MANUEL de Contre Guérilla Urbaine



Les militaires américains après les insurrections, les guérillas urbaines et les révolutions Sud-américaines se sont intéressés aux écrits des révolutionnaires, Marighella, Che Guevara, Tupamaros, etc. afin de les étudier et d’élaborer des tactiques contre-insurrectionnelles, des réponses militaire, politique ou psychologique. L’état major des armées en France, en matière contre-insurrectionnelle, disposait également d’une solide expérience après les guerres coloniales. Le Vietnam, qui fut le premier laboratoire expérimental de la torture policière et militaire,  puis la bataille d’Alger, auront permis de former, sur le terrain, des militaires, des spécialistes qui serviront par la suite, en tant que mercenaire ou délégué, dans certains pays insurgés, dont l’Argentine probablement,  et dans les écoles contre-insurrectionnelles des USA. 

La bataille de Grozny marque une rupture dans les tactiques de guérilla urbaine. L’expérience de l’armée russe, en matière de combats en zone urbaine, du fait des guérillas urbaines de la seconde guerre mondiale - Stalingrad, Leningrad, etc.- parvint avec les plus grandes difficultés, malgré un avantage technologique et numérique, à s’emparer de Grozny. La ville était, à la fin des combats, un champs de ruines. Selon un rapport du ministère de la défense française :

«En effet, pour la première fois en 1994, une armée conventionnelle, qui bénéficiait d’un rapport de force a priori écrasant et qui plus est, ne s’embarrassait pas des «dommages collatéraux», a été mise en échec en zone urbaine par un adversaire asymétrique en comparaison très faiblement armé. Comme l’avait prédit le général Krulak du Marines Corps américain, le conflit tchétchène apparaît donc bien comme une matrice des engagements contemporains, dans lesquels la ville constitue pour l’ennemi irrégulier le milieu le plus favorable pour résister aux armées modernes. Les récents déboires de Tsahal lors des attaques des fiefs du Hezbollah au Sud Liban l’ont rappelé



Notre but n’est pas de vous faire découvrir la guérilla de Grozny, mais les conclusions d’un rapport du ministère de la défense, du centre de doctrine d’emploi des forces de la division / recherche et retour d’expérience, rédigé suite à la bataille de Grozny ; sur la manière dont les militaires appréhendent la ville insurrectionnelle et leurs propositions faites pour les combats en milieu urbain. Une sorte de manuel de contre-guérilla urbaine. Dont certains préceptes s’appliquent aujourd’hui en matière d’urbanisme et d’architecture. Nous avons évoqué dans d’autres articles le fait que les autorités de police interviennent à présent dans les projets d’urbanisme en donnant certaines directives concernant les quartiers d’habitat social réputés dangereux, en imposant -plus ou moins- certaines règles : prévoir des espaces de retournement pour les blindés, ouvrir largement l’espace public ou bien encore privilégier des toitures en tuile, etc. De la même manière, les émeutes de mai 68, avaient décidé les plus hautes autorités de la police à interdire les pavés et à recouvrir les boulevards de la capitale d’asphalte et à déplacer les universités en banlieue.

Grozny rappelle la leçon que les Etats-Unis a reçue au Vietnam : des forces dévouées, quelles que soient leur nombre, peuvent être extrêmement efficace quand elles combattent sur leur propre terrain. Les «ennemis futurs» essaieront sans aucun doute la même tactique, c’est pourquoi les militaires voient la ville comme elle est réellement en temps de guerre : une jungle de béton, hérissée de pièges.

Nous publions ici, quelques extraits du rapport intitulé L’enfer de Grozny du ministère de la défense,centre de doctrine d’emploi des forces de la division recherche et retour d’expérience.

ENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX

Enseignement 1.1
En zone urbaine, une supériorité numérique et matérielle écrasante ne suffit pas à compenser les faiblesses structurelles et morales d’une armée : un adversaire irrégulier mais déterminé peut mettre en échec des forces bien plus imposantes, car le facteur moral apparaît déterminant. Ainsi, le milieu urbain nivelle le rapport de force théorique et révèle la véritable capacité opérationnelle d’une force.

Enseignement 1.2
La zone urbaine est le terrain idéal pour limiter la puissance du fort. Une armée moderne devrait se préparer à manoeuvrer sur ce terrain, en se dotant des équipements adaptés et d’infrastructures permettant de s’entraîner de la manière la plus réaliste.

Enseignement 1.3
L’histoire montre que la réalisation d’un rapport de force très favorable et la constitution de détachement interarmes aux structures souples semblent être des préalables indispensables à tout engagement en zone urbaine.

Enseignement 1.4
La mobilité de l’adversaire irrégulier, ainsi que la rapidité de ses actions, paraissent être les garanties de sa survie et de son efficacité face à la puissance de feu d’une armée moderne. Cette dernière pourrait notamment contrer cette fugacité en réduisant la
boucle « acquisition d’objectif - tir d’appui », grâce aux systèmes de communication numérisés, mais aussi en développant l’initiative des chefs des unités au contact qui disposeraient d’une plus large délégation de l’échelon supérieur.

Enseignement 1.5
Lors de combats qui durent face à un adversaire irrégulier, on observe souvent un relâchement dans l’application des règles d’engagement, ce qui entraîne directement une augmentation des dommages collatéraux. Souvent, l’ennemi asymétrique cherche à provoquer ces dérives dans les forces régulières, car il veut susciter l’indignation de la population. C’est pourquoi, ces règles devraient être claires, simples, comprises et assimilées par tous, sans pour autant brider l’initiative.

Enseignement 1.6
A moins qu’une solution alternative pour le logement et l’approvisionnement en nourriture ne leur soit proposée - ce qui implique qu’elle soit planifiée -, la plupart des civils restent dans la ville malgré les combats. Dans tous les cas, dans ce type de conflit, il apparaît nécessaire de pouvoir trier et identifier les combattants des non-combattants.

Enseignement 1.7
La brutalité des actions de combat en zone urbaine, surtout face à un adversaire irrégulier qui ne respecte pas le droit des conflits armés, nécessite une rotation rapide des unités et donc des effectifs importants.

Enseignement 1.8
Des savoir-faire purement militaires, notamment dans la gestion des feux, ne peuvent pas être improvisés par des forces de sécurité intérieure.

Enseignement 1.9
Il apparaît souhaitable que tous les soldats engagés dans une opération contre-insurrectionnelle soient intimement convaincus du bien-fondé de leur mis-sion. Cette légitimité, alliée à la qualité de l’entraînement et des matériels, contribue au renforcement du moral d’une force, et donc à son efficacité.

Enseignement 1.10
Malgré les progrès des systèmes de renseignement et d’information, il subsiste toujours un risque - souvent par aveuglement culturel ou idéologique - que la situation, en particulier l’état d’esprit de la population, soit mal appréhendée et que l’adversaire soit sous-estimé.

Enseignement 1.14
En zone urbaine, les limites entre les unités amies et les lignes de confrontation entre belligérants sont difficilement repérables d’autant qu’elles évoluent rapidement. Elles peuvent être horizontales et verticales car le combat se déroule dans les trois dimensions. En outre, l’ennemi irrégulier va généralement chercher à s’imbriquer dans le dispositif ami afin de limiter sa supériorité en terme d’appui feu. Une attention toute particulière doit donc être portée en planification à la définition des lignes de
coordination amies.

Enseignement 1.21
La localisation et l’étude des possibilités des infrastructures publiques telles que les réseaux de communication souterrains et les égouts font partie des besoins cruciaux en renseignement avant une action en zone urbaine. Des unités spécialisées dans la recherche du renseignement devraient disposer des équipements nécessaires et s’entraîner à l’infiltration dans ces milieux souvent aquatiques et parfois nauséeux.

Enseignement 1.31
Au delà des déficiences de la chaîne de renseignement, c’est certainement la sous-estimation de l’adversaire, du fait de l’aveuglement idéologique ou culturel du commandement, qui constitue l’une des toutes premières causes des déconvenues.

Enseignement 1.32
Il faudrait pouvoir disposer d’interprètes et d’éléments de guerre électronique afin d’intercepter les communications de l’ennemi irrégulier qui utilise souvent des technologies non protégées de gamme civile.


LIENS :

Centre de doctrine d'emploi des forces :
La bataille de Grozny :

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