AIRBNB | Nouvel Acteur Social ?



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Pas de contrat, de feuilles de salaire,  ni d’avis d’imposition ?
Une seule solution pour louer :
AIRBNB !

AIRBNB se targue d’avoir inventé dans le domaine de la location meublée temporaire, l’économie du partage, l’économie collaborative ; ses détracteurs l’accusent au contraire d'aggraver le phénomène dans les grandes villes d’une offre de logements insuffisante tirant les loyers vers le haut : certains propriétaires préfèrent la très lucrative location temporaire aux touristes à la location de longue durée aux habitants.


Ce genre d’argumentaires est à pondérer avec d’autres effets collatéraux engendrés involontairement par le système AIRBNB, et bouleversant le marché de la location sociale ; vacances ou déplacement professionnel pour les uns, le système AIRBNB permet à d’ « autres » prétendants locataires d’échapper aux contraintes du secteur public et aux contingences du secteur privé classique, pour se loger à l’année, ou bien de manière régulière, « faute de mieux » plaident ceux que nos avons rencontré. Quelques minutes – à peine – pour trouver un logement meublé en location : un simple virement bancaire suffit, aucun justificatif n'est exigé.

L’on peut poser cette hypothèse que le « système AIRBNB » joue aussi un rôle de « parc social privé de fait », notamment par l’accessibilité à un nouveau type de marché pour une catégorie de personnes qui, pour des raisons de discrimination ou de statut ne peuvent entrer dans le parc social ou privé. Le système AIRBNB révèle une des principales défaillances du marché classique, et au-delà des lois de France qui considèrent le droit au logement sous le seul angle de l’économie de marché : l’éligibilité des prétendants locataires auprès des propriétaires privés et des organismes sociaux, au-delà des simples critères classiques de solvabilité. Si les locataires réguliers d’AIRNB présentent de notables différences sociales-économiques – salariés réguliers, chômeurs et bénéficiaires du RSA -, toutes sont célibataires, soit la catégorie la plus vulnérable aux lois du marché privé, et la moins privilégiée des services sociaux, ciblant en priorité les familles nombreuses, et pour celles privées d’emplois et les salariés « précaires », toutes disposent d’économies suffisantes et/ou d’aides de la famille, pour amortir leur « chute » : ce nouveau marché de la location répond aux besoins de ce que certains nomment la « nouvelle pauvreté ».

De fait, involontairement car ce n'est pas sa vocation, le système AIRBNB bénéficie aux personnes ne disposant pas de ressources régulières ou de pièces justificatives suffisantes, ces « preuves » de solvabilité, et par là, de moralité, exigées pour « plaire » à un particulier, et à celles inéligibles pour obtenir une location sociale, outre des délais particulièrement laborieux pour son obtention : en gros, une centaine de clics sur le site AIRBNB et une vingtaine de minutes suffisent à trouver et obtenir une location meublée. Il s’agit bien là d’un véritable bouleversement d’une portée considérable, autant par la procédure simplifiée d’ « admission » que pour les prix pratiqués.

Le problème d’éligibilité s’exprime au mieux à Paris, et maintenant dans sa proche banlieue, car comme chacun le sait, disposé d’un contrat en CDI et d’un salaire même confortable n’empêchent guère de connaître des difficultés pour un célibataire, et/ou celui ne disposant pas des justificatifs, pour trouver une location. Ces difficultés ont contraint notre premier témoin, après une recherche infructueuse de plusieurs semaines, à prendre une première location longue durée via AIRBNB, « faute de mieux et en attendant » pensait-il. La solution AIRBNB a donc été autant providentielle que rapide, plus attrayante et plus économique que le séjour prolongé en hôtel impersonnel.

Être au chômage et être à la recherche d’une location ne se marient pas, en aucune manière. Nos témoins célibataires et à-la-recherche-d’un-emploi, se sont résolus à utiliser, à « profiter » du système AIRBNB, pour louer un puis une série d’appartements, une solution « miracle ».

Être bénéficiaire du RSA, soit en moyenne moins de 500 euros mensuels pour un célibataire, vous ouvre les portes non pas d’une HLM, mais celles sordides des centres d’hébergement : là, l’État se décharge de sa vocation d’assurer le « Droit-au-logement » au profit des associations caritatives privées, dans leur grande majorité, religieuses [1]. Là encore, la solution AIRBNB est providentielle, pour ceux tout du moins, disposant de quelques économies, qui forment, faut-il le souligner, une nouvelle classe de « personnes en difficulté-s » très éloignée de celle du mythique clochard.

Si louer un appartement via AIRBNB est d’une facilité déconcertante, se posent cependant plusieurs difficultés pour les locataires réguliers. L’exponentielle augmentation du loyer lors des périodes de vacances scolaires, qui passe du simple au triple, voire davantage, le calendrier aléatoire de location des « hôtes », et la loi restreignant dans certains cas la durée de location à quelques mois, obligent les locataires à changer régulièrement d’adresse. Mais le système AIRBNB est ainsi fait, qu’il est possible de prévoir et de choisir plusieurs semaines, voire plusieurs mois à l’avance, une location bon marché, soit en lointaine périphérie dans le cas de Paris et des grandes villes de province, soit lors des périodes estivales, dans les régions polaires du nord, y compris la Belgique, et en particulier Bruxelles. Telle est la préoccupation principale des locataires réguliers d’ AIRBNB, difficulté qui peut être également contournée, pour les moins aisés ou les sans-emplois, avec d’autres types de location : camping, gîtes ou logement amical à titre gracieux, etc.

Avec l’expérience, les locataires réguliers apprennent à décrypter les annonces, et celles recherchées en priorité sont les locations mensuelles proposant des remises échelonnées entre 25 et 55 % ; dans ce cas, souvent, il n’est pas rare d’échapper à AIRBNB et à sa ponction financière (commission de 3 % auprès des propriétaires et de 9 % à 12 % auprès des locataires) en négociant directement « au black » avec l’hôte, après une première location. Généralement, ce type d’annonce est proposé par la classe des propriétaires étrangers ou de province, venant seulement quelques mois, voire semaines par an (il peut s’agir d’un logement en ville, ou bien d’une villégiature à la campagne), ou bien, de propriétaires disposant de plusieurs biens immobiliers inutilisés, qu’ils rechignent à louer « légalement » sur le marché traditionnel, pour maintes raisons, dont celle, on s’en doute, d’échapper au fisc (propriétaires qui se distinguent des « vautours » AIRBNB, soit les multi-propriétaires qui utilisent la plate-forme pour une activité professionnelle à part entière). Bref, une véritable aubaine illégale contentant les deux parties, et nos témoins constatent, au fur et à mesure des restrictions et autres taxations faites par certaines communes, l'augmentation exponentielle d’accords à « l’amiable ».

Les locations au mois proposées par les hôtes présentent cet avantage d’être bon marché, car en effet, le loyer inclut la connexion internet et le téléphone, l’eau, l’électricité, l’assurance, la caution (jamais exigée), les impôts, etc., outre les frais d’agence, dépenses qui accumulées peuvent atteindre des sommets, et de même, ils économisent un temps considérable passé, « dépensé inutilement » à courir de visites en visites. En moyenne et en déduisant ses frais annexes, les tarifs AIRBNB, hors saisons scolaires, sont sensiblement équivalents au marché conventionnel, voire plus bas selon les saisons et les régions, excepté à Paris intra-muros, où les surfaces et les équipements tendent à se réduire drastiquement (pour les meilleurs marchés : wc sur le palier, rez-de-chaussé sur cour infecte, moins de 9 m², pas de fenêtres, etc.).

Nos témoins s’accordent sur le fait que si des arrangements extra-légaux hors AIRBNB sont d’une manière générale très fréquents, aucune once de solidarité n’anime les propriétaires, les liens même de bonne et cordiale ententes stagnent sans plus au niveau d’un apéro partagé, voire d’un repas ; tout au plus, au mieux, les « hôtes » les plus conviviaux privilégient les locataires « habitués » qu’ils connaissent. Là, reconnaissent nos témoins, nombre d’« hôtes » loue leurs biens car eux-mêmes éprouvent des difficultés financières, ou veulent arrondir leurs fins de mois, sans trop de gaîté de coeur car les contraintes sont bien réelles : locataires antipathiques, négligeant, bruyants ou particulièrement maniaques, nettoyage, vol ou casse, répondre aux demandes et planifier son calendrier, etc. Autant de raisons qui peuvent les inciter à louer à des « habitués » et pour une longue durée... Ceci expliquant cela.

Le principal avantage du système AIRBNB, outre la découverte d’un faux « chez-soi » temporaire, d’hôtes accueillant, d’un intérieur souvent chaleureux, est de proposer des locations en ville, et d’échapper ainsi à la tentation des locations bon marché dans les zones rurales les plus déshéritées ou reculées de France et au danger de s’y enfermer : le système AIRBNB permet de se soustraire à l’exil forcé à la campagne, tel qu’il était pratiqué jusqu’alors.

Pour ceux au chômage à la recherche d’un emploi, le système AIRBNB est synonyme de « liberté », celle de ne plus être contraint par un bail locatif, d’être lié attaché à un bien, à un lieu, liberté qui offre un mobilité résidentielle et professionnelle ; ainsi, certains se déplacent et habitent temporairement les régions où l’on embauche pour des travaux saisonniers, en France et à l’étranger. Pour d’autres, cette liberté prend la forme d’un « tourisme économique » plus ou moins forcé, vers des pays « bon marché », où il est possible de vivre une vie de pacha avec une poignée d’euros.



Les locataires à l’année d’AIRBNB, ou l’utilisant de manière régulière et récurrente inventent-ils une nouvelle zone d’ombre du marché locatif social ? Ou sont-ils simplement une infime minorité, des cas isolés ? Ou ignorés superbement des statistiques et analyses des organisations et institutions s’occupant du mal-logement ? Comme d’ailleurs d’autres phénomènes de mal-logement « insidieux » ou souterrains leur échappant volontairement ou non : jeunes diplômés et retraités préférant habiter des contrées plus économiques, voyageurs impénitents, nomades et exilés forcés recherchant la terre promise et parcourant le monde sans relâche et, de fait, apatrides, non quantifiables, non catégorisables et exclus des statistiques : les exemples ne manquent pas pour questionner les analyses et statistiques déjà désastreuses des rapports annuels de la fondation Abbé Pierre sur le mal-logement en France.




AIRBNB HELP

L’invention de la multi-milliardaire firme américaine ne se propose pas d’édifier un monde meilleur, son objectif est bien de s’enrichir en jouant habilement sur la corde sensible et dans l’air du temps d’une forme d’économie partagée ; cela étant, le système AIRBNB peut apporter des solutions à des situations dramatiques, la firme ne se prive pas, à grands renforts de publicité, d’afficher son ambition de venir en aide aux sinistrés, et autres victimes de cataclysmes : en 2012, Airbnb ouvrait les portes des logements de ses hôtes aux réfugiés new-yorkais après le passage de l’ouragan Sandy (avec la bénédiction et la collaboration des services du maire de New York, Michael Bloomberg, pourtant hostile à Airbnb) ; quelques heures après le lancement du service, plus de 4.000 personnes proposaient un toit aux sinistrés. En 2016, en réponse aux inondations dévastatrices survenues en Louisiane, Airbnb organisait son propre plan d’hébergement d’urgence, en suspendant pour un temps « ses frais de service pour les personnes affectées par la catastrophe». Cette mesure devait « permettre aux hôtes de proposer leur logement à titre gratuit ». En novembre 2016, en Israël,Airbnb proposait un service d’urgence pour venir en aide aux sinistrés victimes de la vague d’incendies criminels : « A la lumière des événements récents, nous vous informons que nous allons annuler tous nos frais de service et permettre aux hôtes de proposer leur logement à titre gratuit. Nous avons également mis en place une page de réponse aux catastrophes pour que vous puissiez facilement entrer en contact avec ceux qui recherchent un logement ». Dans d’autres pays du monde, des simples particuliers, hôtes AIRBNB et d’autres plate-formes de réservation, s’organisent pour venir en aide aux réfugiés fuyant la guerre en Syrie, en leur proposant temporairement et gratuitement une chambre.

Ce à quoi, le journaliste de « rue89-nouvel-obs » Benoît Le Corre dans sa publication du 17/08/2016 à 11h56, rétorquait ironiquement :

« A quand un plan d’hébergement d’urgence d’Airbnb pour aider les SDF ? »

Il est vrai que si depuis l’aube des années 1990, l’État s’adresse au marché privé pour développer la location sociale, notamment en développant l’hôtellerie sociale, surnommée le booking.com de l'hébergement social, l’État dédaigne le particulier.

Hôtellerie Sociale

Principal concurrent d’AIRBNB, l’hôtelier classique peste contre la vague Airbnb’mania, l’accuse de concurrence déloyale dont on dit qu’elle est à l’origine de faillites et de déclassement disqualification d’hôtels, incapables financièrement de maintenir leur niveau de confort et d’accueil, leurs personnels, bref leurs standing ou étoiles, hôtels en difficulté dont le seul salut est une reconversion totale ou une diversification de l’activité en hôtellerie dite « sociale », inventée par le Samusocial pour faire face à l’urgence d’héberger des familles, migrantes en priorité, privées de toit. Ici l’État, en l’occurrence le Pôle d’hébergement et de réservation hôtelière créé en 2007 (2008 pour AIRBNB), dont la mission est de loger le plus économiquement possible des individus (plus particulièrement des familles avec enfants), met en relation bailleurs privés et locataires pour une nuitée ou un séjour bien plus long.

Ironie de l’histoire, car si à présent AIRBNB vide la clientèle des hôtels, l’État se charge de les remplir : le Samusocial de Paris héberge chaque nuit à l’hôtel dans toute l’Île-de-France 10.000 familles, soit plus de 35.000 personnes, soit environ 15 % de l’offre hôtelière de la région. AIRBNB de son côté, dispose à Paris (1.358.884 logements) de 56.544 locations (6.871 chambres et 49.673 logements entiers en octobre 2016), 70.000 en comptant ses proche et lointaine banlieues. En d’autres termes, le système AIRBNB participe de manière bien involontaire et indirectement, à accroître l’offre de locations sociales hôtelières… de même qu’il offre la possibilité à une clientèle « marginale » à faibles revenus de se loger sans difficulté en ville. Ce sont des « effets » positifs et inattendus, face aux impacts socio-urbains négatifs, aux « dommages collatéraux » engendré par le développement exponentiel de la location meublée saisonnière au détriment du bail locatif régulier, entraînant la « touristification » des quartiers anciens, riche ou populaire, avec, paraît-il, son corollaire de nuisances sonores et de fermeture de commerces de proximité. Il serait également possible d’évoquer l’argumentaire d’AIRBNB, qui prétend d’une part développer le « tourisme social », c’est-à-dire d’offrir la possibilité à des touristes peu fortunés de se loger à peu de frais par rapport à l’hôtellerie classique – ce qui est parfaitement exact -, et d’autre part, d’offrir aux hôtes les moins aisés, un complément de revenu non négligeable.

Airbnb'isation


Accuser AIRBNB de détruire, à Paris ou Barcelone, le parc locatif traditionnel, tout autant qu’une prétendue mixité sociale, procure généreusement à la classe politique un excellent argumentaire pour masquer la principale cause : un déficit structurel de logements, (initié si l’on remonte le cours de l’histoire moderne, après les désastres de la première guerre mondiale, soit près de 100 années.) L’État, les pouvoirs municipaux, dont Paris, délèguent ainsi leurs « fautes » à un bouc émissaire, une multimilliardaire multinationale et consœurs (!) accusées de tous les maux (à Paris, 49.673 offres AIRBNB pour 1.358.884 logements) et, mieux, pointent du doigt l’incivisme d’hôtes multi-propriétaires, ou versant dans l’illégalité, utilisant, « pervertissant » cette plate-forme d’économie participative, pour en faire une activité ultra lucrative à caractère « anti-sociale ». Il est certain que le système AIRBNB a donné naissance à des « vautours », ces multi-propriétaires chassant parfois des locataires de longue date pour des touristes, participant à la muséification d'un quartier ; mais il permet aussi à des particuliers d’assurer des compléments de revenus, parfois de manière illégale, un rempart contre la précarité, et dans un contexte de crise économique permanente, cette activité opère comme un amortisseur social. L’économie collaborative, dont la charge néo-libérale individualiste est grande, offre une riposte face au chômage, et à la hausse continuelle des prix, et l’illégalité rencontrée au sein de ce nouveau marché donnent des armes efficaces pour mener une guérilla contre un Etat qui n’assure plus, depuis longtemps, un rôle protecteur pour les classes indigentes et aujourd’hui moyennes. Tout pareil que les locataires « sociaux » réguliers d’AIRBNB qui peuvent trouver à se loger sans peine, les hôtes les moins aisés peuvent profiter de l’invention de la firme américaine, et boucler des fins de mois difficiles.

C’est bien ce qu’a révélé notre enquête passée pendant plusieurs mois, de location en location, de Marseille à Bruxelles, dans ce que l'on peut nommer, une nouvelle zone d’ombre de l’hébergement social de fait.

NOTE


Selon un témoin, revenu à Paris après plusieurs années passées à l'étranger, et locataire à l'année d'AIRBNB :

« Il faut savoir que lorsque vous êtes chômeur en fin de droit, ou plus grave, devenez bénéficiaire du RSA, et que vous ne disposez plus d’un logement, pour une raison ou pour une autre, l’État vous abandonne à votre sort, et vous oblige à vous tourner vers les associations caritatives, qui vous proposent, un lit dans un dortoir, au mieux une chambre individuelle au sein d’un centre de « détention », de réinsertion ou d’hébergement, lieux liberticides où vos droits de citoyens sont en berne, et ce encore, dans la limite des places disponibles et le plus souvent pour une courte période. A cette privation de logement, s’ajoute la perte de l’adresse administrative : à nouveau, les associations caritatives autorisées par la préfecture, sont, incroyablement, les seules admises à pouvoir vous procurer une « domiciliation » ; à Paris et dans maintes grandes villes, les conditions et les « preuves » exigées par les associations, et en parallèle par le service municipal social dédié (à Paris, il s’agit des Permanences Sociales d’Accueil), pour son obtention sont telles qu’elles incitent le demandeur à y renoncer, ou bien, plus simplement à patienter car les « quotas » de « domiciliés sociaux » permis par la préfecture pour chaque association sont atteints. Sans cette domiciliation, sans aucune adresse, vous devenez purement et simplement un « hors-la-loi », vis-à-vis paradoxalement de l’État, notamment par exemple si vous possédez un véhicule, ou de votre banque qui l’exige. »

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