En 1964, au Brésil, un coup d'Etat militaire instaure une dictature. Carlos Marighella, né en 1911 est un politicien, alors membre officiel du parti communiste brésilien. Il se rapproche des théories de Fidel Castro et de Che Guevara, est attentif aux mouvements révolutionnaires en Uruguay et en Argentine, ainsi que du Front populaire de libération de la Palestine, ce qui lui vaut, en 1967, d'être expulsé du parti qui oeuvrait pour la paix sociale et une légitimisation parlementaire. Comme dans la plupart des pays du monde, un grand nombre de jeunes étudiants, convaincus de la nécessité d'une lutte armée et contre l'immobilisme du parti communiste vont rejoindre les rangs des organisations politiques de la Gauche extraparlementaire et des groupes révolutionnaires armés. Carlos Marighella fonde ainsi en 1968 l'ALN, Ação Libertadora Nacional, (Action de Libération Nationale) en recrutant notamment dans les milieux universitaires. L'ALN deviendra une des principales forces révolutionnaires du pays, avec la VPR (Vanguarda Popular Revolucionaria) et le MR-8 (Movimento Revolucionario 8 de Outubro). Les premières actions de guérilla urbaine furent ainsi lancées ( hold-up de banques, contrôle d'une station de radio et diffusion de son manifeste-, attaque des postes de police, dynamitage de casernes de l'armée, etc.). Ses actions les plus spectaculaires sont les enlèvements de diplomates étrangers, dont notamment l'ambassadeur américain. Le gouvernement adopte des mesures répressives (rétablissement de la peine de mort, exil d'opposants politiques, censure des journaux, nouvelle Constitution amendée pour procéder à des arrestations en cas de menace à la sécurité nationale, etc). La Central Intelligence Agency (CIA) collaborera en infiltrant les mouvements de guérilla. Marighella fut finalement tué dans une embuscade policière en novembre 1969. 8000 personnes seront arrêtées, et les escadrons de la mort, formés au sein des forces policières, feront environ 1000 morts. La guérilla sera écrasée dès la fin de 1971.
L'oeuvre majeure de Marighella est l'élaboration du concept de guérilla urbaine, en alternative à la théorie du foco de Che Guevara, qui prônait le départ de la révolution dans un milieu rural. Il se rapproche des théories des Tupamaros urugayens qui critiqueront sévèrement l'impartialité de Che Guevara dans le débat entre guérilla rurale et guérilla urbaine. Ils s'inspirent du premier grand théoricien révolutionnaire de la guérilla urbaine, Abraham Guillen, qui publia en 1966 le premier manuel concernant ce type de guérilla : La stratégie de la guérilla urbaine. D'autre part, l'échec de la guérilla rurale de Che Guevara en Bolivie précédé d'autres en Argentine déterminèrent les révolutionnaires à adopter leurs propres méthodes en fonction des données de leur pays. Le Manuel de guérilla urbaine écrit en 1969 par Carlos Marighella est un texte technique, illustré de schémas d’armes démontées, abordant brièvement mais clairement tous les aspects nécessaires pour la mise en place d'un mouvement guérillero urbain. Ce texte deviendra par la suite, comme ceux de Guillen et des Tupamaros, le modèle, la référence pour les groupes révolutionnaires armés du monde entier, tels l'IRA (Irish Republican Army) en Irlande, les Brigades Rouges en Italie, les Cellules Combattantes Communistes en Belgique...
Nous présentons ce texte ici, sans les illustrations.
Il est disponible au format PDF sur le site :
MANUEL DE LA GUÉRILLA URBAINE
CARLOS MARIGHELLA,
ACTION DE LIBERATION NATIONALE,
JUIN 1969
Table des matières
Avertissement
Préface québécoise
Qu’est-ce qu’un guérillero urbain?
Les qualités personnelles du guérillero urbain
Comment vit et subsiste le guérillero urbain?
La préparation technique du guérillero urbain
Les armes du guérillero urbain
Le tir, raison d'être du guérillero urbain
Les "groupe de feu" (cellules)
La logistique du guérillero urbain
La technique du guérillero urbain
Les caractéristiques de la lutte de guérilla
L'avantage initial de la guérilla urbaine
La surprise
La connaissance du terrain
Mobilité et rapidité
L'information
L'esprit de décision
Les objectifs visés par le guérillero
Les modes d'action du guérillero
L'attaque
Les incursions et les invasions
Les occupations de lieux
Les embuscades
Les combats tactiques de rue
Les interruptions de travail
Les désertions et les détournements ou "expropriations"
d'armes, de munitions et d'explosifs
La libération des prisonniers
La mise à mort
L'enlèvement
Le sabotage
Le terrorisme
La propagande armée
La guerre des nerfs
Les méthodes qu'il faut suivre
L'aide aux blessés
La sécurité du guérillero
Les sept erreurs du guérillero urbain
L'appui de la population
La guérilla urbaine, école de formation du guérillero
En rédigeant ce manuel, je désire rendre un double hommage. Le premier, à la
mémoire d'Edson Souto, Marco Antonio Bras de Carvalho, Melson Jose de
Almeida ("Escoteiro") et de tant d'autres combattants et guérilleros urbains,
assassinés par la police politique (la D.O.P.S.) et par l'armée de la dictature
militaire qui sévit au Brésil. Le second à nos courageux camarades, hommes et
femmes, qui croupissent dans les geôles qui n'ont rien à envier aux crimes commis
par les nazis. Comme ce le fut pour eux, notre seul devoir est de lutter.
Avertissement
Toute personne hostile à la dictature militaire ou toute autre forme d'exploitation
et d'injustice, désireuse de combattre peut faire quelque chose, même si cette
action est modeste, plusieurs petites actions en feront naître une immense. Ceux
qui, après avoir lu ce manuel, auront conclu qu'il s ne peuvent rester passifs, je les
invite à suivre les instructions que je propose et à s'engager tout de suite dans la
lutte. Car, en toute hypothèse et en toutes circonstances, le devoir du
révolutionnaire est de faire la révolution.
S'il importe de lire cet ouvrage, il est également très souhaitable de le divulguer.
Que ceux qui acceptent les idées qui s'y trouvent défendues, le fassent ronéotyper
ou imprimer, fût-ce sous la protection d'un groupe armé.
Si je l'ai signé, c'est parce qu'il est le résultat systématisé d'une expérience vécue
par un groupe d'hommes qui , au Brésil, luttent les armes à la main et dont j'ai
l'honneur de faire partie. Contre ceux qui mettent en doute ce que j'y recommande,
qui continuent d'affirmer que ne sont pas encore réunies les conditions propres au
combat ou qui nient les faits décrits, le mieux est que je revendique ouvertement la
responsabilité de mes paroles et de mes actions. Je refuse donc les commodités
ambiguës de l'anonymat.
Mon but est de recruter le plus grand nombre possible de partisans. Le nom
d'agresseur ou de terroriste n'a plus le sens qu'on lui donnait jadis. Il ne suscite
plus la terreur ou le blâme; il éveille des vocations. Être appelé "agresseur" ou
"terroriste", dans le Brésil d'aujourd'hui, honore le citoyen, puis que cela signifie
qu'il lutte, les armes à la main, contre la monstruosité et l'abjection que représente
l'actuelle dictature militaire.
Préface québécoise
Cette brochure relève, bien sûr, de la situation pré-révolutionnaire existant déjà
au Brésil au moment où elle a été publiée, en juin 1969. Il faut donc bien
comprendre, au départ, que son utilisation dans le contexte québécois a pour but
véritable la formation de militants révolutionnaires pour le moment tactique où
seront réunies les conditions objectives permettant de mettre en pratique les 4
méthodes qu'elle préconise. Non pas que le Brésil soit plus ou moins colonisé et
victime de l'impérialisme mondial que le Québec, mais tout simplement parce que
le mouvement révolutionnaire est passé à l'action directe dans ce pays depuis
longtemps et que, par conséquent, il est d'ores et déjà possible de se livrer là-bas
à cette phase directe de la lutte.
Ce que les militants québécois doivent savoir dès aujourd'hui, c'est la véritable
dimension de la lutte qu'ils entendent mener, soit une organisation
révolutionnaire québécoise dans l'objectif d'une libération mondiale. Ce que
chacun de nous doit déterminer immédiatement, c'est s'ils veulent vraiment la
libération totale des exploitéEs de l'emprise du capitalisme mondiale en vue de
l'instauration d'une Masse véritablement libre où 7 milliards de personnes
libérées pourront s'autogérer dans les structures les plus démocratiques, à la
lumière des expériences socialistes, anarchistes et autogestionnaires qu'ont
vécues certains pays à un moment ou l'autre des 80 dernières années. Si c'est
vraiment là le but que nous poursuivons, il n'y a qu'une voie, la révolution, et
qu'un moyen d'accès à cette voie, la guérilla.
Ces prémisses étant posées, il faut, si l'on est sérieux, lire avec respect la brochure
de Carlos Marighella. Elle repose sur une vaste expérience pratique qui a permis,
entre autres, aux guérilleros brésiliens d'accomplir les premiers, une série
d'enlèvements de diplomates étrangers qui ont amené la libération de plusieurs
prisonniers politiques. On pourra y trouver la formation académique et
technique essentielle à la mise sur pied, dans un avenir de plus en plus rapproché,
d'une guérilla urbaine québécoise, arme essentielle de la prochaine phase de
notre combat.
Bien sûr, pour le moment encore, l'essentiel de nos efforts doit être consacré à la
politisation, à l'éducation, à l'information des masses, mais il importe de former
parallèlement des militants directs dont le rôle ne comporte aucune équivoque et
sera absolument essentiel à plus ou moins brève échéance.
Qu'est-ce qu'un guérillero urbain?
La crise chronique des structures qui caractérise la situation au Brésil et
l'instabilité politique qui en découle ont favorisé le déclenchement de la guerre
révolutionnaire. Celle-ci se manifeste en termes de guérilla urbaine, de guérilla
rurale ou de guerre psychologique. C'est au guérillero urbain qu'il incombe de
faire, dans les villes, la guérilla aussi bien que la guerre psychologique. C'est de lui
que je parlerai.
Le guérillero urbain est un homme armé qui lutte contre la dictature militaire ou
tout autres formes d'oppression par des moyens non conventionnels.
Révolutionnaire sur le plan politique et vaillant patriote, il lutte pour la libération
de son pays, il est ami du peuple et de la liberté. Son champ de bataille, ce sont les
grandes villes du pays.
Dans ces villes agissent également des bandits communément traités, au Brésil, de
"marginaux". Il arrive souvent que des attaques lancées par ces hors-la-loi passent
pour des actions opérées par des guérilleros. Ceux-ci diffèrent cependant
radicalement de ceux-là. Le "marginal" n'a en vue que son profit personnel et
attaque sans discrimination les exploiteurs ou les exploités, ce qui fait que nombre
de victimes sont des hommes et des femmes du peuple. Le guérillero urbain, lui,
lutte dans un but politique et n'attaque que le gouvernement, les grands
capitalistes et les agents de l'impérialisme, en particulier les Américains du Nord.
D'autres éléments aussi nuisibles que les hors-la-loi sévissent dans les villes; ce
sont les contre-révolutionnaires de droite, qui sèment la confusion, dévalisent des
banques, enlèvent ou assassinent des guérilleros, des prêtres révolutionnaires, des
étudiants et des citoyens ennemis du fascisme et amants de la liberté. Le guérillero
urbain est un implacable ennemi du gouvernement; il porte systématiquement
préjudice aux autorités et aux hommes qui dominent le pays et détiennent le
pouvoir. Sa tâche principale est de déjouer, discréditer et harceler les militaires et
toutes les forces de répression, de détruire ou de saccager les biens appartenant
aux Nord-Américains, aux chefs d'entreprise étrangers ou à la grande bourgeoisie
brésilienne.
Le guérillero urbain ne craint pas de démanteler et de détruire le système
économique, politique et social en vigueur, car son objectif est d'aider la guérilla
rurale et de contribuer à l'instauration de structures sociales et politiques
entièrement nouvelles et révolutionnaires, où le pouvoir sera donné au peuple
armé.
Le guérillero urbain doit acquérir un minimum de connaissances politiques. Il
convient qu'il cherche à lire les écrits suivants :
- La Guerre de guérilla, de Che Guevara [publié dans Écrits militaires, Maspéro,
Paris]
- Quelques questions sur les guérillas au Brésil
- Opérations et tactiques de guérilla [publié dans le numéro de 1969 des Temps
modernes]
- Problèmes et principes de stratégie [publié dans le numéro de 1969 des Temps
modernes]
- Quelques principes tactiques pour les camarades qui réalisent des opérations de
guérilla
- Questions touchant l'organisation [publié dans le numéro de 1969 des Temps
modernes]
- Le rôle de l'action révolutionnaire dans l'organisation [publié dans le numéro de
1969 des Temps modernes]
- Le guérillero, journal des groupes révolutionnaires brésiliens.
Les qualités personnelles du guérillero urbain
Le guérillero urbain se caractérise par le courage et l'esprit d'initiative. Il doit être
un grand tacticien et bon tireur. Il compensera par l'astuce son infériorité sur le
plan des armes, des munitions et de l'équipement.
Le militaire de carrière ou le policier au service du gouvernement disposent d'un
armement moderne et de bons véhicules; ils peuvent circuler librement, aller où ils
veulent, puisqu'ils ont pour eux l'appui du pouvoir. Le guérillero urbain, qui ne
peut compter sur toutes ces ressources, agit dans la clandestinité. Il arrive qu'il ait
déjà été condamné ou que pèse contre lui un décret de prison préventive; il est,
dans ce cas, contraint de faire usage de faux papiers.
Le guérillero urbain possède toutefois un gros avantage sur le soldat conventionnel
ou sur le policier: il défend une juste cause, celle du peuple, tandis que les deux
autres se rangent du côté de l'ennemi que le peuple déteste.
Les armes du guérillero urbain sont inférieures à celles de son ennemi ; mais, sur
le plan moral, sa supériorité est indiscutable.
C'est grâce à elle qu'il peut remplir ses tâches principales qui sont d'attaquer et de
survivre.
Le guérillero urbain doit, pour pouvoir lutter, prendre à l'ennemi ses armes.
Comme celles-ci tombent entre ses mains dans les circonstances les plus diverses,
il finit par se trouver en possession d'un armement assez varié et pour lequel
manquent les munitions correspondantes.
Le guérillero urbain ne dispose d'aucun lieu où il puisse s'exercer au tir.
Ces difficultés, il les vaincra grâce à son pouvoir d'imagination et à sa capacité
créatrice, qui sont indispensable s'il veut mener à bien sa tâche de révolutionnaire.
Le guérillero urbain doit être doté d'esprit d'initiative, d'une grande mobilité, de
souplesse, du sens de l'adaptation et de beaucoup de sang- froid, la qualité
principale étant l'esprit d'initiative, car on ne peut pas toujours tout prévoir et le
guérillero urbain ne peut se permettre de tomber dans la perplexité ni attendre
que lui soit donné un ordre. Il doit agir, envisager, pour chaque problème qui se
présente, la solution correspondante, et ne pas remettre à plus tard. Il vaut mieux
agir et se tromper que ne rien faire par souci d'éviter l'erreur. C'est bien connu,
l'humain apprend de ses erreurs. Sans esprit d'initiative, il n'y a pas de guérilla
urbaine. D'autres qualités sont souhaitées; il faut être bon marcheur, pouvoir
résistera à la fatigue, la faim, à la pluie et à la chaleur; il faut savoir se cacher et
veiller, connaître l'art du déguisement, ne jamais craindre le danger, être capable
d'agir de nuit comme de jour, ne pas agir avec précipitation, être doté d'une
patience sans limites, garder son calme et son sang-froid dans les pires situations,
ne pas laisser la moindre trace et ne pas se décourager.
Face aux difficultés qu'ils considèrent comme presque insurmontables, certains
guérilleros faiblissent, se désistent ou démissionnent.
La guérilla urbaine n'est pas une affaire commerciale, un centre d'embauche ni la
représentation d'une pièce de théâtre. On s'y engage comme on s'engage dans la
guérilla rurale. Si on manque des qualités requises, il vaut mieux renoncer à
devenir un guérillero urbain mais vous pouvez faire partie des réseaux de soutien
et d'information.
Comment vit et subsiste le guérillero urbain?
Le guérillero urbain doit savoir vivre au milieu du peuple et veiller à ne se
distinguer en rien du citoyen ordinaire.
Il ne peut se vêtir d'une façon qui attire l'attention. Des vêtements excentriques et
à la mode détonnent dans les quartiers ouvriers. Il en va de même pour ceux qui
vont du Nord au Sud du pays et vice versa, où la façon de s'habiller varie.
Le guérillero urbain doit vivre de travail, de son activité professionnelle.
S'il est recherché par la police ou connu d'elle, s'il est condamné ou fait l'objet
d'une mesure de prison préventive, il doit entrer dans la clandestinité et parfois
vivre caché.
En toutes circonstances, le guérillero urbain ne doit parler à personne de ses
activités; celles-ci ne concernent que l'organisation révolutionnaire à laquelle il
appartient. Il doit avoir une grande capacité d'observation, être très bien informé,
en particulier sur les mouvements de l'ennemi, être un bon enquêteur et bon
connaisseur du terrain sur lequel il agit. Étant donné qu'il lutte les armes à la
main, il ne lui est guère possible de s'acquitter pendant longtemps de ses
obligations professionnelles courantes sans se faire repérer. C'est alors que la
tâche appelée "expropriation" s'impose à lui avec clarté. Il devient en effet
impossible au guérillero urbain de subsister ou de survivre sans s'engager dans la
lutte pour l'expropriation.
Dans le cadre de la lutte de classe, dont l'approfondissement est aussi inévitable
que nécessaire, la lutte armée du guérillero urbain vise deux buts:
- la liquidation physique des chefs et des subalternes des forces armées et de la
police;
- l'expropriation d'armes ou de biens appartenant au gouvernement, aux grands
capitalistes, aux latifundiaires et aux impérialistes.
Les expropriations mineures servent à l'entretien personnel du guérillero urbain;
les autres à alimenter la révolution. Ces deux buts n'en excluent pas d'autres,
secondaires.
Une caractéristique fondamentale de la Révolution brésilienne est qu'elle passe,
dès le début, par l'expropriation des richesses de la grande bourgeoisie, de 8
l'impérialisme, des latifundiaires et aussi des commerçants les plus riches et les
plus puissants, liés à l'importation ou à l'exportation.
Les attaques contre les banques, réalisées au Brésil, ont porté préjudice à de
grands capitalistes comme Moreira Salles, à des compagnies étrangères chargées
d'assurer ces mêmes banques, à des firmes impérialistes, aux gouvernements
fédéral et des États, jusqu'ici systématiquement "expropriés".
Le produit de ces expropriations est destiné à l'apprentissage et au
perfectionnement technique du guérillero urbain, à l'achat, à la fabrication et au
transport des armes et des munitions destinées au secteur rural, à l'organisation
du réseau de sécurité des révolutionnaires, à la subsistance quotidienne des
combattants, en particulier des camarades délivrés de la prison par d'autres
compagnons armés, des blessés ou des camarades pourchassés par la police ou les
soldats de la dictature et qui doivent vivre dans la clandestinité.
C'est sur les exploiteurs et les oppresseurs du peuple que doivent retomber les
terribles charges de la guerre révolutionnaire. Les hommes du gouvernement, les
agents de la dictature et de l'impérialisme doivent payer de leur vie les crimes
commis contre le peuple brésilien.
Au Brésil, le nombre d'actions violentes pratiqué est déjà très élevé. Il comporte
des mises à mort, des explosions de bombes, des captures d'armes, d'explosifs et
de munitions, des "expropriations" de banque, des attaques contre des prisons,
etc., autant d'actes qui ne peuvent laisser de doutes sur intentions des
révolutionnaires. La mise à mort de l'espion de la C.I.A. Charles Chandler,
militaire américain qui, après avoir passé deux ans au Vietnam, vint s'infiltrer
dans le mouvement étudiant brésilien, celle de plusieurs barbouzes et de plusieurs
membres de la police militaire, prouvent que nous sommes entrés dans un état de
guerre révolutionnaire, et que cette lutte passe nécessairement par la violence. Le
guérillero urbain doit donc concentrer tous ses efforts sur l'extermination des
agents de la répression et l'expropriation des exploiteurs du peuple.
La préparation technique du guérillero urbain
Personne ne peut devenir guérillero sans passer par une phase de préparation
technique. Elle va de l'entraînement physique à l'enseignement de professions ou
d'activités de tout genre, mais surtout manuelles. On ne peut acquérir une bonne
résistance physique qu'en s'entraînant. On ne peut devenir un bon lutteur qu'en
apprenant l'art de lutter. Le guérillero urbain apprendra donc à pratiquer les
différents types de luttes, qu'ils concernent l'attaque ou la défense personnelle.
Outre la préparation technique, je considère comme utiles les formes
d'entraînement telles que les excursions à pied, le camping et des séjours
prolongés en forêt, l'ascension des montagnes, la natation, le canotage, les
plongées et les chasses sous-marines, à la manière des hommes-grenouilles, la
pêche, la chasse aux volatiles et au gibier de petite et grande taille.
Il est très important d'apprendre à conduire une voiture, piloter un avion,
gouverner une embarcation à moteur ou à voile, d'avoir des notions de mécanique,
de radiophonie, de téléphonie, d'électricité et même d'électronique. Il est
également important de posséder des notions de topographie, de savoir s'orienter,
calculer les distances, établir des cartes et des plans, chronométrer, transmettre
des messages, utiliser la boussole, etc.
Des connaissances de chimie, sur la combinaison des couleurs, sur la fabrication
des cachets, sur l'art d'imiter l'écriture d'autrui et autres habiletés, font partie de la
préparation technique du guérillero urbain. Pour pouvoir survivre dans la société
qu'il se propose de détruire, celui-ci est obligé de falsifier des documents, comme
des passeports, des permis de conduire, des cartes d'assurance maladie et divers
papiers d'identité.
En ce qui concerne les soins médicaux, il est clair que jouent un rôle spécial et
important les guérilleros médecins, infirmiers ou pharmaciens, ainsi que ceux qui
possèdent des connaissances correspondantes (les premiers soins, prescription et
emploi de médicaments et notions de chirurgie).
La partie la plus importante de la préparation technique reste, toutefois, le
maniement des armes telles que la mitraillette, le revolver, les armes
automatiques, le mortier, le bazooka, le fusil FAL et d'autres types de carabines.
S'y ajoute la connaissance des différentes sortes de munitions et explosifs. La
dynamite est un de ces explosifs; il importe de bien savoir s'en servir, comme il
importe de savoir utiliser les bombes incendiaires, les grenades fumigènes, le C-4
et autres. Il faut apprendre à fabriquer des cocktails Molotov, des bombes, des
mines, à détruire des ponts, démonter ou détruire des rails et des traverses de
chemin de fer.
Le guérillero urbain parachèvera sa formation dans un centre technique organisé à
cet effet, mais seulement après être passé par l'épreuve du feu, c'est-à-dire avoir
déjà combattu contre l'ennemi.
Les armes du guérillero urbain
Les armes du guérillero urbain sont légères, facilement remplaçables, en général
prises à l'ennemi, achetées ou fabriquées sur place. L'armement léger peut être
manié et transporté rapidement. Cet armement se distingue par son canon qui est
court; il comporte plusieurs armes automatiques et semi-automatiques, qui
augmentent considérablement la puissance de feu du guérillero urbain, mais qui
sont difficilement contrôlables. De plus, celles-ci entraînent une forte
consommation, voire un certain gaspillage de munitions, que seule une grande
précision de tir peut compenser.
L'expérience nous a montré que l'arme de base du guérillero urbain est la 10
mitraillette. Elle est efficace et peut être facilement dissimulée; elle impose de plus
le respect à l'adversaire. Il faut connaître à fond le maniement de cette arme
devenue si populaire.
La mitraillette idéale est l'INA, calibre 45. D'autres de différents calibres, peuvent
également être utilisées, mais il est moins facile de pourvoir à leur chargement. On
souhaitera donc que la base logistique industrielle en arrive à produire un type
uniforme de mitraillette à munitions standardisées.
Chaque groupe de guérilleros doit disposer d'une mitraillette maniée par un bon
tireur. Les autres auront des revolvers 38, notre arme commune. L'usage du
revolver 32 est permis, mais nous donnons la préférence au 38, à cause de sa force
d'impact.
Les grenades à main et les grenades fumigènes peuvent être considérées comme
des armes légères, utiles à la défensive et pour protéger la retraite des guérilleros.
Les armes à canon long sont plus difficilement transportables et attirent davantage
l'attention. Parmi ces dernières se rangent les FAL, les Mausers, les fusils de
chasses et les Winchesters. Les fusils de chasse peuvent être efficaces lorsqu'ils
sont employés pour des tirs a faible portée ou à bout portant, ce qui arrive surtout
la nuit. Un fusil à air comprimé peut-être avantageusement employé pour le tir à la
cible. Des bazookas et des mortiers peuvent être utilisés, mais par des gens bien
entraînés.
Les armes de fabrication artisanale sont parfois aussi efficaces que les armes
conventionnelles, ainsi que les fusils à canon raccourci.
Les camarades qui sont armuriers jouent un rôle important. Ils entretiennent les
armes, les réparent et peuvent même monter un atelier où ils en fabriqueront. Les
ouvriers métallurgistes, les mécaniciens et les tourneurs sont des personnes tout
indiquées pour assumer ce travail de logistique industrielle. Ils peuvent, à partir de
leurs connaissances, aussi bien fabriquer secrètement des armes chez eux. On
organisera aussi des cours sur l'art de fabriquer des explosifs et l'art de saboter; on
y prévoira la possibilité de faire des expériences.
Les cocktails Molotov, l'essence, les instruments destinés au lancement de pétards,
les grenades faites au moyen de tuyaux et de boîtes, les mines, les explosifs
fabriqués avec de la dynamite et du chlorate de potasse, le plastic, les capsules
fulminantes, etc., constituent l'arsenal du guérillero soucieux de remplir sa
mission. Le matériel nécessaire à la fabrication des ces engins sera acheté ou
dérobé à l'ennemi au cours d'opérations soigneusement planifiées et exécutées. Le
guérillero veillera à ne pas garder longtemps près de lui ce matériel susceptible de
provoquer des accidents; il cherchera à s'en servir tout de suite.
L'introduction d'armes modernes, comme toute innovation en ce domaine, influe
directement sur les tactiques de la guérilla urbaine. Ces tactiques changeront dès 11
que sera généralisé l'usage de la mitraillette standardisée. Les groupes de
guérilleros qui parviennent à uniformiser leur armement et leurs munitions
acquièrent un pouvoir d'efficacité supérieur aux autres, car leur puissance de feu
devient plus grande.
Le tir, raison d'être du guérillero urbain
La raison d'être du guérillero urbain, son action, sa survie, tout cela dépend de son
art de tirer. Il est indispensable qu'il s'en acquitte bien. Dans la guerre
conventionnelle, le combat se fait à distance et avec des armes à longue portée.
Dans la guérilla, c'est le contraire; s'il ne tire pas le premier, il risque de perdre la
vie. De plus, comme il n'a sur lui que peu de munitions et que son groupe est
réduit, il ne peut perdre du temps; il sera donc prompt au tir.
Un autre point sur lequel il convient d'insister jusqu'à l'exagération, c'est que le
guérillero urbain ne peut tirer jusqu'à épuisement de ses munitions. Il est, en effet,
possible que l'ennemi ne riposte pas, précisément parce qu'il attend que l'autre ait
fait usage de toutes ses balles, s'exposant ainsi à la capture ou à la mort.
Afin d'éviter d'être une cible facile, le combattant ne cessera de se mouvoir, tout en
tirant.
On devient un bon tireur en s'exerçant systématiquement par les moyens les plus
divers: en tirant à la cible dans les fêtes foraines; en tirant, chez soi, avec un fusil à
air comprimé, etc. Le bon tireur pourra devenir un franc-tireur, c'est-à-dire un
guérillero solitaire, capable d'opérer des actions isolées. En tant que tel, il devra
pouvoir tirer à longue et courte distance, avec des armes appropriées à l'une ou
l'autre fonction.
Les "groupe de feu" (cellules)
Les guérilleros urbains seront organisés en petits groupes. Chaque groupe, appelé
"groupe de feu" (cellule), ne peut dépasser le nombre de 4 ou 5 personnes. Un
minimum de 2 groupes (cellules), rigoureusement compartimentés et coordonnés
par 1 ou 2 personnes, s'appelle une "équipe de feu" (réseau).
Au sein de chaque groupe (cellule) doit régner la plus grande confiance. Celui qui
tire le mieux et sait manier la mitraillette se chargera d'assurer la protection de ses
camarades au cours des opérations. Chaque groupe planifiera et exécutera les
opérations qu'il aura décidées, gardera des armes, discutera et corrigera les
tactiques employées. Le groupe agit de sa propre initiative, sauf dans
l'accomplissement des tâches décidées par le commandement général de la
guérilla (cellule centrale ou comité central). Pour donner libre cours à cet esprit
d'initiative, on évitera toute rigidité à l'intérieur de l'organisation. C'est d'ailleurs
pour cela que la hiérarchisation caractéristique de la gauche traditionnelle n'existe
pas chez nous.
Parmi les initiatives possibles laissées à la décision de chaque groupe (cellule),
citons: les raids contre des banques, les enlèvements de personnes, les exécutions
d'agents notoires de la dictature ou de la réaction ou des espions et délateurs au
sein de l'organisation, toute forme de propagande ou de guerre de nerfs. Il n'est
pas nécessaire, avant de décider de l'une de ces opérations, de consulter le
commandement général de la guérilla (cellule centrale ou comité central). Aucun
groupe ne doit, du reste, attendre, pour agir, que lui viennent des ordres d'en haut.
Tout citoyen désireux de devenir guérillero peut, de lui-même, passer à l'action et
s'intégrer à notre organisation, En procédant de la sorte, il est plus difficile de
savoir à qui doit être attribué tel ou tel coup, l'essentiel étant qu'augmente le
volume des actions réalisées.
Le commandement général de la guérilla (cellule centrale ou comité central)
compte sur ces groupes (cellules) pour les envoyer remplir des missions en
n'importe quel point du pays. Lorsqu'ils sont en difficulté, il se chargera de les
aider. Notre organisation révolutionnaire est constituée par un réseau vaste et
indestructible de "groupe de feu" (cellule). Son fonctionnement est simple et
pratique; le commandement général de la guérilla (cellule centrale ou comité
central) l'oriente; ceux qui le composent participent aux mêmes coups, car tout ce
qui n'est pas l'action directe ne nous intéresse pas.
La logistique du guérillero urbain
La logistique conventionnelle peut s'exprimer par la formule N.C.E.M. qui veut
dire:
N = Nourriture
C = Combustible
E = Équipement
M = Munitions
Le guérillero urbain, lui, ne fait pas partie d'une armée régulière; son organisation
est intentionnellement fragmentée. Il ne dispose pas de camions, de bases fixes et
la logistique industrielle de la guérilla urbaine est difficile à implanter.
La logistique du guérillero urbain correspondra donc à la formule M.A.M.A.E.:
M = Motorisation
A = Argent
M = Munitions
A = Armes
E = Explosifs
La logistique révolutionnaire comporte donc la motorisation qui est un facteur
essentiel. Il faut des chauffeurs. Ceux-ci doivent, comme les autres guérilleros,
subir un bon entraînement. D'ailleurs, tout bon guérillero sera aussi un bon
chauffeur.
Les véhicules dont il a besoin, il les "expropriera" s'il ne dispose pas de ressources
pour en acheter. Comme pour l'achat d'armes, de munitions et d'explosifs, le 13
guérillero prélèvera l'argent des banques. Ces "expropriations" sont, au départ,
indispensables à notre organisation. Il faut aussi bien dérober les armes en vente
dans les magasins que celles que portent en bandoulière les soldats de la garde
civile ou de la garde militaire.
Postérieurement, lorsqu'il s'agira de développer la force logistique, les guérilleros
tendront des embuscades à l'ennemi afin de capturer ses armes, ses munitions et
ses moyens de transport. Sitôt dérobé, le matériel doit être caché, même si
l'ennemi cherche à riposter ou à poursuivre les assaillants. Il importe donc qu'ils
connaissent très bien le terrain où ils agissent et qu'ils s'adjoignent des guides
spécialement préparés.
La technique du guérillero urbain
La technique est, en gros, l'ensemble des moyens qu'utilise un homme pour
exécuter un travail. La technique du guérillero, qui concerne aussi bien la guérilla
proprement dite que la guerre psychologique, repose sur cinq données de base:
- la nature spécifique de la situation;
- concevoir l'action pour répondre à la nature spécifique de la situation;
- l'objectif;
- le type d'action pour atteindre l'objectif;
- la méthode pour mener cette action.
Les caractéristiques de la lutte de guérilla
La technique employée par le guérillero urbain présente les caractéristiques
suivantes:
- Elle est agressive ou offensive. Pour le guérillero, dont la puissance de feu est
inférieure à celle de l'ennemi, qui ne peut compter sur l'appui du pouvoir et ne
peut répondre à une attaque massive des forces adverses, la défensive ne peut
qu'être fatale. C'est pourquoi jamais il ne cherchera à fortifier ou à défendre une
base fixe; jamais il n'attendra d'être encerclé pour riposter.
- Elle repose sur l'attaque suivie d'une retraite immédiate, nécessaire à la
préservation des forces de la guérilla.
- Elle vise à harceler, décourager, distraire les forces dont l'ennemi dispose dans
les villes afin de favoriser le déclenchement et l'implantation de la guérilla rurale
dont le rôle, dans la guerre révolutionnaire, est décisif.
L'avantage initial de la guérilla urbaine
La dynamique de la guérilla urbaine aboutit à l'affrontement violent du
combattant et des forces de répression de la dictature. Celles-ci disposent de forces
supérieures à celles du premier. Il n'en incombe pas moins au guérillero urbain 14
d'attaquer le premier. Les forces militaires et policières riposteront en mobilisant
des ressources infiniment plus grandes. Le guérillero urbain ne pourra échapper à
la persécution et à la destruction qu'en exploitant à fond les avantages dont, au
départ, il jouit. Ce sera sa façon de compenser sa faiblesse matérielle.
Ces avantages consistent à:
- attaquer l'ennemi par surprise;
- mieux connaître que l'ennemi le terrain sur lequel il combat;
- jouir d'une plus grande mobilité ou d'une plus grande rapidité que les forces de
répression;
- disposer d'un réseau d'information meilleur que celui de l'ennemi;
- faire preuve d'une telle capacité de décision que ses compagnons se sentent
encouragés et ne puissent même pas hésiter alors qu'en face d'eux, l'ennemi ne
saura où donner de la tête.
La surprise
La surprise est donc un élément très important et qui permet de compenser
l'infériorité du guérillero sur le plan des armes. Contre elle, l'ennemi ne peut rien
opposer; il tombe dans la perplexité et court à sa perte. Dans le déclenchement de
la guérilla urbaine au Brésil, l'effet de surprise a été largement exploité. Il est
fonction de quatre données de base que l'expérience nous fait définir comme suit:
- Nous connaissons la situation de l'ennemi que nous allons attaquer,
généralement grâce à des informations précises et à une observation méticuleuse,
alors que lui-même ignore qu'il va être attaqué et quelle sera la position de
l'attaquant.
- Nous connaissons la force de ceux que nous attaquons et eux méconnaissent la
nôtre.
- Nous pouvons mieux que l'ennemi économiser et préserver nos forces.
- C'est nous qui choisissons l'heure et le lieu de l'attaque, qui décidons de sa durée
et des objectifs à atteindre. L'ennemi en ignore tout.
La connaissance du terrain
Le guérillero urbain, s'il veut que le terrain soit son meilleur allié, doit le connaître
jusque dans ses moindres détails. Ce n'est qu'ainsi qu'il pourra intelligemment
faire usage de son relief, des ses talus et des ses fossés, de ses accidents, de ses
zones laissées à l'abandon, etc., afin de faciliter le tir, les opérations de retrait, et
aussi de se cacher.
Les points d'étranglement tels que les impasses, les cul-de-sac, les rues en
chantier, les poste de contrôle de la police, les zones militaires, les entrés ou sorties
de tunnels, les viaducs, les carrefours garnis d'agents de la circulation, de 15
sémaphores ou de toute autre signalisation, doivent être soigneusement repérés si
l'on veut éviter des erreurs fatales. Ce qui importe, c'est de bien connaître les
chemins par lesquels les guérilleros passeront et les endroits où ils se cacheront,
laissant l'ennemi à la merci du lieu qu'il ignore. Familiarisé avec les rues, les coins
et les recoins des centres urbains, connaissant bien les terrains vagues, les égouts,
les massifs de verdure, les immeubles en construction, le guérillero urbain peut
semer facilement la police ou la surprendre en lui dressant un piège ou une
embuscade. S'il connaît le terrain, le guérillero pourra indifféremment le parcourir
à pied, à bicyclette, en automobile, en jeep ou en camion sans se faire arrêter.
S'il agit au sein d'un petit groupe de combattants, il pourra facilement le
reconstituer en un endroit choisi d'avance, avant de déclencher une nouvelle
opération. C'est pour la police un véritable casse-tête que de retrouver ou contreattaquer un guérillero, dans un dédale de rues que lui seul connaît. L'expérience
nous a montré que l'idéal, pour un guérillero urbain, est d'agir dans sa propre ville,
puisque c'est celle-là qu'il connaît le mieux. Celui qui vient d'ailleurs ne peut, avec
autant de compétence que le premier, mener à bien une opération de guérilla.
Mobilité et rapidité
La mobilité et la rapidité du guérillero urbain doivent être supérieures à celles de
la police. A cet effet, il veillera:
- à être motorisé;
- à bien connaître le terrain;
- à saboter ou entraver les communications ou les moyens de transport de
l'ennemi;
- à s'assurer la possession d'un armement léger.
Lorsqu'il réalise des opérations qui ne durent que quelques minutes et s'il quitte le
lieu de son action au moyen d'un véhicule à moteur, le guérillero ne pourra
échapper à ceux qui le poursuivent que si, au préalable, il a déjà reconnu
l'itinéraire. Il n'opérera que dans des endroits éloignés des bases logistiques de la
police afin de faciliter sa fuite.
Il devra aussi viser à entraver les communications de l'ennemi, sa première cible
étant le téléphone dont il fera couper les fils.
Les forces de répression disposent de moyens de transport très modernes; il faut
s'efforcer de leur faire perdre du temps lorsqu'elles doivent traverser le centre
congestionné des grandes villes. Les embouteillages peuvent également nous
désavantager. Nous veillerons donc à nous assurer une position favorable, en
adoptant les moyens suivants:
- la simulation d'une panne ou le barrage d'une route, que d'autres compagnons
assumeront, en utilisant des véhicules dont les plaques seront fausses;
- l'obstruction du chemin au moyen de troncs d'arbres, de pierres, de fausses 16
plaques de signalisation, de trous ou par tout autre moyen efficace et astucieux;
- la pose de mines de fabrication artisanale aux endroits par où devra passer la
police et l'incendie de ses moyens de transport avec de l'essence ou des cocktails
Molotov;
- le mitraillage, surtout dans le but de faire éclater les pneus des véhicules de la
police.
Le rôle du guérillero urbain est d'attaquer puis aussitôt de battre en retraite; c'est
ainsi que, doté d'un armement léger, il peut mettre en échec l'ennemi lourdement
et fortement armé. Sans un armement léger, on ne peut jouir d'une grande
mobilité.
Les guérilleros pourront toujours être motorisés si la police les attaque à cheval.
De l'intérieur de leur voiture, ils pourront facilement tirer contre ces attaquants.
Le grand désavantage de la cavalerie est qu'elle offre aux guérilleros deux cibles: le
cheval et son cavalier.
L'utilisation par les forces de répression de l'hélicoptère n'offre guère d'avantages;
il sera difficile à ceux qui l'occupent de tirer de si haut et impossible de se poser sur
la voie publique. Volant à basse altitude, il pourra facilement être atteint par le tir
des guérilleros.
L'information
Les chances qu'a le gouvernement de découvrir et de décimer les guérilleros
diminuent fortement dans la mesure où, au milieu de la population, se multiplient
les ennemis de la dictature. Ceux-ci, en effet, nous informeront sur les activités de
la police et des agents gouvernementaux qu'ils ne renseigneront jamais sur nos
propres activités. Pour les embarrasser, ils chercheront plutôt à leur donner de
fausses informations. De toute façon, les sources de renseignement du guérillero
urbain sont potentiellement plus grandes que celles de la police. Celle-ci se sait
observée par la population, mais elle ignore qui se rend complice du guérillero et
dans la mesure où elle commet des injustices et fait violence à des citoyens, elle
favorise cette complicité entre le peuple et les guérilleros.
Même si les informations ne nous proviennent que d'une très petite fraction de la
population, elles constituent pour nous une arme précieuse. Elles ne nous
dispensent cependant pas de créer notre propre service de renseignement, et
d'organiser ce réseau.
Des informations sûres données au guérillero signifient que des coups également
sûrs pourront être portés contre le système de la dictature.
Afin de s'opposer plus efficacement à nous, l'ennemi stimulera la délation et
s'infiltrera en nous envoyant ses espions. Les traîtres et les délateurs, aussitôt 17
qu'ils seront connus, devront être dénoncés auprès de la population. Dans la
mesure où le gouvernement se rendra impopulaire, celle-ci se chargera de les
châtier. En attendant, dès qu'ils les connaîtront, les guérilleros devront procéder à
leur élimination physique, ce que la population ne manquera pas d'approuver et ce
qui diminuera considérablement l'infiltration et l'espionnage de l'ennemi.
Cette lutte, on la complétera en organisant un service de contre- espionnage.
C'est en vivant au milieu de la population, en prêtant attention à tous les types de
conversations et de relations humaines, non sans dissimuler avec un maximum
d'astuce sa curiosité, que le guérillero complétera son information. Celle-ci
concernera tout ce qui peut se passer sur les lieux de travail, dans les écoles et
facultés, dans les quartiers où habitent les combattants, qu'il s'agisse des opinions
ou de l'état d'esprit des gens, de leurs voyages, de leurs affaires, de leurs
fréquentations, de tout ce qui les occupe.
Le guérillero urbain ne se déplace jamais sans avoir toujours à l'esprit la
préoccupation de mettre au point un éventuel plan d'opération. Il n'y a pas
d'interruption dans la vie du combattant; il doit toujours être en éveil et enrichir sa
mémoire do tout ce qui peut lui être utile dans l'immédiat comme pour le futur. Il
lira attentivement les journaux et s'intéressera aux autres moyens de
communication, il enquêtera, ne cessera de transmettre à ses compagnons tout ce
qui attire son attention; c'est là tout ce qui constitue 1'immense réseau
d'informations donnant au guérillero urbain un net avantage.
L'esprit de décision
Un manque d'esprit de décision annule aussitôt les avantages que nous venons
d'énumérer. S'il n'est pas sûr de lui, le guérillero risque d'échouer, pour bien
planifiée qu'ait été son action. Cette capacité de décision doit être maintenue
jusqu'au bout, sans quoi une opération bien commencée peut, par la suite, se
retourner contre lui, car l'ennemi profitera de sa panique ou de son hésitation pour
l'anéantir.
Il n'existe pas d'opérations faciles. Elles doivent être exécutées avec le même soin
et par des hommes soigneusement choisis, précisément en fonction de leur esprit
de décision. C'est au cours de la période de préparation que l'on verra dans quelle
mesure les candidats à la guérilla en sont dotés. Ceux qui, au cours de ces périodes,
arrivent en retard aux rendez-vous, confondent facilement les hommes, ne les
trouvent pas, oublient l'une ou l'autre chose, n'observent pas les normes
élémentaires du travail, se révèlent être des gens peu décidés et susceptibles de
porter préjudice à la lutte - il vaut mieux les écarter. Être décidé, cela signifie
exécuter avec une détermination, une audace et une fermeté incroyables un plan
tracé. Un seul indécis peut perdre tout un groupe.
Les objectifs visés par le guérillero
Les objectifs que visent les attaques déclenchées par les guérilleros urbains sont,
au Brésil, les suivants:
- Ébranler le polygone de sustentation de l'État et de la domination nordaméricaine. Ce polygone est constitués par le triangle Rio-Sao Paulo-Belo
Horizonte, triangle dont la base correspond à l'axe Rio-Sao Paulo. C'est là que se
situe le gigantesque complexe industriel, financier, économique, politique, culturel
et militaire du pays, c'est à dire le centre de décision national.
- Affaiblir le système de sécurité de la dictature en forçant l'ennemi à mobiliser ses
troupes pour la défense de cette base de sustentation, sans qu'il sache jamais
quand, où, comment il sera attaqué.
- Attaquer de toutes parts, avec beaucoup de petits groupes armés, bien
compartimentés et même sans éléments de liaison, afin de disperser les forces
gouvernementales. Plutôt que de donner à la dictature l'occasion de concentrer
son appareil de répression en lui opposant une armée compacte, on se présentera
avec une organisation très fragmentée sur tout le territoire national.
- Donner des preuves de combativité, de détermination, de persévérance et de
fermeté afin d'entraîner tous les mécontents à suivre notre exemple, à employer,
comme nous, les tactiques de la guérilla urbaine. En procédant ainsi, la dictature
devra envoyer des soldats garder les banques, les industries, les magasins d'armes,
les casernes, les prisons, les bâtiments de l'administration, les stations de radio et
de télévision, les firmes nord-américaines, les gazomètres, les raffineries de
pétrole, les bateaux, les avions, les ports, les aéroports, les hôpitaux, les
ambassades, les entrepôts d'alimentation, les résidences des ministres, des
généraux et des autres personnalités du régime, les commissariats de police, etc.
- Augmenter graduellement les troubles par le déclenchement d'une série
interminable d'actions imprévisibles, forçant ainsi le pouvoir à maintenir le gros
de ses troupes dans les villes, ce qui affaiblit la répression dans les campagnes.
- Obliger l'armée et la police, ses commandants, ses chefs et leurs subordonnés à
quitter le confort et la tranquillité des casernes et de la routine et les maintenir
dans un état d'alarme et de tension nerveuse permanentes, ou les attirer sur des
pistes qui ne mènent nulle part.
- Éviter la lutte ouverte et les combats décisifs, en se limitant à des attaquessurprise, rapides comme l'éclair.
- Assurer au guérillero urbain une très grande liberté de mouvement et d'action,
pour qu'il puisse maintenir une cadence soutenue dans l'emploi de la violence,
aider ainsi au déclenchement de la guérilla rurale et, postérieurement, à la 19
formation de l'armée révolutionnaire de libération nationale.
Les modes d'action du guérillero
Pour atteindre les objectifs énumérés ci-dessus, le guérillero urbain est obligé de
recourir à des modes d'action les plus diversifiés possible, mais non pas
arbitrairement choisis.
Certaines de ces actions sont simples; d'autres, plus complexes. Aussi le guérillero
qui débute devra-t-il suivre cette échelle allant du simple au compliqué. Avant
d'entreprendre une mission, il doit considérer les moyens et les personnes dont il
dispose pour l'accomplir. Il ne s'assurera la collaboration que de gens
techniquement préparés. Ces précautions une fois prises, il pourra envisager les
modes d'action suivants:
- l'attaque;
- l'incursion ou invasion d'un lieu;
- l'occupation d'un lieu;
- les embuscades;
- le combat tactique de rue;
- la grève ou toute interruption de travail;
- la désertion, le détournement ou l'"expropriation" d'armes, de munitions et
d'explosifs;
- la libération de prisonniers;
- la mise à mort;
- l'enlèvement;
- le sabotage;
- le terrorisme;
- la propagande armée;
- la guerre des nerfs.
L'attaque
Certains raids doivent être réalisés de jour, par exemple quand il s'agit d'attaquer
un fourgon postal ; d'autres, la nuit, lorsque c'est plus avantageux pour le
guérillero. L'idéal serait que toutes les attaques aient lieu la nuit; cela augmente
l'effet de surprise et favorise la fuite.
On distingue les attaques contre des objectifs fixes, tels que les banques, les
maisons de commerce, les casernes, les prisons, les stations de radio etc., des
attaques contre des objectifs mobiles comme les voitures, les camions, les trains,
les embarcations, les avions, etc. S'il s'avère difficile de détruire ces objectifs en
mouvement, on cherchera à les arrêter, par exemple en dressant des barrages sur
les routes, en tendant des embuscades.
Les véhicules lourds, les trains, les bateaux ancrés dans les ports, les avions
peuvent être attaqués et leurs conducteurs ou pilotes maîtrisés par les guérilleros 20
qui les dévieront de leur itinéraire.
Les raids contre des banques sont les modes d'action les plus populaires. Au Brésil,
ils sont largement pratiqués; nous en avons fait un peu comme un examen d'entrée
dans l'apprentissage de la technique de la guerre révolutionnaire. Au cours de ces
attaques, on peut faire usage de techniques variées: enfermer le personnel de la
banque dans les toilettes ou le faire asseoir sur le sol, immobiliser les soldats
chargés de la garder, leur prendre leurs armes, tandis qu'on forcera le gérant à
ouvrir le coffre-fort. On peut, pour égarer la police, se déguiser; et, dans la fuite, on
tirera dans les pneus des véhicules qui chercheraient à prendre en chasse les
guérilleros. Le fait d'y installer des sonneries d'alarme ou d'autres moyens
électroniques destinés à avertir la police n'empêche pas le guérillero de poursuivre
ses opérations. Il emploiera, lui aussi, des moyens nouveaux, fera usage d'une
puissance de feu croissante, sera entouré d'un plus grand nombre de compagnons
et préparera l'attaque jusque dans les moindres détails.
Dans ce genre d'expropriations, les révolutionnaires souffrent d'une double
concurrence :
- celle des bandits;
- celle des contre-révolutionnaires de droite.
Ceci constitue un facteur de confusion pour la population. Le guérillero cherchera
dès lors à l'éclairer sur le sens politique de son action, de deux façons :
- Il refusera de se comporter comme un bandit, c'est-à-dire d'abuser de la violence
et de s'approprier de l'argent et des objets personnels des clients qui se
trouveraient dans la banque.
- Il joindra, à l'expropriation, des actes de propagande, en écrivant sur les murs
des slogans stigmatisant les classes dominantes et l'impérialisme, répandra des
tracts, divulguera des circulaires énonçant les fins politiques qu'il poursuit.
Les incursions et les invasions
Les incursions et les invasions sont des attaques-éclairs pratiquées contre des
bâtiments situés dans les quartiers périphériques et même dans le centre des
villes. Certaines incursions auront un double but exproprier, exercer des
représailles, délivrer des camarades prisonniers, détruire la logistique de l'ennemi
et aussi le forcer à se déplacer, l'entraîner loin de ses bases.
Certaines incursions auront pour objectif l'appréhension de documents ou de
papiers secrets prouvant la corruption, les malversations, le trafic d'influence, les
transactions criminelles passées avec des Nord- Américains dont sont coupables
les hommes du gouvernement.
Les occupations de lieux
Un groupe de guérilleros urbains peut attaquer un lieu, s'y installer et résister à
l'ennemi pendant un certain temps, afin de réaliser un acte de propagande. Les
occupations d'école ou de fabrique ou d'une station de radio sont particulièrement
importantes, car elles ont une très grande répercussion. Mais comme le danger de
perdre des hommes et du matériel est plus grand, on veillera à préparer
soigneusement la retraite. De toute façon, plus on est rapide dans
l'accomplissement de l'opération de propagande projetée, mieux ça vaut.
Les embuscades
Les embuscades sont des attaques réalisées par surprise. Elles consistent à attirer
l'ennemi dans un piège, par exemple en lui adressant un faux appel au secours. Le
but des embuscades est de punir l'ennemi de mort ou de lui prendre ses armes.
Le guérillero franc-tireur peut facilement dresser des embuscades, car il lui est
aisé, puisqu'il est seul, de se cacher. Il peut se dissimuler sur les toits, à l'intérieur
de certaines constructions, dans la nature.
Les combats tactiques de rue
Par les combats tactiques de rue, les guérilleros visent à s'allier la participation des
masses contre l'ennemi. Au cours de l'année 1968, les étudiants brésiliens ont
réussi à réaliser d'excellentes opérations tactiques, en lançant des milliers de
manifestants dans les rues à sens unique et à l'encontre des voitures, en utilisant
des lance-pierres et des billes de verre qu'ils répandaient entre les pattes des
chevaux de la police montée. À part cela, on peut dresser des barricades, dépaver
les chaussées, lancer, du haut des immeubles et des gratte-ciel, des bouteilles, des
briques et autres projectiles.
Il faut aussi savoir répondre aux attaques de l'ennemi. Lorsque la police avance,
armée de boucliers, il faut se scinder en deux groupes, l'un attaquant par devant et
l'autre par derrière, l'un se retirant quand l'autre lance ses projectiles.
Lorsque les forces ennemies détachent un groupe de soldats ou de policiers pour
encercler un ou plusieurs de nos camarades, nous devons, à notre tour, détacher
un groupe plus important pour encercler ceux qui les encerclent.
Lorsque l'ennemi encercle des écoles, des usines, des lieux de rassemblement de la
population, les guérilleros urbains ne doivent jamais ni se rendre ni se laisser
surprendre. Dans ce but, ils auront soin, avant de pénétrer dans un de ces
endroits, d'en étudier au préalable les issues possibles, les moyens de briser
l'encerclement, et déterminer les points stratégiques et les chemins par où devront
nécessairement passer les véhicules de la police. Ensuite, ils choisiront leurs
propres points stratégiques, à partir desquels ils affronteront l'ennemi. Les
chemins par où doivent passer les véhicules de la police seront minés.
Les guérilleros n'organiseront aucune réunion, assemblée ou occupation en des
lieux dépourvus de bonnes possibilités de fuite.
C'est de cette façon que s'articule l'action des guérilleros urbains avec les
mouvements de masses. Les guérilleros ont alors pour tâche d'encadrer, d'appuyer
et de défendre les manifestations de masses. Contre ceux qui veulent assaillir les
manifestants, ils tireront, incendieront les véhicules, séquestreront leurs
occupants ou les fusilleront, en particulier les barbouzes et les chefs des polices
parallèles qui, pour ne pas attirer l'attention, s'amènent dans des voitures
particulières munies de fausses plaques.
Une autre de leurs missions est d'orienter les manifestants et de faciliter leur fuite.
Ils seront, d'autre part, aidés par les francs- tireurs qui leur donneront la meilleure
couverture possible.
Les interruptions de travail
La grève intéresse avant tout ceux qui étudient ou ceux qui travaillent. Comme elle
constitue pour les exploités un moyen de pression très redouté, l'ennemi cherchera
à l'empêcher ou à la briser en multipliant, s'il le faut, sa puissance de feu. Il
cherchera à frapper les grévistes, à les arrêter ou même à les tuer.
Dans l'organisation des grèves, les guérilleros doivent donc procéder sans laisser le
moindre indice pouvant mener à l'identification des responsables. Ils prépareront
ces grèves, avec des petits groupes et dans le plus grand secret. Ils se muniront
d'armes, d'explosifs, de cocktails Molotov et de bombes de fabrication artisanale
afin de pouvoir affronter l'ennemi. Et pour que celui-ci soit gravement atteint, on
aura aussi mis au point un plan de sabotage que l'on exécutera au bon moment.
Les interruptions de travail ou d'étude, pour brèves qu'elles soient, n'en inquiètent
pas moins l'ennemi.
Il suffit, en effet, que surgissent, de différents points d'un lieu, des groupes
troublant le rythme de vie quotidien et opérant comme un mouvement de flux et
de reflux, pour créer une agitation qui est, elle aussi, une opération do guérilla.
Au cours de ces interruptions de travail, les guérilleros pourront occuper le local
qui les intéresse afin d'y faire des prisonniers, d'emmener des personnes en otages,
particulièrement des agents notoires de l'ennemi, afin de les échanger contre des
grévistes détenus.
Ces grèves peuvent également favoriser la préparation d'embuscades dans le but
de liquider physiquement les policiers les plus sanguinaires et les responsables des
tortures infligées aux patriotes.
Les désertions et les détournements ou "expropriations" d'armes, de munitions et
d'explosifs
Les détournements d'armes sont pratiqués dans les casernes, sur les bateaux, dans
les hôpitaux militaires, etc. Le guérillero urbain, qui est aussi soldat, caporal,
sergent, sous-officier ou officier de l'armée, désertera au bon moment, emportant
avec lui le plus d'armes possibles, les plus modernes, et des munitions qu'il mettra
au service de la révolution.
Un de ces "bons moments" se présente quand le soldat est appelé à quitter sa
garnison pour aller combattre ses camarades guérilleros; il lui sera alors plus facile
de leur remettre ses armes, les véhicules qu'il conduit ou l'avion qu'il pilote.
Ce moyen d'approvisionnement offre un grand avantage: c'est avec les moyens de
transport du gouvernement en place que, sans qu'ils se donnent beaucoup de
peine, les guérilleros sont pourvus d'armes et de munitions.
Les camarades qui sont militaires seront, de toute façon, attentifs à choisir
d'autres occasions d'aider ainsi les révolutionnaires. Si ceux qui les commandent
sont mous, versent dans le bureaucratisme, s'acquittent mal de leurs tâches, ils ne
feront rien pour y remédier; ils se contenteront d'en aviser l'organisation
révolutionnaire à laquelle ils sont liés et prépareront, seuls ou avec d'autres
compagnons, leur désertion, non sans veiller à emporter tout ce qu'ils peuvent.
Les incursions de guérilleros à l'intérieur des casernes et autres bâtiments
militaires, réalisées dans le but de dérober des armes, pourront être préparées avec
la collaboration des camarades soldats.
S'il n'est vraiment pas possible de déserter en emportant des armes, ces camarades
devront alors se vouer au sabotage faire exploser ou incendier des dépôts d'armes,
d'explosifs et de munitions. Toutes ces activités affaiblissent et découragent
fortement l'ennemi.
Les guérilleros captureront encore des armes en saisissant celles que portent les
sentinelles ou toute personne remplissant une mission de surveillance ou de
répression. On procédera par la violence ou par la surprise et l'astuce. Lorsqu'on
désarme un ennemi, il faut toujours le fouiller afin de savoir s'il ne possède pas
une autre arme cachée dont il pourrait se servir contre celui qui l'assaille.
Dans la mesure où se multiplie le nombre de patriotes décidés à passer à l'action,
ces captures d'armes se font de plus en plus nécessaires. Souvent, le guérillero
commencera à lutter avec une arme qu'il aura achetée ou dérobée; ensuite il lui
faudra agir avec audace et esprit de décision; notre force est celle de nos armes.
Lors des attaques contre des banques, on saisira aussi systématiquement les armes
des soldats de la garde civile charges de les protéger ainsi que celles des gérants ou 24
des trésoriers.
Enfin, on pourra s'armer aux frais des commissariats de police, des magasins
spécialisés dans la vente de ces objets et des fabriques d'armes, en opérant contre
eux des raids. On dérobera aussi les explosifs dont on se sert dans les carrières.
La libération des prisonniers
Certaines actions à main armée sont destinées à délivrer des guérilleros sous les
verrous. Tout révolutionnaire court le risque d'être, un jour, arrêté et condamné à
de nombreuses années de détention. Son combat n'en sera pas pour autant
terminé; l'expérience de la prison sera un enrichissement et, en prison toujours, il
devra continuer la lutte.
Il cherchera d'abord à bien connaître le lieu de sa détention afin de pouvoir
s'échapper rapidement et facilement, lorsque des camarades armés viendront le
libérer. Aucune prison, qu'elle soit située dans une île du littoral, en ville ou à la
campagne, ne peut être considérée comme inexpugnable, face à l'astuce et à la
puissance de feu des révolutionnaires.
Le guérillero en liberté cherchera, lui, à connaître les établissements pénitentiaires
de l'ennemi, car il sait qu'y croupissent beaucoup de ses frères d'armes. C'est du
travail du guérillero en liberté et du guérillero emprisonné que dépend le salut des
prisonniers.
Les opérations pouvant y conduire sont les suivantes:
- les mutineries à l'intérieur des maisons de correction, des colonies pénitentiaires,
dans les îles réservées aux détenus, sur les navires- prisons;
- les attaques partant de l'extérieur;
- les attaques contre les trains et les véhicules de transport des prisonniers;
- les embuscades dressées contre les soldats ou les policiers chargés de les escorter.
La mise à mort
Seront punis de mort des gens comme les espions américains, les agents de la
dictature, les tortionnaires, les personnalités fascistes du gouvernement coupables
de crimes et de poursuites contre les patriotes, les délateurs et les informateurs de
la police. Ceux qui, de leur propre gré, se rendent à la police pour dénoncer des
militants, fournir des renseignements, aider les enquêteurs, s'ils tombent sur des
guérilleros, ceux-ci devront les abattre.
Ces mises à mort sont des actions secrètes; n'y participe que le plus petit nombre
possible de guérilleros. Très souvent, un simple franc-tireur, patient et inconnu,
qui agit dans la plus rigoureuse clandestinité et avec le plus grand sang-froid,
pourra s'acquitter de cette tâche.
L'enlèvement
On pourra kidnapper et détenir dans un endroit secret un agent de la police, un
espion nord-américain, une personnalité politique ou un ennemi notoire et
dangereux du mouvement révolutionnaire. On ne libérera la personne enlevée que
quand les conditions formulées par les ravisseurs auront été remplies: la remise en
liberté de révolutionnaires emprisonnés ou la suspension des tortures appliquées
dans les geôles du gouvernement.
L'enlèvement de personnalités connues pour leurs activités artistiques, sportives
ou autres, mais qui ne manifestent pas d'opinion politique, peut constituer une
forme de propagande favorable aux révolutionnaires, mais cet enlèvement ne se
fera que dans des circonstances très spéciales et de telle sorte que le peuple
l'accepte avec sympathie.
L'enlèvement de personnalités américaines résidant au Brésil ou y venant en visite
constitue une forme importante de protestation contre la pénétration de
l'impérialisme des États-Unis dans notre pays.
Le sabotage
Le but des sabotages est de détruire. Peu de personnes, parfois une seule, peuvent
réaliser ces opérations. Quand un guérillero envisage de saboter, il le fait d'abord
seul. Postérieurement, il agira avec d'autres personnes de telle sorte que se
généralise cette pratique dans le peuple.
Un sabotage bien fait exige étude, planification et parfaite exécution. Les formes
les plus caractéristiques du sabotage sont le dynamitage, l'incendie et le minage.
Un peu de sable, la moindre fuite de combustible, une lubrification mal faite, un
boulon mal vissé, un court-circuit, des pièces de bois ou de fer mal agencées
peuvent causer des désastres irréparables.
En sabotant, on cherchera à affaiblir, détériorer ou même anéantir les appoints
vitaux de l'ennemi tels que:
- l'économie du pays, en s'attaquant en particulier au réseau commercial interne et
externe, aux secteurs cambiste, bancaire et fiscal;
- la production agricole et industrielle;
- le système des transports et communications;
- le système de répression militaire et policier, surtout leurs établissements et leurs
dépôts;
- les firmes et les biens des Nord-Américains établis dans le pays.
Pour les opérations de sabotage industriel, les éléments les mieux placés sont les
ouvriers. Ceux-ci connaissent en effet comme personne les fabriques dans
lesquelles ils travaillent, les machines ou les pièces dont la destruction peut 26
paralyser tout le processus de production.
Dans les attaques contre les moyens de transport, il faut veiller à ne pas provoquer
la mort des voyageurs, surtout en ce qui concerne les trains de banlieue et ceux qui
parcourent de longues distances, puisque ceux qui les prennent sont des gens du
peuple. D'ailleurs, c'est avant tout les services de communication utilisés à des fins
militaires qu'il faut détruire. Faire dérailler les wagons d'un train chargé de
combustible signifie atteindre l'ennemi dans ce qui, pour lui, est vital. Il en va de
même pour le dynamitage des ponts et chemin de fer, car il lui faudra des mois
pour réparer les dommages causés. Les fils des lignes télégraphiques et
téléphoniques pourront être systématiquement coupés et les centres de
transmission détruits. Les oléoducs, les stocks de combustible, les réserves de
munitions, les arsenaux, les casernes, les moyens de transport de la police et de
l'armée doivent être systématiquement sabotés.
Le volume des actes de sabotage contre les firmes et les biens nord- américains
doit être égal, sinon supérieur, à celui des actes pratiquée contre des objectifs
nationaux.
Le terrorisme
Nous entendons par terrorisme le recours aux attentats à la bombe. Ne pourront
s'y livrer que ceux qui ont acquis une bonne connaissance technique dans la
fabrication des explosifs et qui seront dotés du plus grand sang-froid. Parfois, on
inclura dans les actes de terrorisme la destruction de vies humaines et l'incendie
d'installations nord-américaines ou de certaines plantations.
Si l'on envisage de piller des stocks de produits alimentaires, il faut veiller à ce que
la population puisse en profiter, surtout dans les moments et aux endroits où
sévissent la faim ou la cherté de la vie. Le guérillero sera toujours disponible à
l'égard du terrorisme révolutionnaire.
La propagande armée
L'ensemble des actes perpétrés par les guérilleros urbains, et chaque action à main
armée en particulier, constituent le travail de propagande armée. Les "mass
médias" d'aujourd'hui, par le simple fait de divulguer ce que font les
révolutionnaires, sont d'importants instruments de propagande. Leur existence ne
dispense cependant pas les militants d'organiser leur propre presse clandestine, de
posséder leurs propres imprimantes qu'ils auront "expropriées" s'ils n'ont pas de
quoi les acheter. Car il faut publier et répandre, parmi le peuple, des journaux
clandestins, des manifestes et des tracts dénonçant les méfaits de la dictature ou
favorisant l'agitation. L'existence de cette presse sert, par ailleurs, à rallier de
nombreuses personnes à notre cause.
Les camarades qui ont l'esprit inventif fabriqueront des catapultes destinées au
lancement de ces tracts et manifestes. On cherchera encore à faire passer sur les 27
antennes des stations de radio des messages révolutionnaires enregistrés sur
bandes. On écrira aussi des slogans sur les murs et à des endroits difficilement
accessibles. On enverra aussi des lettres de menaces, de propagande, ou bien
visant à expliquer le sens de notre lutte à certaines personnalités qui chercheront à
les divulguer pour impressionner la population.
Comme on ne ralliera jamais tous les citoyens, on peut populariser le slogan
suivant "Que celui qui ne veut rien faire pour la révolution ne fasse non plus rien
contre elle."
La guerre des nerfs
La guerre des nerfs ou guerre psychologique est une technique de lutte basée sur
l'utilisation directe ou indirecte des media ou du "téléphone arabe". Son but est de
démoraliser le gouvernement. On y arrive en divulguant des informations fausses,
contradictoires, en semant le trouble, le doute et l'incertitude parmi les agents du
régime. Dans la guerre psychologique, le gouvernement se trouve en position de
faiblesse, aussi censure-t-il les moyens de communication. Cette censure se
retourne contre lui, car il se rend impopulaire ; il lui faut par ailleurs exercer une
surveillance sans relâche, ce qui mobilise beaucoup d'énergie. Les moyens de la
guerre des nerfs sont les suivants:
- Le téléphone et l'envoi de lettres. Par ces moyens, on informera la police sur la
prétendue localisation de bombes à retardement, sur des projets d'enlèvement ou
d'assassinat de certaines personnalités, ce qui obligera les forces de répression à se
mobiliser pour rien, à perdre du temps, à douter de tout.
- Livrer à la police de faux plans d'attaque.
- Répandre des rumeurs sans fondement.
- Exploiter systématiquement la corruption, les erreurs et les méfaits de certains
gouvernants, les forçant ainsi à se justifier ou à démentir les bruits répandus par
les moyens de communication qu'ils ont eux- mêmes censurés. En informant les
ambassades étrangères, l'O.N.U., la nonciature apostolique, les commissions
internationales de juristes et des droits de l'homme, les associations chargées de
défendre la liberté de la presse, sur la violence et les tortures exercées par les
agents de la dictature.
Les méthodes qu'il faut suivre
Le citoyen qui veut devenir guérillero ne pourra agir que s'il domine parfaitement
les méthodes qu'il faut suivre. Les hors-la-loi commettent souvent sur ce point des
erreurs graves et qui les perdent. Les patriotes auront donc soin d'user d'une
technique révolutionnaire et non pas d'emprunter celle des bandits. C'est en
fonction de la méthode employée qu'on saura si c'est bien un guérillero qui a
commis tel ou tel acte. Les méthodes qu'il faut suivre sont constituées par l'usage 28
ou l'application des éléments suivants:
- la recherche d'informations;
- l'observation et la vigilance;
- l'exploration du terrain;
- la reconnaissance et le chronométrage des itinéraires;
- la planification;
- la motorisation;
- la sélection du personnel et son renouvellement;
- la sélection fondée sur les capacités de tir;
- la simulation de l'action projetée en guise de répétition;
- l'exécution;
- la protection des exécutants;
- la retraite;
- la libération ou l'échange de prisonniers;
- le brouillage des pistes;
- l'enlèvement ou le transport des blessés, en évitant de le faire à bord de véhicules
où se trouvent des enfants. Le mieux est d'emporter, à pied, les blessés, en
empruntant des chemins assez étroits pour que l'ennemi ne puisse passer avec ses
moyens de locomotion.
L'aide aux blessés
Au cours des opérations de guérilla urbaine, il peut arriver qu'un des compagnons
soit victime d'un accident ou soit blessé par la police. Si, dans le "groupe de feu", se
trouve quelqu'un qui est secouriste, il lui donnera les premiers soins. En ce sens, il
faudra veiller à ce que des cours de secourisme soient organisés à l'intention des
combattants. Le rôle des guérilleros médecins, étudiants en médecine, infirmiers,
pharmaciens, est important. Ceux-ci pourront rédiger un petit manuel de
secourisme à l'intention de leurs camarades.
En aucun cas le guérillero blessé ne devra être abandonné sur le lieu du combat.
Lorsqu'il préparera une opération, le groupe devra s'assurer un appoint médical. Il
utilisera, par exemple, une petite infirmerie mobile montée à l'intérieur d'une
automobile, ou il placera à un endroit proche du lieu de l'opération, un camarade
muni d'une trousse pour les soins. L'idéal serait de disposer d'une clinique propre
à l'organisation, mais cela coûterait si cher qu'on ne pourrait guère l'envisager
qu'en "expropriant" du matériel nécessaire à son équipement. En attendant, il
faudra bien recourir aux cliniques légales, non sans faire usage des armes pour
forcer les médecins à soigner nos blessés. Au cas où nous aurions besoin d'acheter
du sang ou du plasma sanguin dans des "banques de sang", il ne faudra jamais
donner les adresses où sont hébergés les blessés ni celles des personnes chargées
de s'en occuper. Ces adresses ne seront, du reste, connues que du très petit groupe
chargé du transport et du traitement des blessés.
Les linges, bandages, mouchoirs, etc., tachés de sang, les médicaments et tout 29
autre objet ayant servi aux soins seront obligatoirement retirés des maisons par où
sont passés les blessés.
La sécurité du guérillero
Le guérillero urbain est sans cesse exposé à la dénonciation ou à la découverte par
la police. Pour y parer, il doit s'entourer d'assez de garanties touchant sa cachette,
sa personne et celle de ses camarades. Nos pires ennemis sont, en effet, les espions
infiltrés dans nos rangs. On punira de mort ceux qui seront découverts, ainsi que
les déserteurs qui se mettraient à renseigner la police sur ce qu'ils savent. Le
meilleur moyen d'empêcher cette infiltration est la prudence et la sévérité que l'on
observera dans le recrutement.
On ne permettra pas non plus que tous les militants se connaissent ou qu'ils soient
au courant de tout. Chacun ne saura que ce qui est nécessaire à l'accomplissement
de sa mission. La lutte que nous menons est dure; c'est une lutte de classe et,
comme telle, c'est une question de vie ou de mort, lorsque les classes qui
s'affrontent sont antagoniques.
Par manque de vigilance, un guérillero peut avoir l'imprudence de révéler son
adresse ou toute indication également secrète à un ennemi de classe. C'est là chose
inadmissible. Les annotations dans la marge des pages de journal, les documents
oubliés, les cartes de visite, les lettres et les billets sont des indices que la police ne
négligera pas. L'usage d'un carnet d'adresses, de papiers portant des numéros de
téléphone, des noms, des indications biographiques, des cartes et des plans, doit
être aboli. Les lieux de rendez-vous seront retenus de mémoire. Celui qui
transgressera ces normes sera averti par le premier camarade qui s'en rendra
compte; s'il persévère dans l'erreur, on cessera de travailler avec lui.
Les mesures de sécurité à prendre pourront varier en fonction des mouvements de
l'ennemi. Cela suppose, évidemment, que l'on soit bien renseigné, que le service
d'information fonctionne normalement. Il sera dès lors utile de lire les journaux,
en particulier la page qui rapporte les activités de la police.
En cas d'arrestation, le guérillero ne pourra rien révéler qui puisse nuire à
l'organisation, causer l'arrestation d'autres camarades ou la découverte des dépôts
d'armes et de munitions.
Les sept erreurs du guérillero urbain
Quand bien même le guérillero urbain suivrait rigoureusement les normes de
sécurité, il n'en resterait pas moins sujet à l'erreur. Il n'y a pas de guérillero
parfait; on peut tout juste s'efforcer de diminuer la marge de ces erreurs. Nous en
voyons sept que nous chercherons à combattre:
- L'inexpérience, qui fait que l'on juge l'ennemi stupide, que l'on sous-estime ses
capacités, que l'on trouve les choses faciles à faire et, de ce fait, qu'on laisse des 30
traces qui peuvent être fatales. Cette même inexpérience peut conduire le
guérillero à surestimer les forces adverses. Son assurance, son esprit de décision,
son audace, s'en ressentiront; il en sera plus facilement intimidé.
- La vantardise, qui fait que l'on propage aux quatre vents ses faits d'armes.
- La surestimation de la lutte urbaine. Ceux qui se laissent enivrer par les actes de
guérilla dans les villes risquent de ne pas se préoccuper beaucoup du
déclenchement de la guérilla rurale. Ils finissent par considérer la guérilla urbaine
comme décisive et par y consacrer toutes les forces de l'organisation. La ville est
susceptible d'être l'objet d'un encerclement stratégique, que nous ne pourrons
éviter ou rompre que lorsque sera déclenchée la guérilla rurale. Tant que celle-ci
n'aura pas surgi, l'ennemi pourra toujours nous porter des coups graves.
- La disproportion dans l'action par rapport à l'infrastructure logistique existante.
- La précipitation en vertu de laquelle on perd patience, on s'énerve et on passe à
l'action au risque de subir les plus grosses pertes.
- La témérité, qui fait que l'on attaque l'ennemi à un moment où celui- ci se fait
particulièrement agressif.
- L'improvisation.
L'appui de la population
Le guérillero urbain cherchera toujours à situer son action dans un sens favorable
aux intérêts du peuple, afin d'obtenir son appui. Là où apparaîtront l'ineptie et la
corruption du gouvernement, le guérillero urbain devra montrer que c'est cela qu'il
combat. Ainsi, une des exigences les plus lourdes du gouvernement actuel
concerne la perception d'impôts très élevés. Le guérillero s'attachera dès lors à
attaquer le système fiscal de la dictature, à entraver, avec tout le poids de la
violence révolutionnaire, son fonctionnement. Il n'épargnera pas les hommes et les
institutions du régime responsables de la hausse du coût de la vie, les riches
commerçants brésiliens et st rangers, les grands propriétaires, tous ceux qui, grâce
à la cherté de la vie, aux mauvais salaires et à l'augmentation des loyers, font de
fabuleux bénéfices.
L'insistance que met le guérillero à intercéder en faveur du peuple est la meilleure
manière d'obtenir son appui. À partir du moment où une bonne partie des citoyens
commence à prendre au sérieux son action, la victoire lui est assurée. Le
gouvernement ne pourra plus qu'intensifier la répression, ce qui rendra la vie des
citoyens plus insupportable. Les foyers seront violés, des battues de police
organisées, des innocents arrêtés, des voies de communication fermées. La terreur
policière s'installera, les assassinats politiques se multiplieront; ce sera la
persécution politique massive. La population refusera de collaborer avec les
autorités qui ne pourront plus, pour vaincre les difficultés, que recourir à la 31
liquidation physique des opposants. La situation politique du pays se transformera
en situation militaire et les "gorilles" passeront pour être les responsables de
toutes les violences, des erreurs et des calamités qui pèsent sur le peuple.
Lorsqu'ils verront qu'en conséquence du développement de la guerre
révolutionnaire, les militaires de la dictature roulent vers l'abîme, les éternels
temporisateurs des classes dominantes et les opportunistes de droite, partisans de
la lutte pacifique, supplieront les "gorilles" d'entamer le processus de
"redémocratisation", de réformer la constitution, etc. afin de tromper les masses et
d'affaiblir l'impact de la révolution. D'ores et déjà, cependant, aux yeux du peuple,
les élections ne seront plus qu'une farce. Et cette farce, le guérillero urbain doit la
combattre en redoublant de violence et d'agressivité. En agissant ainsi, on
empêchera la réouverture du Congrès, la réorganisation des partis, celui du
gouvernement et celui de l'opposition tolérée, qui dépendent du bon plaisir de la
dictature et dont les représentants sont comme les marionnettes d'un même
guignol.
C'est de cette façon que les guérilleros gagneront l'appui des masses, renverseront
la dictature et secoueront le joug nord-américain. À partir de la rébellion dans les
villes, on arrivera vite à déclencher la guérilla rurale dont la préparation dépend de
la lutte urbaine.
La guérilla urbaine, école de formation du guérillero
La révolution est un phénomène social qui dépend des armes et des fonds. Ceux-ci
existent dans le pays; il suffit d'avoir des hommes pour s'en emparer. Ces hommes
devront, pour leur part, être dotés de deux exigences révolutionnaires
fondamentales:
- une forte motivation politique;
- une bonne préparation technique.
On les trouvera dans l'immense contingent des ennemis de la dictature militaire et
de l'impérialisme des États-Unis. Il en arrive presque quotidiennement qui sont
désireux de s'intégrer dans la guérilla urbaine. C'est ce qui explique que chaque
fois que la réaction annonce la liquidation d'un groupe de révolutionnaires, celuici renaît de ses cendres. Les hommes les mieux entraînés, les plus riches
d'expérience tant sur le plan de la guérilla urbaine que sur celui de la guérilla
rurale, constituent l'épine dorsale de la guerre révolutionnaire et le point de départ
de la future armée de libération nationale. Ce noyau central, dont les membres
n'ont rien à voir avec les bureaucrates et les opportunistes des lourds appareils
politiques, les radoteurs et les signataires de motions, n'hésite pas à participer aux
actions révolutionnaires. Il est armé d'une discipline solide, d'une vue tactique et
stratégique à long terme, de la théorie marxiste, du léninisme et du castroguévarisme appliqués aux conditions concrètes de la réalité brésilienne.
De ce groupe se détacheront les hommes et les femmes d'excellente formation 32
politico-militaire qui, après la victoire de la révolution, auront pour tâche de
construire la nouvelle société brésilienne. Ces hommes et ces femmes se
recruteront parmi les ouvriers, les étudiants, les intellectuels, les prêtres et les
religieux révolutionnaires, les paysans qui affluent vers les villes, attirés par le
besoin de trouver du travail et qui, politisés et entraînés, retourneront dans les
campagnes. Et c'est dans la guérilla urbaine que se forgera l'alliance armée de ces
différents groupes. Les ouvriers connaissent bien le secteur industriel des villes
qu'il s'agit d'attaquer. Les paysans connaissent d'instinct la terre, sont astucieux et
peuvent admirablement communiquer avec la multitude des humiliés. Ils
organisent les points d'appui nécessaires à la lutte dans les campagnes, aménagent
les cachettes pour les hommes, les armes et les munitions, constituent des réserves
alimentaires à partir de la culture des céréales, s'occupent du bétail qui nourrira
les guérilleros, forment des guides et organisent les services d'information.
Les étudiants, dont le tranchant est bien connu, renversent à souhait les tabous
pacifistes et opportunistes, acquièrent en peu de temps une bonne formation
politique, technique et militaire. Et comme ils n'ont pas grand-chose à faire, une
fois qu'ils ont été expulsés des écoles où ils étudiaient, ils peuvent se consacrer
entièrement à la révolution. Les intellectuels jouent un rôle fondamental dans la
lutte contre l'arbitraire, l'injustice sociale et l'inhumanité de la dictature. Jouissant
d'un grand prestige et d'un grand pouvoir de communication, ils entretiennent la
flamme révolutionnaire. La participation d'intellectuels et d'artistes à la guérilla
urbaine est un des plus beaux acquis de la Révolution brésilienne. L'adhésion de
pasteurs de diverses confessions et de religieux est importante sur le plan de la
communication avec le peuple et, en particulier, avec les ouvriers, les paysans et
les femmes du pays. Certaines de nos concitoyennes, intégrées dans la guérilla
urbaine, ont fait preuve d'une combativité et d'une ténacité extraordinaires, en
particulier au cours d'attaque contre des banques et des casernes et, aussi, en
prison.
La guérilla urbaine est une excellente école de formation. Qu'ils soient chauffeurs,
messagers, tireurs d'élite, informateurs, propagandistes ou saboteurs, les
guérilleros luttent, souffrent, et courent ensemble les mêmes risques. Ils affrontent
ensemble les épreuves de sélection.
CARLOS MARIGHELLA,
ACTION DE LIBERATION NATIONALE,
JUIN 1969
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