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La COMMUNITAS de BEAUDUC

Crédit photo : http://les-photos-du-chamoux.blogspot.com/




Beauduc nous intéresse particulièrement au Labo, dans notre vision d'appréhender toutes les formes extra-ordinaires d'urbanisme, au sens large du terme, qui présentent les particularités de s'inscrire dans la lutte politique par des actions violentes ou insurrectionnelles s'opposant aux institutions d'un pouvoir ; mais aussi à certaines formes d'actions illégales et/ou spontanées issues de la volonté d'habitants regroupés intentionnellement pour cela. En considérant que parfois, l'illégalité est une première forme de contestation silencieuse qui se déploie non dans le domaine des idées mais dans celui, qui nous intéresse le plus, de l'action.

Beauduc est, ou était peut-être, avant tout une expérience de vie communautaire para-normale ou extra-ordinaire qui marque son genius loci. Certains affirment qu'il s'agit bien là d'une forme d'utopie réalisée, c'est à dire d'une vie sans contrainte, non réglementée où chacun est libre d'agir à sa guise tant qu'il ne gêne pas autrui, d'autres comparent Beauduc aux communautés anarchistes. Rien de cela ici, d'une part parce que Beauduc est un village de villégiature habité seulement durant la saison chaude et qu'il s'est construit sans aucune idéolgie politique, à l'écart de la chose politique, une forme de spontanéïté populaire venue tout naturellement à l'esprit des premiers habitants. Beauduc ne peut être lié à aucune théorie ou idée d'organisation politique parlementaire ou extra-parlementaire ; Beauduc est simplement né du bon plaisir des ouvriers de la région.


Le genius loci de Beauduc, situé sur une longue plage de Camargue, en France, protégée par le parc naturel de Camargue est également donné par la beauté execptionnelle du site. Déjà, bien avant d'arriver là, la piste chaotique de terre et de graviers longue de plusieurs kilomètres, vous invite à la contemplation de la beauté des paysages des marais salants, des troupeaux de taureaux à demi sauvages puis des paisibles flamands roses occupant ces terres humides et salées, hostiles pour l'homme. Pas de traces visuelles de villes ou bien de clochers même lointain dans n'importe quelle direction où se porte le regard. L'arrivé au site de Beauduc est aussi troublante, pour un citadin ou pour une première expérience, car ici, en effet, l'horizontalité domine, vous écrase, vous subjuge. L'horizon de la mer Méditerrannée, l'infinie plage de sable, et l'absence d'arbres de haute tige venant troubler cet ordre, déranger cette géométrie, vous propulsent hors des espaces verticaux des grandes villes. Vous ressentez cette étrange impression d'être un miniscule point pris entre la puissance des éléments naturels, le ciel et la mer.

C'est sur une petite partie de cette immensité qu'un village, ou plutot qu'une concentration de cabanes hétéroclites en bois, en tôle, de caravanes sans roues, d'engins de toutes sortes reconvertis en abris, a choisi de s'implanter : Beauduc. A priori, comme cela, les écologistes et les défenseurs de la nature pourraient s'indigner d'une telle verrue polluant visuellement, et troublant l'écosystème de ce cadre exceptionnel. Ils l'ont fait et certains demandent encore la destruction de toutes traces humaines. 

Quelque chose cependant les empêchent de mener un combat impitoyable, car Beauduc est depuis des décennies, un lieu de villégiature pour les classes populaires d'Arles, dont Beauduc dépend administrativement, et des ouvriers des salins. Arles dont il faut rappeler ici qu'elle fut jadis une ville ouvrière importante. Ainsi ce village, habité quasi uniquement pendant la saison chaude, est une sorte de symbole, en tout cas l'expression d'une longue tradition du mode de vie ouvrier, même si aujourd'hui, toutes les classes sociales sont représentées dans la population beauducoise. 

Le village de Beauduc est lui-même exceptionnel pour deux raisons. La première est l'impression de liberté totale : ici, pendant longtemps chacun était libre de choisir son emplacement pour bâtir sa cabane et n'était soumis à aucune régle d'architecture ou d'urbanisme. Car en fait, le village est illégal. La seule contrainte était/est la régle de bon voisinage, c'est à dire de ne pas troubler l'environnement sonore ou visuel des autres. Cette impression de liberté s'exprime également par la [non] architecture des constructions de toute sorte, par : « ce refus des normes conventionnelles d'habitations des lieux », précise Paul Minvielle. L'absence de confort est une donnée tout aussi importante. Outre le confort rustique des cabanes, le village ne dispose ni de l'eau courante, ni de l'électricité, si ce n'est le groupe électrogène de certains. Ainsi la beauté, l'omniprésence et la puissance des éléments naturels, l'impression de liberté et le retour vers un mode d'habiter autre agissent comme autant de facteurs perturbant sinon votre conscience mais vos habitudes. 

J'ai pu séjourner à maintes reprises dans une caravane/cabanon à Beauduc et croiser, par l'entremise d'amis arlésiens, la communauté beauducoise. Cela étant, comme l'affirme Paul Minvielle, « Se faire accepter à Beauduc est un parcours initiatique qui nécessite des années, autour d’une caravane tolérée d’abord, puis fréquentée été après été, qui se solidifie, se sédimentarise, se clôture progressivement pour ressembler à une cabane beauducoise digne de ce nom. La participation aux fêtes, aux lotos, aux apéritifs, permet de tisser des liens qui débouchent parfois après quelques années de sociabilité à la cession d’un cabanon plus intéressant, moins exposé aux eaux de mer et aux menaces de destructions des pouvoirs publics.»

Pour cette raison, afin de vous faire découvrir au mieux cette communauté, nous reprenons ici des extraits du passionnant ouvrage (de 400 pages), écrit par Laurence Nicolas : 

Beauduc, l’utopie des gratte-plage
Ethnologique d’une communauté de cabaniers sur le littoral camarguais
Editions : Images en Manœuvre, Marseille

Galerie Photo et site internet :








L'histoire de Beauduc


Depuis la formation de la terre de Beauduc à la faveur d'un changement du cours du Rhône, intervenu au début du XVIIIe siècle, la présence de cabanes à usage professionnel y est signalée. Les populations maritimes qui fréquentent les lieux de 1750 à 1850 sont constituées essentiellement par les pêcheurs des Saintes-Maries-de-la-Mer et de Martigues, par tous les marins et leurs bateaux qui fréquentent cet abri naturel. Ils occupent des cabanes édifiées sur les montilles, près des étangs et sur l'arrière-plage.


De 1850 à 1950 s'y ajoutent les saliniers. En effet, cette partie sud-est de la basse Camargue est, dès le milieu du XIX e siècle, mise en valeur par l'exploitation salinière. Une nouvelle localité est créée : Salin-de-Giraud. Le site de Beauduc jouxte désormais un vaste réseau d'étangs (aujourd'hui de 15 000 hectares ) affectés à l'exploitation du sel. Cette nouvelle population maritime se livre dans ses moments libres à la chasse et à la pêche sur cet immense territoire lagunaire, peu fréquenté et décrit comme un pays de Cocagne pour tout ce qui est poissons et coquillages. Ces pratiques constituent alors un complément alimentaire non négligeable pour la population ouvrière de Salin. On rencontre aussi à Beauduc les habitants des mas (ouvriers agricoles, manadiers, riziculteurs…) et quelques arlésiens. L'habitat est alors composé de cabanes de pêcheurs et de postes de douaniers, édifiés à partir de bois, d'argile et de roseaux et quelques fois de maçonnerie en pierre pour la façade. Trop éloignées des localités avoisinantes d'où proviennent les pêcheurs, elles ne seront le siège d'activités de loisirs que pour les saliniers et les habitants des quelques mas environnants.


A partir des années 1930, l'introduction progressive du moteur sur les embarcations permet désormais des allers-retours quotidiens, les cabanes de Beauduc sont délaissées par les pêcheurs et investies par les saliniers jusqu'à la guerre. Beauduc connaît un grand engouement au milieu des années 1950 ; et une nouvelle population maritime émerge : les villégiateurs balnéaires. Cette nouvelle forme d'appropriation est due en grande partie aux congés payés. Cette population qui présente une caractéristique forte d'ancrage local et populaire se constitue très rapidement. Le penchant affirmé pour la pêche, activité de complément et activité de loisir, constitue véritablement le point de départ des cabanes de Beauduc dans les années 1950. En 1952, la Compagnie salinière installe ses pompes à Beauduc, à partir duquel elle réorganise son réseau de circulation d'eau. L'accès difficile de cet espace maritime s'améliore considérablement par la construction et l'entretien de digues et de pistes. De nouveaux cabanons se construisent chaque année. Toutes les couches de la population camarguaise (avec une dominante populaire) y sont représentées : pêcheurs, ouvriers, commerçants, artisans (saliniers ou arlésiens), habitants des mas (manadiers, riziculteurs,viticulteurs, ouvriers agricoles, etc.), mais seuls les pêcheurs y vivent à l'année.
Pour stopper la forte expansion de cette villégiature balnéaire qui s'est édifiée en ignorant la légalité sur un espace interdit de toute construction, sans permis et sans autorisation, les services maritimes, la Préfecture, la municipalité d'Arles et « les Cabaniers du Sablon » - association constituée en 1967 – concluent un protocole d'accord qui stipule le maintien en nombre et en contenance des cabanons existants, ceux-ci devant être rasés à la mort de leur propriétaire (ni cession, ni transmission). Mais dans les faits, deux nouveaux quartiers se créent : Beauduc-nord et Beauduc-plage.

Jusque dans les années 1980, le phénomène Beauduc semble n’intéresser que les locaux, mais peu à peu ce bout du monde s’ouvre, se laisse apercevoir. L’été, près de 1400 à 2000 personnes investissent ces installations quelque peu sommaires et derrière cet agencement désordonné de matériaux divers, se love une configuration sociale qui semble avoir pris quelques repères suffisants et tissé un lien puissant avec l’étendue désertique et mouvante qu’elle s’emploie à fixer, à combler, bref, à habiter. La renommée du lieu ne cesse de grandir tout en laissant croire à ceux qui le découvrent qu’ils font partie des « initiés ». Dans les années 1990, la mondanisation de Beauduc bat son plein, relayée par les médias. Des stars louangent et défendent l’esprit des lieux, il est du dernier chic d’évoquer cette plage perdue au fond de la Camargue, un endroit « extraordinaire » ! Snobisme et populisme vont bon train. 




Eric Cantona et son épouse, article dans Paris Match 18/05/2009 : Leur paradis sur terre. Beauduc, à une trentaine de kilomètres d’Arles, est un lieu qui leur ressemble : difficile à approcher, après 10 kilomètres de piste, mais inoubliable. Eric et Rachida, qui partagent leur temps entre la banlieue parisienne et Arles, rêvent d’un cabanon camarguais sur pilotis comme celui-ci. Photo Richard Aujard.




La Loi Littoral est votée en 1986, et entre 1989 et 1992, la poursuite judicaire se durcit à l'encontre des occupants des lieux. Durant l'été 1995, la situation de non-droit dans laquelle se trouvent plongés les beauducois est largement médiatisées ; une nouvelle association destinée à soutenir la défense du site se créée. Elle a pour vocation principale de réunir les fonds (provenant essentiellement du monde des arts et spectacles) destinés au combat juridique. Son intitulé indique clairement la dimension de ce combat : « Association de Sauvegarde du Patrimoine de Beauduc ». L'intention est conforme à la notion invoquée : il s'agit bien de pouvoir conserver et transmettre l'héritage d'un groupe, d'une collectivité.



Nous vous laisserons découvrir dans le livre de Laurence Nicolas, les combats des beauducois contre les autorités et l'évolution du site, et de la plage. Car dans les années 2000, l'envahissement progressif du site par une horde de touristes de l'Europe entière, équipés de sophistiqués mobile-homes, des windsurfers et autres qui trouvent ici un site propice à leurs activités, a selon moi, rompu le calme et le charme. Les actions de l'Etat s'intensifient contre le village illégal, le site est sous surveillance et des cabanons sont démolis.


L'Habitat.


Ainsi l'on parle plus souvent des « cabanons de Beauduc » que de leurs occupants, généralement mal connus et mal identifiés. Cette micro-société hors-la-loi qui s'est constituée à partir des années 1950, présente un certain nombre de traits spécifiques dont le plus visible et le plus étonnant est sans doute son habitat. Un habitat hétérogène, composé de matériaux de toutes sortes, récupérés et détournés le plus souvent de leur fonction initiale (pour servir à d'autres fins, pratiques ou esthétiques, suivant la fantaisie et le goût de chacun). Simples abris en canisse ou en maçonnerie, cabanes en isorel, en planches et toile goudronnée, en rondins ou en tôle, mais aussi des roulottes, des wagons, des caravanes, des autobus et des autocars aménagés.


De l'architecture spontanée, sans architectes, forme d'art brut en somme qui éblouit, choque ou surprend. Tout est utilisé, tout est utilisable et certaines constructions font l'effet d'un miroir grossissant et déformant de notre société industrielle et de consommation. Mélange d'objets et de matériaux prélevés dans le milieu – bois flottés, coquillages, végétaux, engins de pêche – ou récupérés sur les chantiers, dans les usines, etc. L'habitat ainsi constitué forme le support et l'expression du rapport des hommes à leur milieu d'origine – le plus souvent industriel et urbain – au milieu qu'ils font leur et dont la figure centrale et emblématique est celle du pêcheur.


De fait, les cabanons de Beauduc sont construits pour une grande partie à partir de matériaux prélevés sur le milieu – usines, chantiers, etc. – pendant le temps de travail. On trouve aussi, parmi les premiers cabanons, des wagons provenant du « petit train de la Camargue » (dont les différentes lignes seront désaffectées entre 1947 et 1957), mais également des autobus, des autocars et bientôt des caravanes. Peu à peu émerge un premier îlot d’habitations, puis un deuxième quartier se crée et enfin un troisième, plus près de la mer. L’exacte limite entre la mer et la terre est incertaine : suivant les endroits, suivant les coups de mer, un des deux éléments gagne provisoirement la partie, retirant ici la plage, faisant surgir là quelque îlot. La même incertitude s’applique à la pérennité de cette expérience sociale et humaine, suspendue à la question de la légitimité. De cette indécision naît une philosophie de l’immédiateté qui engage une bonne part de l’utopique expérience. Mais une indécision qui dure finit par engendrer la nécessité de s’organiser, de se structurer et de tenter d’encadrer la pratique, afin aussi de la maintenir.


La conception de l’habitation est surtout axée sur la rapidité d’exécution et fonction de l’éventail des matériaux ainsi que de la main d’œuvre à disposition. L’édification proprement dite s’effectue à la fois sur le court et le long terme, rendant l’habitat évolutif. Il faut tenir compte également des changements de « propriétaires » mais aussi des directives associatives. La sensibilisation à l’esthétique des habitations menée par les associations a une influence structurante et normalisante, dont l’effet est cependant limité. Le caractère « singulier » demeure, comme si continuait de s’exprimer l’individualité en dépit de cette volonté homogénéisante qui pousse à uniformiser l’habitat, préconisant d’utiliser des peintures de couleur identique ou d’englober les éléments disparates (caravanes ou bus ). Cette expression de soi peut également être appréhendée comme une forme de « laisser aller » à ses goûts, ses rêves, ses fantasmes, se référant au modèle, ou imaginé tel, de la cabane du pêcheur, du cabanon provençal, du chalet suisse, de la cabane d’enfant, de la cabane au Canada

L’appropriation d’un emplacement passe par différentes empreintes matérielles, plus ou moins élaborées, et par plusieurs types d’action qui visent à la fois la « domestication » du sable, la réalisation d’endigages destinés à se protéger des empleins et enfin l’aménagement de l’espace habitable. Lorsque la caravane est calée sur son terrain d’assiette, ce qui, suivant les endroits, nécessite parfois le maniement de la pelle ou la location d’un petit engin de chantier, des toiles de feutre ou de caoutchouc sont placées devant, couvrant et maintenant le sable. Certains confectionnent des planchers avec des palettes de bois sur lesquels ils peuvent dresser des pergolas. L’emplacement est ensuite délimité par des bois flottés, des canisses, des tôles, ou des sacs remplis de sable. Ils offrent un double avantage : borner l’espace personnel et jouer le rôle d’une petite digue en cas d’emplein. Vient alors le temps de la personnalisation esthétique, improvisée suivant les trouvailles du bord de plage ou la récupération par les réseaux d’échange, ou préméditée, comme le drapeau hissé au-dessus de l’installation, sorte d’étape ultime dans l’appropriation symbolique.[...]


La Communistas

Cependant, la forme d'organisation sociale qu'abrite et que reflète cet habitat présente elle aussi une originalité, une singularité, moins visible mais plus prégnante encore sur le plan humain. C'est en effet une forme sociale particulière qu'adoptera peu à peu la communauté des cabaniers de Beauduc, celle de la « communitas » au sens développé par l'anthropologue anglais Victor Turner dans son étude sur le phénomène rituel. Il s'agit d'une société en marge, hors-structure, contre-structure, parallèle, informelle, égalitaire, indifférenciée et soumise à l'autorité des aînés, des anciens, à Beauduc de « ceux qui étaient là avant » : les pêcheurs et les premiers cabaniers. Une société de la « débrouille », et dont les caractéristiques, les propriétés, et les attributs sont renforcés par la dimension hors-la-loi de sa présence sur les lieux.

Il s'agit d'une autre dimension de la société dont peuvent rendre compte des notions comme celles de « seuil », de « transmission » et de « marge » et peut-être surtout celle de « liminarité » (limen = seuil), par laquelle on saisit mieux la marque de l'entrée dans « quelque chose » d'autre, en devenir. Une dimension qui s'exprime à travers des thèmes que l'on rencontre dans les situations liminaires comme celui du dépouillement (ici par l'absence de confort), de l'anonymat (ce qui explique la difficile identification des membres de la communitas ), du nivellement social, de l'absence de propriété (ce qui n'exclut pas l'appropriation). Enfin une expérience sociale qui offre une forme de délivrance par rapport au lot quotidien, par le défoulement et la compensation, proposant un repli, un refuge, parfois un abandon. Temps du rêve, du mythe et de l'enfance, modèle d'humanité fondé sur les pouvoirs du faible, espace de liberté où se déploie une forme originale de relation sociale, de lien social, d'organisation sociale.

La mauvaise réputation dont a fait l'objet Beauduc dans ses aspects hors-la-loi, en tant que lieu refuge d'individus douteux, mais aussi en tant que lieu anarchique et dangereux va dans le sens que développe Turner à propos du concept de communitas qui se définit de la manière suivante : « la communitas surgit là où la structure n'est pas… (elle) s'introduit par les interstices de la structure, dans la liminarité ; sur les bords de la structure, dans la marginalité ; et par-dessous la structure, dans l'infériorité ».

Le territoire particulier : immense étendue désertique, espace mi-solide, mi-liquide, univers en bordure du monde, sur lequel s'ancre cette micro-société renforce dans doute l'expérience vécue de la communitas .

L'accès au site, une piste chaotique longue de 12 km, conforte l'impression de confins absolus, de bout du monde. C'est donc en relation étroite avec ce milieu parfois hostile et répulsif (tempêtes hurlantes, eaux recouvrantes, digues ravinées, moustiques) que s'est constitué l'héritage de ce groupe.

Un territoire associé à des cheminements et à un ensemble de pratiques : tous les ingrédients sont réunis pour former une culture spécifique, pour prétendre à l'appartenance au patrimoine maritime, sous une forme originale de la villégiature, ni aristocratique, ni bourgeoise mais éminemment populaire. Les beauducois invoquent pour leur défense dans leur mouvement de résistance, la notion de « tradition » et de « coutumes » locales. Ils puisent et tissent des liens avec le passé pour légitimer leur existence et figurer dans le registre des « us et coutumes » espérant ainsi accéder à la reconnaissance culturelle au même titre, par exemple, que les fêtes et manifestations taurines elles aussi parfois controversées et menacées d'interdiction. Sans doute conviendrait-il mieux de parler de « rituel profane », car le sens commun place sous ce vocable nombre de présupposés et de malentendus. Est-il besoin en définitive que cette expérience de vie en société que tentent saisonnièrement ou plus, les quelques centaines de beauducois soit estampillée du sceau « véritable tradition camarguaise » - si tant est qu'il en existe – pour être qualifiée de tradition populaire ?

Un grand merci à Laurence Nicolas qui nous a autorisé à diffuser quelques petits passages de son livre que le Labo vous conseille vivement de lire.


Beauduc, l’utopie des gratte-plage

étude ethnologique d’une communauté de cabaniers sur le littoral camarguais
Editions : Images en Manœuvre, Marseille

Galerie Photo et site internet :


Un article de Paul Mainveille, cité ici est également disponible :

La gestion d’un grand site camarguais: les cabanes de Beauduc



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