'éviction, qui sera retenu comme l'une des premières grandes nouvelles nationales de l'année 1996, portera l'opprobre publique sur la politique répressive de la mairie de Tokyo. Ainsi, dans le courrier des lecteurs des quotidiens nationaux, les opinions publiées sur ce sujet sont largement critiques [31], et sous les titres « Ouvrons les yeux sur le problème sans-abri » ou bien « L'éviction forcée, une atteinte aux droits de l'homme », cette condamnation est également amplifiée par des figures académiques ou engagées comme Kurasawa Susumu et Kamata Satoshi [32]. De plus, certaines rédactions, notamment celle du Mainichi, laissent également s'exprimer la critique des journalistes adressée à la mairie de Tokyo. Enfin, de nombreuses opinions vont être adressées directement au maire concernant cette question. En effet, dans un souci de meilleure communication entre les administrés, un nouveau service avait été mis en place intitulé « messages pour le maire (chiji e no teigen) ». Les habitants peuvent ainsi exprimer leur opinion par courriel, fax, ou autre, concernant les différentes politiques. En janvier 1996, le service est submergé avec près de 1400 opinions envoyées concernant la politique d'éviction. Ce chiffre représente près d'un quart des messages envoyés pour l'année administrative 1995 et concentre, sur l'ensemble des sujets, le plus grand nombre de messages reçus. Ces opinions sont largement critiques et insistent sur le devoir « de soutenir et de protéger les sans-abri » [34].
Cet ensemble de critiques dont il n'est fait état ici que d'une partie - l'accès aux archives audiovisuelles étant beaucoup plus complexe - a eu un rôle fondamental dans la remise en cause d'une politique d'éviction considérée comme coûteuse et inefficace (voir encadré 1). En ce sens, le cas de la SRK est particulièrement intéressant, car il marque l'une des premières utilisations, qui plus est réussie, des médias comme nouveau mode d'entrée en négociation avec le pouvoir.
Encadré 1 : Coût de la politique d'éviction générale du 24 janvier 1996 en yens (euros)
Enfin, le cas de la SRK est également riche d'enseignement en ce qui concerne le recours à l'action juridique puisque, non seulement ses membres ne vont pas en faire usage, mais ils vont y être assujettis. En effet, le jour de l'éviction, quatre membres sont arrêtés par la police, et la mairie de Tokyo intente un procès contre deux d'entre eux pour obstruction à la force publique. L'action légale apparaît ainsi comme un moyen pour le pouvoir d'affaiblir la force de résistance de la SRK.
En effet, les personnes qui sont arrêtées sont les deux leaders de l'organisation. Ils s'étaient consacrés pleinement à la cause des sans-abri de Shinjuku et avaient décidé de vivre à leur côté dans les souterrains de la gare. Pendant plus de six mois, les deux leaders, placés en détention préventive, ne peuvent plus assurer le bon fonctionnement de la SRK. Alors que l'issue du procès demeure incertaine, les militants qui demeurent à Shinjuku tentent certes d'assurer la transition, mais des tensions apparaissent rapidement dans le nouveau campement souterrain. En particulier, de nouveaux leaders sans-abri, qui détiennent leur autorité de l'économie informelle, émergent et remettent en cause la présence de la SRK. La question de l'emprisonnement - ou non - des deux leaders se pose donc avec insistance, alors que l'autorité de la SRK se désagrège. De plus, la défense des deux accusés accapare les ressources de la SRK dans un procès qui va durer plus d'un an. Si les deux leaders sont acquittés, notamment à cause d'un vice de procédure, leur retour auprès des sans-abri dans le souterrain se fait au sein d'une organisation particulièrement affaiblie. Il faudra plus de six mois pour qu'elle réussisse à rétablir son autorité dans le « village de carton », notamment face aux nouveaux leaders sans-abri. Ainsi, le recours à l'action légale par la mairie de Tokyo, pour avoir été un échec dans la cour de justice, a néanmoins affaibli les forces de la SRK pendant plusieurs années (encadré 2).
La SRK permet de mettre en évidence de manière particulièrement claire l'utilisation d'un nouveau mode de négociation avec le pouvoir, non seulement parce que le recours aux médias est un succès, ce qui permet d'en analyser toutes les phases - du positionnement sur l'agenda médiatique au succès de la « croisade morale » en faveur des sans-abri -, mais également parce que le mode jusqu'alors dominant de mise en relation au pouvoir, l'action légale, disparaît du répertoire de l'action militante pour apparaître comme un moyen à la disposition des détenteurs du monopole de la violence légitime.
L'utilisation des médias par les organisations de précaires est désormais banalisée et permet, par exemple dans le cas des syndicats de jeunes précaires, d'accroître le pouvoir de négociation auprès d'une entreprise ou d'un politique soucieux de leur image. Il est possible également de défendre l'idée que cette interaction entre militants et journalistes permet d'expliquer le traitement privilégié de certaines catégories de précaires – par exemple les sans-abri ou les intérimaires plutôt que les chômeurs ou les travailleurs étrangers - lesquelles, organisées, sont plus faciles d'accès dans un monde de l'information instantanée.
Encadré 2 - Chronologie des principaux événements relatifs au mouvement des sans-abri à Shinjuku, 1990-2000
Conclusion
Dans un ouvrage collectif récent, qui traite de la situation actuelle de l'action collective et de la théorie qui lui est relative, les professeurs Hasegawa Kôichi et Machimura Takashi insistaient sur les limites de la notion proposée par Sidney Tarrow et David Meyer de « politique contentieuse » [35] c'est-à-dire d'action critique de la société civile telle que nous l'avons présentée dans cet article. Ils soulignaient qu'au Japon, cette « politique contentieuse » n'était plus que le résidu de sa problématisation réalisée dans les années I960 — donc suivant une problématique de la violence révolutionnaire -, et ne semblait pas pouvoir saisir de manière suffisante l'intentionnalité politique propre aux mouvements de type NPO qui se sont développés après les années 1990 [36].
La croissance, accélérée par la crise, du mouvement des très précaires au Japon force cependant à constater l'actualité de la réflexion de Sidney Tarrow et David Meyer concernant la dimension critique de la société civile dans son cadre national et plaide pour une mise à jour théorique qui permettrait d'en rendre compte. L'analyse de la SRK oeuvre dans cette direction et deux attributs majeurs du renouveau du militantisme de la société civile au Japon ont été mis en évidence. Sur le plan organisationnel, un double processus d'alliance est perceptible, d'une part entre les précaires et les « soutiens extérieurs », et d'autre part au sein de ces soutiens extérieurs entre différentes factions de la gauche révolutionnaire. Ce dernier point retient particulièrement l'attention, puisqu'il va à l'encontre d'une tendance historique à la division. D'autre part, sur le plan du répertoire d'action, le recours aux médias apparaît comme un mode privilégié d'entrée en négociation avec les détenteurs de l'autorité. Il impose d'ailleurs une limite dans le répertoire d'action puisque toute action violente porterait alors préjudice au « cadre d'injustice » réalisé par les militants. Si on peut soutenir que l'acte de décès de l'action militante de la société japonaise ne peut être encore prononcé, il n'en demeure pas moins que le mouvement actuel des précaires est confronté à plusieurs risques.
En effet, avec les effets de la crise, ce mouvement est en train de prendre une ampleur telle que même les organisations qui s'en occupent, et qui sont le plus souvent des petites structures, ont du mal à y répondre. En plus de cette possible implosion du mouvement qui ne pourrait plus organiser et canaliser le mécontentement, il faut également signaler trois périls.
Tout d'abord, celui de la répression exercée par les autorités qui peuvent refuser la négociation en ayant recours au système juridique pour mettre un terme aux pratiques contentieuses {sit-in, manifestations). Ensuite, le risque de retour des divisions idéologiques qui fractionneraient à nouveau le mouvement et rendraient particulièrement difficile le maintien des structures réticulaires actuelles comme le « réseau anti-pauvreté ». S'en suivrait alors un appauvrissement général du mouvement puisque les ressources des différentes organisations ne seraient plus mises en commun.
Enfin, il faut signaler le spectre de la violence révolutionnaire des années I960, qui semble hanter davantage la mémoire collective de la société japonaise que celle des militants, mais pourrait donner à tout débordement l'occasion de faire la liaison « classe laborieuse, classe dangereuse ».
David Antoine MALINAS
In: Ebisu, N. 39, 2008
LA LUTTE DES SANS ABRIS AU JAPON LE RENOUVEAU DU MILITANTISME
Éditeur : HARMATTAN
Date de parution : 15/02/11
Date de parution : 15/02/11
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NOTES
[1] Je tiens à remercier Yveline Lecler pour son soutien tout au long de ce travail d'écriture.
[2] Michael Fôrster, Marco Mira d'Ercole, Income Distribution and Poverty in OECD Countries in the Second Half of the 1990s, OECD Social, Employment and Migration Working Paper, 2005.
[3] NHK Supesharu "Wàkingu pua" shuzaihan (éd.), Wàkingu pua (Travailleur pauvre), NHK, 2007.
[4] Inaba Nanako, Higuchi Naoto, « Datsu sangyô shakai no shakai undô ? Furansu ni okeru jûtaku e no kenri undô o chûshin ni » (Les mouvements sociaux des sociétés post-industrielles ? Le mouvement en faveur du droit au logement en France), Soshiorogosu août 1997, p. 22-43.
[5] Hasegawa Kôichi, Constructing Civil Society in Japan, Voices of Environmental Movements, Melbourne, Trans Pacific Press, 2004.
[6] Pour une liste des événements principaux, voir encadré 2.
[7] Shinjuku renraku-kai, Shinjuku danbôru mura tatakai no kiroku (Le village de carton de Shinjuku : mémoire de lutte), Gendai kikakushitsu, 1997.
[8] Lilian Mathieu, « Rapport au politique. Dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l'analyse des mouvements sociaux », Revue française de science politique, vol. 52, n°l, février 2002, p. 75-100 ; Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l'engagement individuel », Revue française de science politique, vol. 51, n° 1-2, février-avril 2001, p. 199-215.
[9] Cécile Péchu, Droit au logement, genèse et sociologie d'une mobilisation, Paris, Dalloz, 2006 ; Johanna Siméant, La cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.
[10] Didier Fassin, « Exclusion, underclass, marginalidad. Figures contemporaines de la pauvreté urbaine en France, aux États-Unis et en Amérique latine », Revue française de sociologie, vol. 37, nc 1, 1996, p. 37-75.
[11] Nishizawa Akihiko HriH/î, Inpei sareta gai bu (L'extérieur dissimulé), Tokyo, Sairyùsha, 1995.
[12] Aoki Hideo, Gendai Nihonno toshi (underclass dans le Japon contemporain), Akashi shoten HJHiitlt'i, 2000 ; Haraguchi Takeshi, Yoseba no seisan katei ni okeru basho no kôchiku to seidoteki jissen (La construction des lieux et l'institutionnalisation des pratiques dans le processus de « production » des yoseba), Jinbun chiri vol. 55, n° 2, 2003.
[13] Iwata Masami, Rojô seikatsusha jittai chôsa (Enquête sur les sans-abri de Tokyo), 1999, Toshi seikatsu kenkyûkai (Groupe de recherche sur la vie urbaine).
[14] Iwata Masami, Hômuresu, gendai shakai, fukushi kokka (Sans-abri, société contemporaine et Etat-Providence), Tokyo, Akashi shoten, 2000.
[15] Kôsei rôdôshô, Jûkyo sôshitsu fuantei shûrôsha tô no jittai ni kansuru chôsa hôkokusho (Enquête sur le phénomène des travailleurs précaires sans domicile), 2007.
[16] Kôsei rôdôsho, Hi-seiki rôdôsha no yatoidome tô nojôkyô (La situation des travailleurs atypiques aux contrats non renouvelés), 30 janvier 2008.
[17]Tsutsumi Keishiro, « The Homeless Issue and Citizens: What Was Shown and What Was Hidden in the Course of an Incident, the Case of Nagai Park Problem », The Annuals of Sociological Association, O.C.U., Shidai Shakaigaku 2004.
[18] Morita Yôji, Rakusô (La classe déchue), Osaka, Nikkei Osaka PR kikaku shuppanbu, 2001.
[19] Yuasa Makoto, Han-binkon (Anti-pauvreté), Iwanami shinsho, 2008.
[20] Taylor Verta, « La continuité des mouvements sociaux. Retour sur la notion de réseaux dormants », in Olivier Fillieule (dir.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005.
[21] John Me Carthy, Mayer Zald, « Resource Mobilization and Social Movements:
A Partial Theory », American Journal of Sociology, vol. 82, 1977.
[22] Mancur Olson, Logique de l'action collective, Paris, PUF, 1978 (première édition Harvard University Press, 1966).
[23] Lilian Mathieu, Mobilisations de prostituées, Paris, Belin, 2001 ; Cécile Péchu, op. Cit.
[24] Entretien avec Inaba Nanako, membre de l'Inoken, novembre 2003.
[25] Tract de l'Inoken, in Shinjuku renraku-kai, Shinjuku danbôru-mura tatakai no kiroku (Le village de carton de Shinjuku : mémoire de lutte), op cit.
[26] Cécile Péchu, « Les générations militantes à Droit au logement », Revue française de science politique, vol. 51, n° 1, 2001.
[27] Michael Lipsky, « Protest as a Political Resource », American Political Science Review, vol. 62, décembre 1968.
[28] Paul Jobin, Maladies industrielles et luttes syndicales au Japon, Paris, EHESS, 2006.
[29] « Les sans-abri ont une conception de la vie, une philosophie particulière. Même si vous leur présentez un travail, un endroit pour vivre, même si lorsqu'ils sont malades vous vous occupez d'eux, ils vous demandent de les laisser tranquilles », et de continuer : «même s'ils disent qu'ils ne font rien de mal, ils devraient se sentir responsables du sentiment de déplaisance qu'ils inspirent aux passants (et quitter les lieux ndla) », reporté par l'Asahi shinbun , 21 octobre 1995.
[30] Entretien avec Inaba Nanako, militant, leader SRK, 16 décembre 2002.
[31] Analyse sur les trois journaux nationaux sur un chiffre total de 17 opinions.
[32] L'article de Kurasawa Susumu, qui avait aidé au rapport 1995 de la ville de Tokyo concernant les sans-abri, écrit dans l'Asahi du 9 février 1996 ; Kamata Satoshi, figure du journaliste engagé écrit dans le Mainichi du 24 janvier 1996. Il faut également noter de nombreuses voix des lecteurs de ces journaux.
[33] II s'agit de l'année administrative qui commence en avril 1995 et finit en mars 1996.
[34] Yomiuri shinbun, 22 juillet 1996. Les soutiens extérieurs ont sûremnir contribué à faire de cette question la première de l'année 1996. Des informations pour envoyer les fax et les mails étaient également accessibles sur le site internet de la SRK.
[35] David Meyer, Sidney Tarrow, « A Social Movement Society : Contentious Politics for a New Century », in David Meyer, Sidney Tarrow (éd.), The Social Movement Society : Contentious Politics for a New Century, Lanham, Rowman and Littlefield, 2007.
[36] Hasegawa Kôichi, Machimura Takashi, « Shakai undo to shakai undô-ron no gendai (L'Actualité des mouvements sociaux et de leur théorisation), in Soranaka Seiji, Hasegawa Kôichi, Machimura Takashi, Higuchi Naoto, Shakai undo to iu kôkyô kûkan (Les mouvements sociaux comme espace commun), Tokyo, Seibundô, 2004.
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